Ami de l’égalité
Accueil du site > Les Amis de l’Égalité > Le temps laïc > Jalons pour l’histoire du calendrier républicain

Jalons pour l’histoire du calendrier républicain

Quatre moyens de tuer la liberté

dimanche 21 août 2005, par Jean-Pierre Combe

la révolution calendaire

- Faire la révolution, c’était, et c’est encore, ouvrir à chacun l’accès à la liberté dans tous les domaines. Il était évident aux yeux des sujets du roi de France que nul n’est libre dans un domaine quelconque si, chaque fois qu’il veut y faire un pas, il lui est nécessaire de consulter une autorité, même la plus bienveillante, ou de subir une initiation qui le distingue de ses compatriotes.

- Il en est bien ainsi lorsque nous voulons savoir quel jour nous sommes, ou quelle heure il est : le calendrier que les sujets du roi de france consultaient alors, et que nous consultons encore aujourd’hui, a été établi et est maintenu par le Pape, qui n’est que le chef religieux qui commande aux catholiques, et dont beaucoup de sujets du roi, des protestants de diverses nuances aux juifs et aux athées refusaient et rejetaient l’autorité.
- C’est ainsi qu’en septembre 1792, au moment où les habitants du royaume, ayant pris conscience de ce qu’ils n’avaient nul besoin d’un roi, abolissaient son autorité, il leur apparaissait à l’évidence que l’objet de libérer les citoyens devait être appliqué aussi à l’estimation de l’écoulement des années, des saisons, des mois, des jours et des heures ;
- cela les conduisait à rejeter le calendrier du pape, qui restait comme le dernier domaine où son autorité pouvait s’exercer sur l’ensemble de la société : la Convention accompagna la création de la République de la mise en chantier d’un calendrier nouveau, pour les temps nouveaux.
- Ce calendrier devrait être établi hors de l’autorité d’une religion, et rapprocher le plus possible le citoyen de la maîtrise de ce qu’il fait lorsqu’il détermine le moment présent.
- Il en est résulté quatre conditions auxquelles satisfait le calendrier républicain :

  • la société (la République) prend conscience de l’année astronomique réelle, divisée en douze mois selon le passage du soleil dans les constellations du zodiaque ;
  • c’est l’observation astronomique directe par les citoyens qui détermine le commencement de l’année : à cette fin, l’Observatoire de Paris est mis à la disposition du peuple ; obligation est faite aux astronomes qui s’y activent de renseigner les citoyens sur le mouvement du soleil et des astres ; le calendrier et l’heure deviennent un service public ;
  • le calcul de la date, ainsi que l’enseignement de ce calcul, sont simplifiés : les douze mois de l’année ont le même nombre de jours, 30, et sont divisés en trois décades, c’est-à-dire comptés dix par dix et non plus sept par sept ;
  • chacun des jours de l’année reçoit pour nom celui d’un objet, plante ou animal dont il est certainement important de s’occuper ce jour-là, ou un jour proche, si l’on a intérêt à son exploitation. Sauf les minéraux, dont les noms sont regroupés pour les jours du mois où la végétation dort.

- Satisfaisant à ces quatre conditions, le calendrier républicain ne dépend plus d’une autorité, pas même celle de l’"Etat", et les citoyens, estimant l’écoulement du temps selon ce calendrier, sont en droit de se sentir libres : le calendrier républicain est laïc.
- Il faut souligner que l’observation des mouvements diurne et annuel du soleil consiste en des actes et en des raisonnements accessibles à l’enfant dès lors qu’il s’est mis à raisonner, et dont la connaissance, qui suppose au moins une pratique sommaire, est notablement enrichissante pour cet enfant. Les révolutionnaires qui s’attachaient à fonder l’école républicaine avaient résolu que cette école donne à ses élèves l’occasion de tirer de cette connaissance, et donc aussi de la pratique sommaire sans laquelle elle n’est rien, le meilleur profit.
- En vérité, l’élaboration du calendrier républicain fait partie du grand mouvement révolutionnaire qui élaborait des concepts éducatifs cohérents avec le mouvement des lumières philosophiques en introduisant l’astronomie et d’autres disciplines de la science dans l’enseignement républicain, avec pour projet que cet enseignement accueille réellement tous les enfants du territoire de la République.
- Le principe de laïcité seul pouvait permettre une telle élaboration ; les révolutionnaires le savaient déjà, mais nous en avons aujourd’hui une preuve supplémentaire, a contrario, dans toutes les évolutions mauvaises, les dégradations, qu’a subies notre système scolaire et universitaire sous l’effet des réformes antilaïques qui sont devenues le système de réformes appliqué en France avec un remarquable esprit de suite depuis les lois antilaïques du début de la "cinquième république".
- Au bout de la révolution qui, en l’an 1 de la République (1792-93) s’attachait à fonder les transformations politiques sur le principe de l’égalité en droits de tous les êtres humains et dans une révolution délibérée de la culture, le citoyen devenait libre d’inscrire dans ce calendrier les échéances de tous ses ordres d’intérêt, et en particulier celles de ses rites religieux : rien ne permet de dire que le calendrier républicain serait un argument de lutte antireligieuse ; il ne l’est pas !
- Au contraire, la laïcité du calendrier républicain fait de lui un très bon moyen à la disposition des citoyens affidés aux différentes religions pour vivre et travailler ensemble dans le respect de l’égalité de leurs droits.
- Grâce au calendrier républicain, ceux des religions minoritaires cessent d’être humiliés par un rite qui leur est étranger ou handicapés dans l’accès aux responsabilités, sans pour autant que ceux de la catholique soient atteints dans leur foi. -A la fin du dix-huitième siècle, nombreux étaient les catholiques qui l’ont pratiqué avec les protestants, avec les juifs, et il est bon aujourd’hui de penser à cette ouverture, alors que, tant par conversion de Français que par immigration, la France s’enrichit de nouvelles religions, qui ne règlent pas leurs rites sur le calendrier grégorien, qu’elles soient chrétiennes comme l’orthodoxe ou non-chrétiennes comme l’islam ou le bouddhisme.
- Il est important de ne pas oublier que nombre de français sont athées et ne reconnaissent absolument aucune raison d’adopter telle ou telle religion : la liberté de conscience, c’est le droit de pratiquer la religion de son père ou celle de sa mère, s’ils en ont une, certes, mais c’est aussi le droit de se convertir à une autre religion, et c’est encore le droit de ne croire en aucun dieu, et c’est en outre celui de reconnaitre que la religion est création de l’Homme !
- L’adoption par la Convention du calendrier républicain, de quelque point de vue qu’on l’examine, a totalement respecté la liberté des consciences individuelles : si la Convention a adopté ce calendrier, elle ne l’a pas rendu obligatoire ! -En vérité, seuls ceux des catholiques qui avaient fait de la religion le moyen d’exercer le pouvoir sur autrui ont eu à se plaindre de la mise en pratique du calendrier républicain : encore ne pouvaient-ils se plaindre que de la désobéïssance d’êtres humains qu’ils considéraient comme objets de leur propriété !
- Mais justement, c’est pour ne plus être soumis à ce statut d’objet de propriété que les sujets du roi de France se sont rebellés en faisant la révolution : qu’un humain soit un objet de propriété, c’est précisément en cela que consiste l’esclavage, dont le servage féodal n’est qu’une version aménagée : les profiteurs de cette société royaliste, aristocrates ou princes d’église, ont bien mérité qu’on les appelle aujourd’hui des intégristes !...
- Les guerres de Vendée le confirment encore : au cours de ces guerres, religion, roi et république n’étaient que mots de ralliement, auxquels on obéïssait ou non selon comment on comprenait quel rapport à la terre ils affectaient au paysan ; leur enjeu véritable n’était en effet ni la religion, ni le roi, ni la République ; l’enjeu des guerres de Vendée était celui de toutes les guerres paysannes : la terre, que les paysans revendiquaient comme la ressource dont ils tiraient leur vie, et que les riches bourgeois s’appropriaient en achetant des biens nationaux : sous le nom de système de dépopulation, Gracchus Babeuf dénonçait et condamnait cette action de violence contre la paysannerie vendéenne qui n’était rien d’autre que la première guerre coloniale de la bourgeoisie française parvenue au pouvoir, avec tout ce que cela implique !

La mise en déclin du calendrier républicain

- Le calendrier républicain n’a même pas eu une année d’existence sans entraves : le 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794), le parti des grands bourgeois commettait un poutch, faisait guillotiner les membres du gouvernement révolutionnaire, et mettait la main sur celles des fonctions gouvernementales essentielles qui lui avaient échappé à l’automne 1792, lors de la proclamation de la république.
- Aussitôt seul au pouvoir, il a mis en exploitation l’horreur que suscitait dans le peuple le cycle des guerres locales, des exécutions et des règlements de comptes qui semblait n’en jamais finir : cela consistait à mettre sur le dos des révolutionnaires les morts de la Terreur, tous connus par leurs noms et prénoms, par l’accusation portée contre eux, par la sentence qui les a condamnés, par le tribunal qui l’a prononcée et par le lieu de leur exécution, mélangés pêle-mêle avec ceux, au bas mot dix fois plus nombreux et presque toujours exécutés sans jugement, en cachette au coin d’une rue, derrière une haie ou au fond d’un bois, victimes de la Terreur blanche déclenchée contre la Révolution après la mort de Robespierre et de Saint-Just, ainsi qu’avec ceux tombés victimes directes ou indirectes des batailles sanglantes que livraient un peu partout les ci-devant privilégiés pour rétablir leurs privilèges contre les lois nouvelles, en vertu des droits à la violence dont ils jouissaient sous l’Ancien Régime !...
- Par cette manipulation dont les effets sont encore présents, le parti des grands bourgeois assimilait les Jacobins à des criminels ; il faisait de ce mot une étiquette infamante commode au service de tous les règlements de comptes et de tous les liberticides, contre tous les projets qui, par leur caractère révolutionnaire, porteraient ombrage à la bourgeoisie :
- c’est ainsi que le gouvernement grand bourgeois, porté au pouvoir par le coup d’Etat de Thermidor an 2 de la République, a accolé l’étiquette jacobine à l’école des lumières philosophiques, l’a accusée de tous les crimes, l’a condamnée et a fait abandonner son institution dans la République.
- L’école des lumières philosophiques supprimée, l’usage du calendrier républicain était entravé.
- Ayant constitué le gouvernement que nous appelons le Directoire, ces chefs de la caste riche, continuaient d’user de la violence pour se maintenir seuls au gouvernement ; ils avaient pourtant besoin d’un minimum de soutien populaire pour juguler les oppositions vigoureuses et souvent violentes auxquelles leur politique se heurtait :
- pour l’obtenir, ils se présentaient en défendeurs de la République ; c’est ce qui les a conduits à prendre les décrets du 14 germinal, du 17 thermidor et du 13 fructidor an 6 de la République (3 avril, 4 et 30 août 1798), qui rendaient obligatoire la généralisation du calendrier républicain.
- Cet acte d’autorité n’était qu’un faux-semblant, un palliatif illusoire au désengagement du peuple : l’obligation calendaire faisait du calendrier républicain un moyen d’exercer le pouvoir ; il devenait une des obligations rituelles par lesquelles le parti au pouvoir dissimulait la distance croissante qui le séparait du peuple et réduisait la République à son contraire : la religion du gouvernement ; l’effet véritable de cet acte d’autorité fut de rendre fatale et prochaine la disparition du calendrier républicain.
- La grande bourgeoisie brandissant ces faux-semblent faisait la place à l’empire à venir.

L’interdiction du calendrier républicain

- Les principaux dirigeants du parti des grands bourgeois avaient fait l’édication politique, entre autres, de Napoléon Bonaparte ; lorsqu’ils l’eurent porté au pouvoir et fait couronner empereur par le pape, c’est à lui qu’il revint de sanctionner la disparition du calendrier républicain par l’interdit.
- Cet interdit est l’objet du "sénatus consulte" hypocritement daté du 22 fructidor an 13 de la République (9 septembre 1805) : ce "sénatus consulte" rétablit l’usage du calendrier grégorien à la date hypocritement désignée dans le calendrier que l’on interdit du 14 nivose an 14 de la République, qui est le premier janvier 1806 dans le calendrier du pape Grégoire, auquel on revient.
- Ainsi, les gouvernants de la caste riche ont usé contre le calendrier révolutionnaire de quatre moyens liberticides trouvés dans la panoplie de l’Ancien Régime :

  • le plus connu est d’interdire la liberté gênante : mais employé seul, il n’a que l’efficacité de la police ;
  • le plus cynique est la calomnie : mais la critique populaire peut le rendre inopérant ;
  • le plus sournois est d’en détruire les moyens : il produit de grands effets si le temps ne lui est pas trop compté, et si nulle revendication ne s’y oppose ;
  • le plus hypocrite est d’en faire une obligation : sur une liberté malade ou mutilée, ses effets sont foudroyants.

- Même en combinaison, l’impressionnante puissance liberticide des moyens de cette panoplie n’a pourtant rien pu contre la révolution pendant les deux premières années de la République. L’assujettissement des citoyens n’est pas fatal, mais deux siècles après thermidor an deux de la République, il faut maintenir notre conscience de ce que la liberté n’est pas fatale non plus ! Il appartient au citoyen de la faire vivre et de la défendre : c’est l’essence même de la République.

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0