Ami de l’égalité

La loi du 16 décembre 1964

Le rapport de Paul Coste-Floret

vendredi 16 avril 2010, par Jean-Pierre Combe

- Introduisant son rapport sur la proposition de loi, Paul Coste-Floret rappelle d’abord la déclaration par laquelle le gouvernement de la RFA annonce que les crimes de guerre en général, qu’il s’agisse des crimes contre la paix, contre l’humanité ou des crimes de guerre proprement dits, seront prescrits le 8 mai 1965.

Des crimes inexpiables

- Le rapporteur fait état de l’émotion que cette déclaration a déclenchée dans le monde, particulièrement vive dans notre pays, où elle a causé les amples protestations de diverses associations, et jusqu’en Allemagne fédérale, au point que celle-ci envisagerait d’arrêter la prescription en engageant des poursuites, et peut-être de déposer un projet de loi.
- Il rappelle que la Pologne, l’Union soviétique, l’Etat d’Israël et d’autres pays ont déclaré ces crimes imprescriptibles, informe l’Assemblée nationale de ce que la République démocratique allemande s’apprête à le faire, et que la prescription pénale n’existe pas dans les Etats anglo-saxons...
- Ayant ainsi constaté que la prescription n’est pas un principe universel du droit, le rapporteur dit que, peut-être, la meilleure solution devrait être internationale, le crime contre l’humanité étant un crime international. Pour lui, cette raison devrait conduire les Etats signataires de la convention contre le génocide à dire à tous les pays que les crimes contre l’humanité relèvent du droit international, et que par là même, ils sont imprescriptibles.
- Paul Coste-Floret établit alors les sources du droit qui qualifient les crimes contre l’humanité : à cette fin, il rappelle que notre Constitution reconnaît les traités internationaux ratifiés par la France comme source du droit français, et que le 8 août 1945, la France a signé l’accord qui a créé le tribunal de Nuremberg, et dont la résolution des Nations unies du 13 février 1946 a pris acte :
- Il cite l’article 6 de la Charte du tribunal de Nuremberg, qui définit ces crimes :

  • Les crimes contre l’humanité, c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toute population civile avant ou pendant la guerre ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions , qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du tribunal en liaison avec ce crime.
  • Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot pour commettre l’un quelconque des crimes ci-dessus définis, sont responsables de tous les actes accomplis par toute personne en exécution de ce plan.

- Paul Coste-Floret précise alors que c’est en présence de ces sources du droit absolument indiscutables qu’il a élaboré, avec Raymond Schmittlein, une proposition de loi tendant à constater l’imprescriptibilité des crimes commis contre l’humanité.

De la prescription

- Le rapporteur note que les Romains n’ont introduit la notion de prescription dans leur droit pénal que tardivement et sans l’étendre à tout le champ de ce droit : ils lui interdisaient en effet certains crimes. En 1764, le jurisconsulte anglais Jeremy Bentham publie un Traité des délits et des peines, dans lequel il décrit ainsi la prescription : C’est le triomphe de la scélératesse sur l’innocence, car le spectacle d’un criminel jouissant en paix de son crime, protégé par les lois qu’il a violées, est un appât pour les malfaiteurs, un objet de douleur pour les gens de bien, une insulte publique à la morale. Paul Coste-Floret remarque que l’on pourrait reprendre cette description pour l’appliquer aux crimes contre l’humanité.
- Il informe l’assemblée que dans les Etats anglo-saxons, notamment aux Etats-unis et en Grande-Bretagne, le droit commun ne prescrit ni l’action publique contre le crime, ni la peine qu’encourt le criminel.
- Il rappelle encore qu’en cas de désertion en temps de guerre, à l’étranger ou devant l’ennemi, le droit français ne permet de prescrire ni l’action publique, ni la peine.
- Ces différences rendent nécessaire l’examen de ce qui a fondé les législateurs des différents pays à prescrire certains crimes, et les raisons pour lesquelles ils en ont maintenu d’autres hors du domaine d’application de la prescription ; ces raisons, le rapporteur les trouve dans la nature des crimes.

Des causes de la prescription

- Les fondements de la prescription sont le dépérissement des preuves et le défaut d’exemplarité : or, la nature des crimes contre l’humanité est telle que les fondements de la prescription leur manquent.
- Et en effet, chacun le constate : depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les preuves de ces crimes se sont accumulées et leur exemplarité est devenue totale : c’est cela qui les rend imprescriptibles.

La France n’est pas seule au monde

- Paul Coste-Floret fait alors état de ce qu’il a obtenu de trois juristes titulaires de charges dans des institutions judiciaires internationale ou étrangères des consultations qui confirment ses conclusions : ces trois personnalités sont la présidente du Tribunal administratif des Nations unies, un conseiller à la Cour de Cassation de Suisse et un juge au tribunal de Bruxelles.

Imprescriptibles par nature : pour mettre les points sur les i

- Le rapporteur explique alors que la loi en débat ne décide pas que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, mais se limite à constater que leur nature les fait imprescriptibles : la date ou le lieu auxquels ils ont été commis ne changeant rien à la nature de ces crimes, la loi proposée au vote de l’Assemblée nationale les rend imprescriptibles quels que soient cette date et ce lieu, et son effet sera d’interdire en tous temps et en tous lieux qu’ils soient prescrits.
- Le génocide, quant à lui, est un crime contre l’humanité parmi d’autres, et par conséquent, cette loi s’appliquera pleinement à lui.

Une décision longuement annoncée

- Le rapporteur fait état de l’impressionnante série des proclamations solennelles faites dans le même sens par les gouvernements alliés de la France :

  • 27 octobre 1941 et 27 avril 1942 : les gouvernements anglais, états-unien et soviétique posent le châtiment des criminels de guerre comme l’un de leurs buts majeurs dans la guerre.
  • 13 janvier 1942 : les délégués des nations envahies réunis à Londres placent parmi leurs principaux buts de guerre le châtiment par le moyen d’une justice organisée des coupables ou responsables des crimes qu’ils ont ordonnés ou perpétrés, ou auxquels ils ont participé. Ils décident de veiller dans un esprit de solidarité internationale à ce que les coupables ou responsables soient recherchés, mis à la disposition de la justice et jugés. Ils s’engagent à ce que les sentences prononcées soient exécutées.
  • 8 septembre 1942 : Churchill déclare à la Chambre des Communes : Afin qu’un avertissement ineffaçable soit donné aux temps à venir et que les nouvelles générations puissent dire : ainsi périrent ceux qui commettent de tels crimes.
  • 18 décembre 1942 : déclaration interalliée sur l’extermination des populations juives d’Europe.
  • 30 octobre 1943 : les ministres des Affaires étrangères anglais, états-unien et soviétique réunis à Moscou déclarent : les puissances alliées poursuivront les criminels de guerre jusque dans les régions les plus éloignées de la Terre et les remettront aux accusateurs afin que justice soit faite.
  • 11 février 1945 : la conférence de Yalta déclare sa volonté de traduire en justice tous les criminels de guerre et de les châtier rapidement.
  • 8 juin 1945 : déclaration de l’Angleterre, des Etats-unis, de la France et de l’Union soviétique.
  • 2 août 1945 : statuts du Tribunal militaire international,
  • 13 février 1946 : déclaration des Nations unies ;
    • ces deux derniers documents sont les deux sources du droit pour la proposition de loi mise ici en débat.
  • 14 décembre 1948 : résolution des Nations unies définissant le génocide et les crimes contre l’humanité.

- Devant cette liste, Paul Coste-Floret déclare impossible que le 8 mai 1965, les plus grands criminels nazis puissent bénéficier de la prescription.
- Puis, posant l’hypothèse que Hitler ne soit pas mort, il invoque la fin de vie somme toute paisible de Guillaume 2, pour refuser l’éventualité que Hitler voie ses crimes prescrits et trouve asile dans quelque pays pour y finir tranquillement ses jours.
- Le rapporteur conclut qu’en constatant la nature imprescriptible des crimes contre l’humanité, le gouvernement français tiendra les promesses des gouvernements alliés et restera fidèle au souvenir des morts de la guerre et à celui des héros et des morts de la Résistance.

Après lecture de ce rapport

- Il me semble parfaitement faux de dire aujourd’hui que Paul Coste-Floret, rapporteur de cette loi, ait pensé qu’elle servirait à traiter la prescription des crimes de guerre autrement que celle des crimes contre l’humanité ; au contraire, les arguments qu’il expose sont tels que la réponse qu’il aurait apportée, et qu’il a peut-être apportée, à celui qui lui aurait dit :
- Les crimes contre l’humanité sont les crimes suprêmes, et par conséquent, il faut interdire la prescription des seuls crimes contre l’humanité, et permettre la prescription de tous les autres, y compris les crimes de guerre !
- Cette réponse ne fait pour moi aucun doute : Paul Coste-Floret aurait répondu :
- Ce n’est pas la suprématie du crime qui compte ; voyez si les raisons de les prescrire jouent ou ne jouent pas :

  • les preuves des crimes de guerre, dépérissent-elles ? Non !
  • les crimes de guerre, perdent-ils leur exemplarité ? Non !

- Donc, il ne faut pas permettre que les crimes de guerre soient prescrits !

P.-S.

- Lire aussi :

- Dans les articles suivants, j’analyse les interventions faites par les députés dans le débat qui a conduit au vote de cette loi :

- Lire aussi Il n’y a pas de raison de prescrire les crimes de guerre !

- Notez bien :
- Le compte-rendu de la séance du 16 décembre 1964 de l’Assemblée nationale a été publié, selon la bonne règle, dans le Journal officiel de la République française : la règle voulait alors que les Journaux officiels de la République française soient expédiés aussitôt publiés aux mairies des chefs-lieux de canton ; par conséquent les textes analysés dans cette série d’articles sont disponibles dans les dépôts d’archives de ces communes, lorsque ces dépôts existent encore ; si les réformes administratives qui ont supprimé nos cantons ont conduit à la disparition de ces archives, on doit de toutes façons trouver les Journaux officiels dans les dépôts d’Archives départementales.

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0