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Terrorisme contre communisme

(Tarnac :) le terrorisme, du point de vue politique

lundi 19 janvier 2009, par Jean-Pierre Combe

- Les habitants de Tarnac ont très mal vécu l’opération policière du 11 novembre 2008 : c’était véritablement un bouclage militaire du village, opéré par une formation de quelque cent cinquante hommes bottés, cagoulés, casqués, armurés et armés : ils étaient cagoulés pour rester inconnus des habitants du village ;

- ceux-ci se sont sentis visés par cette violence ; quelques-uns d’entre eux m’ont dit que cela ressemblait à l’un de ces raids que lancent parfois les armées en territoire hostile ; cela leur a rappelé la violence que subissaient les communes de France, voici un peu plus d’un demi-siècle, de la part de l’armée nazie d’occupation.
- C’est très grave : qu’est-ce qui pouvait, qu’est-ce qui peut justifier que la police française applique à une commune de France une violence réellement comparable à la violence subie de la part d’une armée étrangère ?
- Certes, cette opération policière, aussi bien dans son décorum à grand spectacle que dans sa violence, a été entièrement pensée et réalisée conformément au régime d’exception prescrit par des lois et règlements dits antiterroristes, en vigueur chez nous. Mais ces lois sont d’exception et leur accompagnement règlementaire l’est aussi. Quelle circonstance est-elle assez exceptionnelle pour les justifier ?
- En l’occurrence, ceux qui les ont rédigées proclamaient, pour qu’elles soient votées, qu’elles avaient pour but de combattre le terrorisme. Cela pose deux questions :
- d’abord : est-ce que cette violence-là, appliquée de cette manière-là, avec ce décorum-là, est-ce que c’est un moyen efficace pour lutter contre le terrorisme ?
- ensuite : pouvons-nous accepter que la police française adopte un mode d’organisation et de fonctionnement tel que celui-ci, qui fait d’elle un corps étranger à notre pays lorsqu’elle accomplit une mission ?
- La première question est grave : les effets et résultats piteux de l’opération de Tarnac conduisent à douter très fort de l’efficacité de ce mode opératoire dans la lutte contre le terrorisme ; et toutes les pratiques policières qui lui ont servi de modèles, et que l’on peut observer aux USA, en Allemagne, en Italie et ailleurs apportent à ce doute une très forte confirmation.
- En vérité, ce qui conduit à organiser et à mettre en œuvre ce type de violence, de cette manière et avec ce décorum, c’est une certaine idée a-priori et que l’on ne discute pas, c’est-à-dire un préjugé : cette idée est que le terrorisme serait une guerre, et que par conséquent, il ne serait possible de le combattre qu’en lui faisant la guerre. Il faut comprendre cette idée, et pour cela, la critiquer : elle est complexe, composée d’idées plus simples qui servent de raisons à ses mises en œuvre ; ses idées composantes sont :

  • que le terrorisme serait une guerre ;
  • que le moyen de combattre le terrorisme serait par conséquent de lui faire la guerre.

- Le mot « terrorisme » n’est pas employé avec le même sens dans l’une et dans l’autre des idées composantes : dans la première, le terrorisme est une guerre, c’est-à-dire une action, alors que dans la seconde, il est l’un des acteurs de la guerre que le préjugé déclare, l’ennemi qu’il s’agit de combattre ; elles ne sont donc pas cohérentes : l’idée qu’elles composent est incohérente, c’est un préjugé incohérent.
- De quoi est-il donc question lorsque l’on parle de terrorisme ?
- Proclamer la nécessité de faire la guerre n’a de sens en effet que si la proclamation désigne en termes concrets l’ennemi à combattre : or, le mot terrorisme ne désigne rien de concret, mais seulement une abstraction ; les actes concrets sont les attentats, qui ne sont pas des combats, mais des crimes commis par des personnes concrètes : le mot terrorisme ne désigne pas ces personnes concrètes, qui sont à ce jour inconnues, mais seulement une intention que le procureur spécialisé leur attribue ; ne désignant qu’une abstraction, ce mot ne peut représenter les acteurs de ces attentats que dans l’abstrait ; or, on ne fait pas la guerre à des abstractions, mais à des hommes armés et organisés et qui combattent concrètement. La prétention à faire la guerre au terrorisme est incohérente avec le fait que les attentats terroristes sont des crimes sans être des combats.
- En résumé, faire la guerre au terrorisme revient à commencer une guerre contre un ennemi seulement défini par ses intentions supposées, c’est-à-dire qu’il n’est pas défini concrètement ; cela revient à engager des troupes formées pour le combat dans des évènements qui ne sont pas des combats... comment ne pas voir que ce combat en aveugle n’est rien qu’une impasse obscure ? Le pire est que cette impasse est terriblement dangereuse pour les simples citoyens : les membres des forces de l’Etat engagés dans une telle « guerre » sont incapables de dire à leurs concitoyens ce qu’ils font, incapables de s’expliquer sur leurs missions, incapables de savoir si ceux qu’ils tuent ou arrêtent sont coupables ou innocents : cela les rend étrangers, et fait disparaître les garanties qui pouvaient exister que ces forces restent dans le cadre du service de la nation...
- Comment pourrait-on mettre fin aux attentats terroristes par une « guerre antiterroriste » ? On ne le peut pas !
- Revenons à ce qu’est le terrorisme (voir mes articles L’Antagonisme du Terrorisme et du Communisme et Du Terrorisme et de ses Variétés).
- Le terrorisme est toute politique qui fait de la terreur le moyen de modifier le comportement politique des citoyens. Autrement dit, toute politique terroriste emploie le crime comme moyen de créer la terreur, associé au chantage qui est son moyen de modifier les comportements politiques : le chantage est un discours qui proclame l’intention des terroristes.
- Il n’y a pas de terrorisme sans proclamation d’une intention politique. On le voit : le terrorisme se manifeste sur deux plans, celui de l’acte (criminel) et celui de l’intention.
- La composante intentionnelle du terrorisme est donc caractéristique ; mais c’est une erreur d’y voir la détermination du crime. Or, ceux qui ont rédigé nos actuels lois et règlements dits « antiterroristes » y ont introduit cette erreur ; c’est du moins la seule explication que je puisse donner aux informations qui me parviennent au sujet des affaires dites de terrorisme ; selon ces informations en effet, le caractère terroriste des actes que poursuivent les procédures de ces affaires est préjugé dès leur ouverture, et c’est lui qui fonde toutes les justifications de leur déroulement particulier, ainsi que le procès lui-même. Jamais je n’ai reçu par les informations médiatiques la moindre information qui m’ait donné à penser que les accusés de ces affaires pouvaient être innocents, alors même que la présomption d’innocence reste leur droit le plus imprescriptible jusqu’au prononcé de la sentence !...
- En somme, nos lois et règlements dits antiterroristes servent de prétexte pour réintroduire le procès d’intention dans nos pratiques journalistiques, policières et judiciaires !
- Or tous les précédents depuis le début du mouvement humain de la civilisation, ceux de l’Inquisition médiévale et tous les autres..., tous ces précédents ont accumulé une expérience qui condamne tous les procès d’intentions : la Renaissance marque en Europe le début de la prise de conscience collective de ce que le procès d’intention est tout à la fois d’une parfaite inefficacité, et d’une totale iniquité ; cette conscience est l’une des Lumières philosophiques, et elle est à la source de la Démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen : il y a totale incompatibilité entre les procès d’intention et les Droits de l’Homme et du Citoyen !
- Il en est ainsi.
- Et que nul ne vienne prétendre que nous ne pourrions mettre fin au terrorisme qu’en faisant exception au principe universel des Droits de l’Homme et du Citoyen : c’est le contraire qui est vrai !
- J’ai rappelé dans mon article L’antagonisme du Terrorisme et du Communisme que la terreur est le moyen d’action des politiques terroristes : au moyen de la terreur, les terroristes intimident les femmes et les hommes, membres des sociétés auxquelles ils prétendent imposer leurs politiques ; une fois terrorisés, ceux-ci n’osent plus porter eux-mêmes en effet de jugement politique ; ils cherchent à se protéger dans l’opinion politique dominante et consensuelle (l’opinion consensuelle est celle qui s’impose en évitant que ses arguments soient discutés), et finalement, laissent se faire en-dehors d’eux la politique de la société dont ils sont membres : c’est précisément cette attitude passive des citoyens que recherchent les terroristes lorsqu’ils commettent leurs attentats.
- En résumé, les terroristes commettent des attentats afin que la terreur qui en découlera inhibe l’exercice par les citoyennes et par les citoyens de leurs droits civiques : or, ceux qui veulent voir la société appliquer une politique compatible avec le libre exercice des droits humains et civiques par les femmes et les hommes membres de cette société, pourquoi commenceraient-ils leur politique par le terrorisme, qui interdit la citoyenneté aux femmes et aux hommes ?
- Et comment des femmes et des hommes d’abord terrorisés au point de renoncer à leur propre expression en politique pourraient-ils se sentir libres de recommencer à s’exprimer sur ce plan simplement parce que les terroristes parvenus au gouvernement ont déclaré que la terreur était finie ? Qui pourrait donner sincèrement foi à une telle déclaration ? C’est logiquement, clairement et humainement impossible !
- Afin d’inhiber les droits humains et civiques, la violence terroriste atteint tout à la fois la conscience de l’être humain individuel et celle de l’être humain collectif : c’est en agissant à ce niveau que le terrorisme s’efforce de modifier quelque chose dans la disposition des structures et fonctions de l’Etat et d’y introduire la politique portée par les terroristes. De cette violence faite à l’être humain résulte l’interdiction de la citoyenneté : quels qu’en soient les prétextes, le terrorisme est destructeur de la citoyenneté, négateur de la démocratie c’est-à-dire contraire à la république. Le terrorisme est un processus antirépublicain. Le terrorisme d’Etat ne fait pas exception.
- On comprend alors qu’en présence de la montée d’une entreprise terroriste, ceux qui tiennent les Etats se posent en protecteurs des citoyens : selon leur théorie, il faudrait avant toute chose, c’est-à-dire avant d’assurer les droits humains et civiques, arrêter le terrorisme pour que la peur n’ait plus d’effet : suivant cette théorie, les gouvernants devraient suspendre les Droits de l’Homme et du Citoyen, supposés à cet instant anihiliés par l’action terroriste, et placer le rétablissement de leur vigueur sous la condition expresse du succès de l’action de l’Etat ; lorsque cette politique réussit, elle aboutit à conditionner l’exercice des droits humains et civiques eux-mêmes par la sauvegarde de l’Etat tutélaire, c’est-à-dire à placer les citoyens eux-mêmes sous la tutelle de l’Etat, et à placer cet Etat hors de portée de la critique des citoyens : lorsqu’il en est ainsi, tout lien entre la citoyenneté et la souveraineté est rompu, et par conséquent, la citoyenneté est vidée de toute signification réelle, c’est-à-dire, niée.
- On le voit, la réponse étatiste au terrorisme, elle aussi, fait obstacle à la citoyenneté, à la démocratie, c’est-à-dire à la république : en vérité, notre expérience historique nous l’enseigne depuis longtemps. L’action antiterroriste de l’Etat est méthodiquement contraire à la république.
- Ce que nous mettons ici en évidence, c’est que l’affrontement de l’étatisme et du terrorisme les compose en un obstacle dynamique et cohérent incompatible avec toute citoyenneté, toute démocratie et toute république, et que cet obstacle envahit totalement le champ de la politique en nourrissant à la fois le terrorisme et l’étatisme.
- Ces raisons nous conduisent à répondre : non, ce n’est pas en appliquant cette violence-là, qui est celle de l’Etat, de cette manière-là, qui suspend les droits humains et civiques, que l’on peut lutter efficacement contre le terrorisme ; les moyens efficaces de la lutte anti-terroriste ne sont pas dans l’étatisme : ils sont dans un exercice des droits humains et civiques délibéré, plus intense, plus complet et vraiment décidé par les citoyennes et par les citoyens, étant bien entendu que cet exercice inclut la critique de toute l’activité des gouvernements ! Pour être parfaitement clair, je rappelle que la critique d’une chose, quelle que soit cette chose, est l’effort de raison qui conduit à la comprendre.
- C’est donc en amont de l’interférence des entreprises terroristes et des politiques des Etats que les citoyennes et les citoyens que nous sommes doivent s’en prendre au terrorisme ; ils doivent le faire au plus près de l’émergence du terrorisme, en assurant le libre exercice de leurs droits humains et civiques contre deux contraintes :

  • la menace que l’entreprise terroriste exerce au moyen d’attentats, et par laquelle elle tente de paralyser la citoyenneté,
  • et la contrainte directe par laquelle l’Etat restreint la citoyenneté, pour la maintenir dans l’incapacité de limiter le régime d’inégalité et le prélèvement du profit.

- La première de ces contraintes est une menace aiguë et circonstancielle, la seconde est une limite permanente et habituelle ; mais les deux concourent au même danger : celui de l’annihilation des droits humains et civiques.
- Cela se manifeste par le fait que le conflit entre l’entreprise terroriste et la politique de l’état se conclut toujours par une réduction des droits humains et civiques :

  • lorsque l’Etat défait l’entreprise terroriste, les chefs de la classe dominante se servent toujours de sa victoire pour justifier la restriction des Droits de l’Homme et du Citoyen posée en principe de la méthode antiterroriste d’Etat ; de cette manière, la bourgeoisie se maintient au pouvoir, l’Etat sort renforcé de la confrontation, et tout cela améliore les conditions pour un prélèvement du profit accru ou stabilisé ;
  • si c’est au contraire l’entreprise terroriste qui sort victorieuse de la confrontation, elle porte au pouvoir les commanditaires des attentats, lesquels réorganisent alors l’Etat de manière à s’assurer à eux-mêmes un meilleur prélèvement du profit : ils maintiennent en réalité la classe bourgeoise au pouvoir, se contentant d’opérer une réorganisation interne à la bourgeoisie en lui adjoignant peut-être quelques personnalités, et de renforcer son Etat en alourdissant les structures policières et en étendant considérablement leurs pouvoirs, comme l’expérience de l’Allemagne nazie, celle de l’Italie fasciste et d’autres nous en ont instruits.

- Nous observons qu’une même essence anime le terrorisme et l’étatisme : la course des propriétaires de capitaux au profit maximal ; le terrorisme n’aboutit jamais à détruire l’Etat, mais seulement à réarranger les forces de la bourgeoisie ; étatisme et terrorisme sont deux mouvements destructeurs de l’exercice libre et plénier des droit humains et civiques par tous les membres de la société, c’est-à-dire qu’ils répriment tous deux la citoyenneté elle-même : la citoyenneté n’a pas un, mais deux ennemis mortels : l’étatisme et le terrorisme.
- Les efforts contradictoires que produisent l’Etat et l’entreprise terroriste lorsqu’ils s’affrontent ont le même effet sur les droits des citoyennes et des citoyens : les suspendre et les annihiler : la citoyenneté n’est pas seulement réprimée par le terrorisme agissant seul et par l’étatisme en l’absence de terrorisme : elle est réprimée aussi, et bien plus encore, par leur affrontement.
- Dans ces conditions, pouvons-nous attendre de la victoire de l’Etat sur l’entreprise terroriste ou de sa défaite par l’entreprise terroriste une modification du rapport des forces politiques de la société de de nature à garantir qu’aucune nouvelle entreprise terroriste ne se formera ?
- En aucun cas : pour vaincre le terrorisme, il faut mobiliser les forces de la citoyenneté qui font obstacle au terrorisme, celles qu’il entreprend de faire taire au moyen de la peur ; il faut les mobiliser à un niveau supérieur à leur expression actuelle, qui laisse libre cours aux politiques de l’Etat bourgeois.
- Il faut les mobiliser sans craindre de les voir établir, enfin, la République.

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