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Haïti : l’indépendance assiégée

article proposé au forum de l’Echo le 24 janvier et publié le 18 février 2010

mercredi 27 janvier 2010, par Jean-Pierre Combe

- Les possessions américaines du royaume de France n’étaient pas isolées les unes des autres : la vente de la Lousiane aux Etats-unis d’Amérique, conclue six mois avant l’indépendance de Haïti par Napoléon Bonaparte, nous indique la mesure du problème que posait Haïti au gouvernement du Consulat.

- Lire aussi l’article Haïti : l’indépendance contre l’esclavage auquel celui-ci fait suite
- Notre historiographie officielle ne voit de cause à cette vente que dans la perspective prochaine d’une guerre contre l’Angleterre et dans le besoin d’argent qu’aurait éprouvé Napoléon Bonaparte pour la préparer ; il se peut que ces considérations aient joué un rôle, mais d’autres facteurs ont certainement pesé plus lourd dans cette décision : déjà la guerre napoléonienne pour la reconquête esclavagiste de Haïti était perdue ; nous savons que la Révolution, l’abolition de l’esclavage par la Convention avaient levé un vent d’espoir dans toutes les Antilles françaises : quelle tempête aurait-elle pu naître en Louisiane de ce vent et de la victoire de la République en Haïti, si Haïti était restée reliée aux autres antilles françaises et à la Louisiane ? Cependant, Napoléon Bonaparte pouvait tout au plus isoler Haïti de la Martinique et de la Gouadeloupe, mais il n’était pas de taille à affronter le problème de la Louisiane... : il fut sans doute bien aise de s’en débarrasser en vendant la Louisiane aux Etats-unis d’Amérique !...
- En conquérant l’indépendance, le peuple de Haïti mit fin à la propriété mi-aristocratique, mi-bourgeoise fondée sur l’esclavage qui avait assuré la fortune des planteurs.
- Mais l’ancienne métropole avait trahi les lois républicaines qu’elle s’était données, son armée exécutant les ordres du Premier Consul enleva crapuleusement Toussaint Louverture, lui donna une mort infâme, de faim et de froid, au fort de Joux, département du Doubs, commit un génocide contre le peuple de l’île : tout cela blessa profondément et durablement le peuple de Haïti en entachant de violence la représentation des sociétés nécessaire à l’élaboration d’institutions durables pour la République.
- De plus, l’isolement empirait toutes les conditions de la vie sociale en Haïti indépendante.
- Isolés du territoire de leur ancienne métropole par la politique impériale, les habitants de Haïti n’avaient plus accès aux textes qui avaient préparé la Révolution, la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen, l’abolition de l’esclavage décrétée le deuxième sextidi de pluviose an deux de la République (4 février 1794), et donné sa base à la juste lutte des habitants de l’île pour la liberté : ces textes étaient à Paris, et très peu d’entre eux avaient été apportés en Haïti. En rompant les relations autrefois tissées entre le royaume et sa possession haïtienne, l’empire de Napoléon Bonaparte a causé cet isolement intellectuel qui n’est pas pour rien dans le développement ultérieur des évènements.
- L’isolement intellectuel se combinait à l’isolement politique dans le monde : Haïti s’était rendue indépendante au milieu d’un océan parcouru par les flottes d’empires qui tous, et pas seulement celui de Napoléon Bonaparte, lui étaient hostiles. Ces empires étaient :

  • l’empire français (représenté par l’empire de Napoléon Bonaparte, puis par les royaumes restaurés de Louis 18, de Charles 10 et de Louis-Philippe, par l’empire de Louis-Napoléon Bonaparte, par la Troisième République et par l’Etat français de Philippe Pétain) ; au cours du dix-neuvième siècle, cet empire a activement étendu ses possessions en Afrique et sur toutes les mers du globe, instaurant dans toutes les terres dont il prenait possession un régime économico-politique d’inégalité explicitement organisé par une vision raciste de l’humanité : ce régime violait explicitement la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen ;
  • l’empire britannique, déjà bien étendu, et qui exploitait activement, sans se refuser à l’esclavage, ses colonies instituées selon les principes racistes qui gouvernent les castes inégales de la société anglaise ;
  • l’empire espagnol, tout aussi raciste que les précédents, qui pratiquait aussi l’esclavage et qui luttait contre l’amorce de son déclin ;
  • l’empire portugais, lui aussi raciste et esclavagiste, et au sein duquel la formation du royaume du Brésil commençait ;
  • les Etats-unis d’Amérique, ancienne colonie britannique devenue indépendante depuis une cinquantaine d’années ; l’indépendance avait été conquise à l’initiative et sous la direction de la bourgeoise coloniale, sans doute influencée par les Lumières philosophiques, mais l’indépendance ni les nouvelles institutions n’avaient rien changé à la division du travail, ni à la distribution de la propriété : les Etats-unis d’Amérique étaient tout aussi racistes et esclavagistes que l’avaient été les colonies américaines de l’empire britannique ( à la fin du vingtième siècle, ils sont encore racistes, ils ont seulement un peu modéré leur racisme) ; six mois avant l’indépendance de Haïti, ils avaient racheté la Lousiane contre argent à l’empire de Napoléon Bonaparte, et l’avaient intégrée à leur système économico-politique.

- On le voit, toutes les puissances qui entouraient Haïti, la « République noire », lui étaient hostiles, et cela dès le jour de son indépendance : aucune d’entre elles n’aurait considéré comme une faute de prendre possession de Haïti et de la soumettre.
- Défendre Haïti devint une obsession de ceux qui désormais la gouvernaient : la défense devint le but de toute l’économie. Contre la menace d’une invasion, on voulut s’armer à outrance ; pour les marchands de canons états-uniens, ce fut le pactole : Haïti payait au prix fort ; ces dépenses excessives lui valurent la déforestation, le développement d’une bourgeoisie autoritaire à l’extrême, l’appauvrissement extrême des prolétaires, l’inféodation aux Etats-Unis d’Amérique et les dictatures, qui sont la conséquence obligée de l’inféodation...
- Honte pour la France : le gouvernement du roi restauré Charles 10 a notifié à Haïti une créance exorbitante, sous prétexte de dédommager les colons chassés de Haïti par l’indépendance : cette créance était illégale au regard du décret d’abolition de l’esclavage de pluviose an deux de la République (février 1794) ; ensuite, tous les gouvernements de la France l’ont maintenue jusqu’à ce que le gouvernement de Haïti accepte, vers 1920, de la régler et que la « troisième République », en véritable gouvernement impérial, en encaisse le règlement !...
- Voilà résumée la calamité continue qui ravage Haïti depuis deux siècles, qui a détruit sa riche forêt tropicale et qui a empêché ses habitants d’équiper leur habitat et d’organiser leurs services de manière à limiter les conséquences des ouragans, fréquents sous ces lattitudes, et des tremblements de terre, dont nous savons depuis déjà plusieurs générations que dans les îles Caraïbes, ils sont probables !
- Cela pose aujourd’hui plusieurs questions : quel rôle vont jouer les troupes états-uniennes débarquées en nombre, et surtout en force, dans Haïti ? Quelle est leur véritable mission ? Respecteront-elles l’indépendance de la République de Haïti, ou vont-elles assurer le maintien de son inféodation aux Etats-unis d’Amérique ?
- Et que signifie le silence qu’observent les télévisions et autres « média » français sur l’aide réelle apportée au peuple de Haïti par Cuba socialiste, tant en médecins cubains qu’en médecins haïtiens formés gratuitement et sans contre-partie à Cuba ? Sur l’aide apportée par le Vénézuela bolivarien et par d’autres pays d’Amérique latine ? Ces journalistes croient-ils que ce qui est bon pour les banquiers des USA est bon pour la France ?
- Oui, le peuple haïtien a besoin de notre solidarité ! Mais ce n’est pas être solidaire des femmes et des hommes que de contribuer à les soumettre à la servitude ! De ce point de vue, l’invasion de Haïti par les troupes états-uniennes est lourde de dangers : en aucun cas, la solidarité ne nous commande de soutenir la présence militaire états-unienne sur le sol de Haïti, au contraire !

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