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D’où vient la population qui a fait la langue française ?

Elle vient de toute l’Europe, de toutes ses religions, et ses ancêtres ont parlé des dizaines de langues européennes !

lundi 14 novembre 2011, par Jean-Pierre Combe

- L’article Pourquoi les idiomes de France disparaissent-ils aujourd’hui ? ne démontre pas seulement l’innocence essentielle de la république dans toute répression comme dans toute tentative de répression des idiomes parlés par les membres des peuples, par les travailleurs :

- Cet article illustre aussi le fait que celui qui étudie l’histoire ne peut rien comprendre aux évènements qu’il étudie, surtout à ceux d’une révolution, s’il réfute ou s’il néglige l’affrontement des groupes de femmes et d’hommes socialement et économiquement déterminés.
- Sociales et économiques, ces déterminations essentielles sont généralement compliquées de facteurs déterminants accessoires, souvent ethniques, tels que les idiomes parlés par les membres des peuples ; ce sont sans doute les plus importants des facteurs accessoires participant à la détermination des groupes qui s’affrontent au cours des évènements historiques : les idiomes sont aussi des mouvements du champ de l’étude historique ; ils évoluent selon l’évolution de l’usage qu’en font les femmes et les hommes qui les parlent. Nous devons comprendre qu’au fil de leur vie, les femmes et les hommes façonnent leurs langues par l’usage qu’ils en font.
- L’affrontement des groupes socialement et économiquement déterminés ne cesse jamais, et nous savons qu’il est tout ensemble l’essence et la consistance des évènements dont la succession constitue l’histoire, et qu’il est particulièrement actif dans les moments de crise où se montre à l’évidence la révolution des sociétés humaines : il faut donc faire ici quelques remarques sur ce que fut cet affrontement au cours de notre Révolution.

1- La révolution transforme la contre-révolution

- Quelques semaines seulement après le coup d’Etat du 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794), Gracchus Babeuf nous en rappelait l’importance en faisant le point sur l’évolution des forces affrontées dans la révolution.
- Il écrivait ainsi qu’au début, tout le monde était révolutionnaire, sauf le roi, et notait qu’ensuite, chaque fois qu’une mesure prise par le gouvernement ou par l’assemblée révolutionnaire avait satisfait la revendication d’une catégorie de la population, les membres de cette catégorie s’opposaient aux revendications encore non satisfaites, devenant ainsi contre-révolutionnaires, de sorte que lorsque vint le moment de déchoir le roi de la royauté (qui fut le moment de convoquer la Convention), il ne restait plus dans le camp de la Révolution que les vrais amis de l’égalité et l’immense classe des travailleurs.
- Babeuf met ainsi en évidence deux faits importants :

  1. d’abord, l’élargissement progressif du camp de la contre-révolution : au fur et à mesure de ce qu’ils jugeaient satisfaisantes les nouvelles lois, les députés aux Assemblées représentatives ne se souciaient plus que de la défense égoïste de leurs droits de propriété : s’opposant par conséquent aux nouvelles avancées de la Révolution, ils devenaient contre-révolutionnaires ;
  2. ensuite, ce qu’il en est résulté pour la base sociale de la République : lors de sa fondation et pendant les deux ans de son existence, la République avait pour base sociale la seule classe des travailleurs ; cette classe était très largement majoritaire dans le pays, c’est pourquoi Babeuf la dit immense ; mais elle était absente de la Convention ; dans cette assemblée, le camp républicain n’était plus représenté que par quelques députés minoritaires ; d’autres citoyens militaient activement pour la république à l’extérieur de la Convention, notamment parmi les membres des Sociétés populaires et des Comités révolutionnaires des villes et des départements : ce sont ces députés et ces autres citoyens que Babeuf appelle « les vrais amis de l’égalité ».

- L’importance de ce constat, c’est que Babeuf y met en évidence la cause des violences qui se sont déchaînées pendant les deux années de la première République (1792-1794) ; examinons de plus près la formation des partis qui se sont alors affrontés.
- La société que la révolution a détruite, qu’est-ce que c’était ?
- La tendance actuelle de l’idéologie qui nous domine est de nous présenter l’Ancien Régime comme une société divisée en trois ordres, la « noblesse » (l’aristocratie), le clergé et le tiers état, dont les deux premiers étaient privilégiés, ces trois ordres étant réunis sous l’autorité du roi, régnant seul par l’effet d’un droit divin, c’est-à-dire d’un corps de règles juridiques que nul ne peut changer.
- Un examen un peu plus précis des évènements déroulés au cours des deux derniers siècles de l’Ancien Régime nous montre d’abord non pas deux, mais trois catégories sociales privilégiées : au sein du tiers état en effet, la grande bourgeoisie était bien protégée par le roi, et ses membres jouissaient de fortunes tout-à-fait comparables à celles des grands aristocrates.
- Remarquons aussi que dans chacune de ces catégories privilégiées, bourgeoisie comprise, les rapports interpersonnels obéïssaient à des logiques restées stables sur une période dont la longueur nous invite à regarder plus attentivement comment s’est formé le royaume de France à partir de la Gaule et de l’Empire romain.

2-Les sociétés antiques de la Gaule et de la péninsule italienne

- L’étude historique de la Gaule a commencé récemment ; elle est assez difficile, à cause de la rareté des documents écrits : elle ne peut progresser que par la coopération de plusieurs disciplines combinant l’étude des traces écrites et celle des vestiges laissés par ces peuples, tels qu’anciennes constructions, objets, etc…
- La Gaule : une mosaïque de langues et de dialectes
- Pendant les derniers siècles avant l’invasion de la Gaule par les légions de Jules César, ce pays était peuplé de quelque cent peuples portant des noms différents ; ces peuples parlaient autant d’idiomes différents, apparentés entre eux de telle manière que l’on devrait pouvoir les regrouper en une quinzaine de dialectes régionaux ; Jules César, dans ses commentaires, les regroupe en trois grandes régions linguistiques, dont deux sont celtiques et la troisième (l’Aquitaine) ne l’est pas.
- Au nord des Pyrénées et au voisinage de la côte méditerranéenne, une grande partie du territoire était occupée par des tribus parlant d’autres langues, notamment le basque, le ligure, mais aussi le grec à Marseille et à Nice…
- Même s’il est déjà complexe, ce schéma donne pourtant une vue excessivement simplifiée de la réalité ; nous devons comprendre que la langue n’était pas un facteur d’unité de la société gauloise : et pourtant, cette société fut stable pendant plusieurs siècles !
- La Gaule : l’unité par la culture
- Ce sont les activités de certains hommes qui unifiaient la Gaule : ces hommes étaient les druides ; ils n’étaient pas seulement prêtres : ils étaient économistes, ingénieurs, enseignants et certainement aussi artistes (musiciens) ; ils étaient aussi banquiers : ils assuraient la garde (dans les temples) et la circulation de l’or gaulois, et s’en servaient pour équilibrer les échanges (ce que la bourgeoisie de notre Moyen Age a appelé « faire de la banque ») et financer leurs propres activités, depuis les études d’ingénieurie et d’économie qu’ils faisaient pour les différentes tribus, jusqu’à la formation des futurs druides.
- Les effectifs affectés à la garde des dépôts et des convois d’or n’étaient pas très nombreux : l’or gaulois était gardé par les superstitions et coutumes, c’est-à-dire par la morale, autant et même plus que par des gardes armés : Jules César nous dit que même lorsqu’ils traversaient les territoires de tribus gauloises en guerre, les convois d’or n’étaient jamais attaqués.
- Les études pour devenir druide duraient trente ans, et l’enseignement était oral ; toutefois, les futurs druides apprenaient aussi l’usage de l’alphabet grec pour les notes écrites nécessaires à certains travaux : ils prenaient ces notes dans leur propre langue, ce qui nous laisse malgré tout quelques rares et brefs documents écrits rédigés dans quelques-unes des langues de la Gaule, sans que ces documents soient assez nombreux pour donner une véritable première approche de la connaissance d’une seule de ces langues.
- Le facteur d’unité de la Gaule était donc l’ensemble institué des activités des druides, dont la religion n’était qu’une partie.
- La Gaule : la production
- Le mode de production était esclavagiste et tribal ; du point de vue de la propriété, l’esclave n’est qu’un objet comme un autre, comme un bœuf ou comme une bêche ; le trait caractéristique de l’esclavage est que le maître a droit de vie et de mort sur chacune et chacun de ses esclaves, tout comme il a le droit de briser une bêche et de tuer un bœuf. Dans chaque tribu, la plupart des esclaves étaient membres de la même ethnie, voire de la même tribu que leurs maîtres ; le renouvellement de la population d’esclaves était assuré principalement par les naissances, et chaque groupe d’esclaves transmettait ses savoir-faire aux enfants de ses membres ; ce mode de renouvellement assurait la transmission d’une génération à l’autre des techniques du travail et des progrès de ces techniques.
- Les peuples gaulois connaissaient la métallurgie du fer, et dans une grande partie de la Gaule, les agriculteurs gaulois labouraient déjà la terre au moyen de charrues à coutre, soc et versoir, portées par un avant-train mobile.
- La péninsule italienne : langues et ethnies
- L’enseignement dispensé dans nos écoles a longtemps tendu à nous laisser croire que l’étude de la cité de Rome suffisait pour connaître toute la péninsule italienne ; et dans cette région, l’étude des vestiges laissés par les peuples autres que le peuple latin, d’ailleurs difficilement distingué de celui de Rome, est sans doute encore plus récente que celle des peuples de la Gaule.
- Comme les peuples de la Gaule, les peuples d’Italie étaient divers et parlaient des langues diverses : nous connaissons principalement les Grecs, installés dans quelques colonies, les Latins, fondateurs de la ville de Rome, les Etrusques, les Ligures,… leurs cultures étaient vraisemblablement tout aussi diverses que leurs langues ; il semble que les familles étrusques se formaient selon la lignée maternelle, et non paternelle comme celles que nous connaissons depuis le moyen âge.
- La péninsule italienne : la production
- Comme les peuples de la Gaule et comme tous les peuples sédentaires, ceux d’Italie connaissaient l’agriculture et l’élevage… En outre, les Etrusques extrayaient de leurs montagnes les minerais métalliques.
- Dans la péninsule, les rapports de production étaient esclavagistes de mode familial et tribal, sans doute proches de ceux de la Grèce et très comparables à ceux de la Gaule.
- Il semble aussi que les débuts de Rome aient vu la fin de la famille de lignée maternelle : la langue latine conserve en effet dans son vocabulaire des vestiges de ce type de famille. C’est la famille patriarcale qui lui a bientôt succédé ; dans cette famille, le paterfamilias (patriarche ; littéralement, « père de famille ») a droit de vie et de mort sur tous les membres de sa famille.
- Rome, ou l’esclavage en grand
- Très tôt, les citoyens de la petite cité esclavagiste de Rome avaient inventé d’occuper aux travaux agricoles, dans les villas (les domaines ruraux), les esclaves faits au cours d’expéditions dans les cités voisines : elle augmentait ainsi les effectifs des esclaves astreints à travailler la terre, ce qui lui assurait une production agraire supérieure ; mais pour appliquer ces esclaves au travail et pour les y maintenir, il fallait les placer sous la menace toujours renouvelée d’une grande violence : par l’effet de cette violence, ces esclaves avaient une espérance de vie beaucoup plus courte que ceux de l’esclavage familial ou tribal : employer des esclaves ramenés d’expéditions de force armée donnait aux propriétaires terriens (aux « citoyens romains ») un incessant besoin de recompléter les effectifs, et pour cela, d’amener de nouveaux esclaves dans les villas ; en même temps, la vente de produits agricoles en plus grande quantité leur assurait les moyens d’acheter des esclaves.
- Il fallait donc ouvrir des marchés aux esclaves et les approvisionner ; c’est-à-dire créer dans la routine de la vie de la cité romaine un commerce des esclaves.
- Pour rendre routinière la production des esclaves, Rome organisa une force armée permanente, les légions romaines, avec pour mission permanente d’approvisionner les marchés aux esclaves, où viennent se fournir les maîtres de villas, le produit de la vente des esclaves assurant le financement de la solde des légionnaires et de l’équipement des légions.
- Cela doit nous conduire à voir dans chaque légion une unité mobile de production d’esclaves destinés à la vente au marché : Rome a inventé et mis en fonction la production marchande quasi-industrielle des esclaves.
- Donc, les guerriers romains faisaient sans cesse de nouveaux esclaves au détriment de toutes les cités voisines ; l’autorité de Rome sur ses voisines en résultait : c’était le sous-produit de la production en grand des esclaves, dû à la terreur que tout cela inspirait aux peuples voisins de Rome.
- Sans cesse lancées à la chasse aux esclaves, les légions dévastaient toujours plus de territoires dont le maintien en production appelait au plus vite l’établissement de nouvelles villas : le trafic des esclaves nécessaires au maintien du système productif des villas était l’essence même de l’expansion de Rome.
- Du point de vue de la production, l’incessant renouvellement des effectifs des esclaves pesait négativement sur la qualité de leur travail, ainsi que sur la transmission des savoir-faire d’une génération à l’autre : l’esclavage en grand a limité au niveau médiocre les techniques employées et la qualité du travail fait dans la cité et dans les villas romaines ; c’est ainsi que dans les villas, les esclaves travaillaient la terre au moyen d’araires de bois, et qu’ils le faisaient toujours aux temps de l’empire.
- A Rome, le royaume antique prit fin lorsque les propriétaires d’esclaves résolurent de pousser au plus fort l’avantage qu’ils tiraient de l’abondance avec laquelle les légions pouvaient approvisionner les marchés aux esclaves : ils réorganisèrent alors leur caste, appelant res publica leur assemblée générale, et faisant de leur sénat (l’assemblée des anciens) le conseil d’administration de la caste, pour conduire les expéditions militaires au gré de leurs besoin en esclaves et pour reculer les limites de l’esclavage. C’est ainsi que la res publica a succédé au royaume.
- Ne soyons pas dupes des mots ! Notre mot de « république » est directement dérivé de l’expression latine res publica, qui se traduit en français par « chose publique », mais son sens est le sens contraire ; la res publica romaine n’est que l’institution au moyen de laquelle les « citoyens romains », qui sont les propriétaires des villas romaines, organisent l’esclavage en grand, alors que selon notre concept, la République n’existe que si toutes les femmes et tous les hommes qui vivent sur son territoire jouissent de droits égaux, ce qui fait de la République l’ennemie mortelle de tous les systèmes esclavagistes !
- Par l’organisation et la régulation du trafic des esclaves, la « république » romaine transformait progressivement la caste des « citoyens romains » : celle-ci confondait de plus en plus toute morale dans la violence des rapports de force ; elle devenait ainsi la maffia exploitant le trafic des esclaves dans l’ensemble du territoire que contrôlait la ville de Rome.
- La conquête romaine de la Gaule les dommages qu’elle a causés
- Afin de justifier son entreprise devant le sénat de Rome, Jules César déclara qu’il y avait en Gaule beaucoup d’or, et qu’il voulait s’en saisir.
- Dans ce but, il devait faire parcourir la Gaule à ses légions.
- Mais le mode d’action des légions n’était pas de conquérir l’or, ni d’occuper le territoire : c’était de faire des esclaves.
- Esclavagistes, les sociétés de la Gaule pouvaient accepter de vendre leurs esclaves, ou ceux qu’elles auraient pris dans les tribus voisines en vue de les vendre.
- C’est de cela que Jules César a joué : il concluait des accords avec telle ou telle tribu, aux termes desquels celle-ci vendrait des esclaves au commandant des légions, que ce soit les siens, ou qu’elle les ait pris de force à quelque tribu voisine.
- Les tribus qui refusaient de traiter devenaient des objectifs pour de prochaines expéditions ; ces expéditions pouvaient être le fait de quelque légion, mais aussi bien de quelque tribu alliée de Rome, ou des deux agissant ensemble.
- De cette manière, les légions ont parcouru toute la Gaule ; elles s’emparaient de l’or à l’occasion, lorsque l’itinéraire d’une expédition les faisait passer devant un temple où il en était gardé : s’emparer de l’or était pour elles une mission secondaire.
- Le vol de l’or gaulois par Jules César fut le sous-produit de la production en grand d’esclaves gaulois par les légions qu’il commandait.
- Le hold-up
- Lorsqu’il n’y avait plus d’or sur le territoire d’une tribu, elle avait perdu la contre-partie de tous les échanges qu’elle entretenait avec les autres tribus ; tout son commerce traditionnel et toutes ses perspectives d’innovation étaient perdus : la tribu ne pouvait plus survivre qu’en s’intégrant dans l’économie romaine, c’est-à-dire dans le trafic des esclaves, et cela impliquait qu’elle adopte le modèle romain, étranger à la Gaule, du mercantilisme et des villas consommatrices d’esclaves.
- La conquête du territoire gaulois fut donc le sous-produit de deux processus violents : le premier, économique, était la production en grand des esclaves ; le second était le vol de l’or.
- Le génocide
- Il a suffit d’un peu moins d’une décennie aux légions de Jules César pour conquérir la Gaule ; les dégâts causés par cette conquête furent énormes : sur le plan humain, les peuples gaulois perdaient non seulement leurs guerriers tués dans les combats, mais aussi les femmes et les hommes que les légions prenaient et vendaient sur les marchés aux esclaves, et qui ne revenaient jamais plus ; certains auteurs ont évalué les pertes de ces dix ans de conquête romaine à une proportion située entre le cinquième et le tiers de la population du territoire conquis : la définition donnée par l’ONU au génocide s’applique pleinement à la conquête de la Gaule par Jules César.
- Les dommages causés à la Gaule par la conquête ne se réduisent pas à ces morts et à ces déportations : Jules César ayant volé tout l’or gaulois à main armée (l’histoire connaît-elle plus énorme hold-up, et plus sanglant ?), la corporation des druides s’effondrait complètement, et la culture gauloise perdait la seule institution qui assurait sa durée (c’est là un deuxième critère introduit par l’ONU pour définir le génocide).
- La colonisation
- Sous cette pression, les chefs gaulois qui acceptaient l’alliance romaine, que ce soit par intérêt ou sous la contrainte, adoptaient bientôt les coutumes de leur allié ; c’est ainsi qu’un grand nombre d’entre eux s’étaient faits romains et propriétaires de villas lorsque la conquête de la Gaule fut achevée.
- La conséquence de tout cela fut l’extrême brutalité et le caractère totalitaire de la substitution de la culture mercantile de l’esclavage en grand à la culture gauloise…
- La res publica se transforme en l’impérium romain
- Lors de la fin de la conquête de la Gaule, le sénat de Rome se soumit au commandant suprême des légions (imperator) Jules César comme à un parrain maffieux ; la république devint un empire qui s’étendit tout autour de la Méditerrannée : c’était toujours la caste des « citoyens romains » qui exploitait les terres où s’étendait l’empire.
- En Gaule, les énormes pertes subies par les tribus avaient annihilé toute résistance ; le mercantilisme impérial reconvertissait rapidement les restes disloqués de l’économie gauloise en villas, en leur imposant la cohérence économique du trafic des esclaves : telle est la réalité de la colonisation romaine.
- Fausses raisons du triomphe romain
- Nos livres scolaires d’histoire nous ont longtemps enseigné que Rome a conquis la Gaule parce que sa civilisation était supérieure, et que les Gaulois n’ont eu qu’à se féliciter de la conquête. Il faut considérer cette représentation de l’histoire gallo-romaine du dernier demi-siècle avant Jésus-Christ comme fausse ; la seule raison d’enseigner ce mensonge fut véritablement que les chefs qui dirigeaient la France depuis le dix-neuvième siècle avaient besoin que les Français croient à cette fable pour leur faire accepter l’infâme aventure du colonialisme.
- La vérité est qu’au temps du royaume, puis de la « république » romaine, les sociétés gauloises étaient aussi développées et civilisées que pouvaient l’être celles de la péninsule italienne ; leur culture essentiellement orale utilisait l’écriture (en alphabet grec) pour ses besoins accessoires, et assurait à ces sociétés une intéressante cohérence entre elles.
- Le mode gaulois de l’esclavage était certainement peu différent du mode en vigueur en Grèce, ou dans la péninsule italienne avant l’esclavage en grand.
- Justement, le passage de Rome à l’esclavage en grand a conduit les villas à revenir, pour le travail de la terre, à des techniques plus sommaires, donc marquées d’archaïsme, alors même que les sociétés gauloises gardaient la possibilité de perfectionner les leurs.
- La vraie raison du triomphe romain
- Ce qui a assuré la suprématie de Rome en Gaule et sur le pourtour de la Méditerranée n’est ni la supériorité de sa civilisation, ni la supériorité de ses techniques mais seulement une grande supériorité quantitative d’une production médiocre, la simplicité fonctionnelle du mercantilisme et la mise en œuvre d’une institution industrielle et marchande de la violence armée, contre des sociétés riches, mais dont l’économie avait un fonctionnement beaucoup plus complexe.
- L’ordre impérial
- Nombre des propriétaires des villas de la Gaule étaient des chefs des tribus gauloises : leur conception du travail les avait conduits à intégrer dans les villas les savoir-faire gaulois, et pour cela, à employer les esclaves gaulois sans démembrer leurs communautés de travail ; les villas gauloises présentaient donc d’importantes différences avec celles de Rome : les esclaves y vivant plus longtemps, leur besoin de renouveler l’effectif au travail était moindre que celui des villas de la péninsule italienne ; pour la même raison, le travail des villas gauloises était d’une qualité supérieure.
- Mais la coutume gauloise des guerres tribales s’était muée en une source gauloise abondante d’instabilité et de désordre : Rome devait établir et assurer l’ordre impérial en Gaule ; cela consistait à :

  1. maintenir le peuple dans la soumission, c’est-à-dire au travail ;
  2. remettre en fonction, ou fonder et mettre en fonction les institutions nécessaires au trafic des esclaves et aux autres commerces : ces institutions sont les marchés (aux esclaves principalement) et les infrastructures nécessaires aux convois de marchandises ;
  3. établir et assurer le prélèvement régulier d’une part de toutes les richesses des territoires, et faire parvenir son produit au conseil d’administration de la maffia, c’est-à-dire au Sénat de Rome.

- Rien de tout cela ne fit cesser l’instabilité gauloise : Si Rome a établi en Gaule l’ordre impérial, elle n’a jamais pu le stabiliser.
- Les conditions linguistiques de la Gaule romaine
- Pour que le travail des villas continue, ou reprenne celui traditionnel des peuples gaulois, il fallait que les esclaves gaulois conservent l’usage de leurs dialectes : cela donnait aux chefs des tribus gauloises un très net avantage sur les Romains dans la constitution de villas en Gaule et dans la conduite de leur travail.
- Dans les villas de la Gaule, seuls le maître et quelques personnes autour de lui avaient besoin de savoir parler latin.
- Sous l’empire romain donc, les dialectes gaulois et autres se sont maintenus dans le peuple ; les maîtres des villas, les notables et les fonctionnaires de l’empire parlaient latin, soit qu’ils soient eux-mêmes romains, soit qu’ils se soient ralliés à l’empire et faits romains ; d’un lieu à l’autre, ce latin pouvait présenter des différences de prononciation permettant à chacun d’identifier à l’oreille le lieu où résidaient habituellement ses interlocuteurs ; mais ces différences restaient limités à la prononciation et ne nuisaient pas à la compréhension : maîtres de villas, notables et fonctionnaires de l’empire parlaient la même langue.
- La « décadence » de l’Empire romain
- Lorsque l’extension de l’empire éloigna à l’excès les sources du trafic, c’est-à-dire les tribus barbares non soumises à son autorité, et que la résistance croissante de ces tribus multiplia les difficultés des expéditions légionnaires, les légions romaines commencèrent à manquer à leurs missions essentielles.
- Faire de nouveaux esclaves devenant de plus en plus difficile, le trafic des esclaves entra en obsolescence : cela privait les légions de leur financement, et par conséquent, cela privait les fonctionnaires de l’empire de l’obéïssance des légions, qui était la seule assise de l’autorité de l’empire.
- L’obsolescence du trafic des esclaves mit les marchands d’esclaves à la recherche d’autres marchandises, que les institutions de l’empire ne pouvaient leur offrir : ils développèrent le commerce jusque-là secondaire des denrées ; afin de faire commerce des objets qui, auparavant, étaient le butin matériel des rapines légionnaires, ils se tournèrent progressivement vers les tribus barbares, dont l’artisanat avait une grande valeur.
- D’accord avec la haute église catholique en France, l’administration de notre Education nationale a toujours vulgarisé la représentation selon laquelle « l’empire romain entrait en décadence » ; il est vrai que jusque là, le seul moyen de son autorité était la violence, sans base morale : la religion de la Rome antique était en effet beaucoup trop compliquée et confuse pour encadrer l’action des légions et pour s’imposer aux tribus gauloises, germaniques, bretonnes ou, plus généralement, barbares ; l’empire rencontrait sans cesse l’opposition de résistances croissantes, que la violence impériale suscitait et nourrissait : le moment venait où ces résistances à l’empire devenaient plus fortes que l’empire, comme le montraient les révoltes des bagaudes, dès le troisième siècle du calendrier julien...
- Donc, la hiérarchie impériale perdait en même temps la principale source de sa richesse et l’autorité de l’empire.
- La caste au pouvoir perfectionne l’empire
- Pour pallier sa perte d’autorité, la maffia qui gouvernait l’empire romain se mit à la recherche d’un expédient dans l’alliance de tribus barbares (ce mot signifiait alors : étrangères à Rome) : la conquête et ses conséquences avaient rendu impossible une solution gauloise, et s’il avait fallu une confirmation de cette impossibilité, les notables et les cadres de l’empire l’auraient trouvée précisément dans les révoltes des bagaudes.
- C’est vers les tribus germaniques que se tourna l’empire ; les citoyens romains avaient en effet maintes fois constaté que les liens tribaux établis entre les chefs de ces tribus et leurs compagnons assuraient une discipline bien supérieure à celle en usage dans la hiérarchie légionnaire : cette raison conduisait le gouvernement de Rome à penser que l’ordre impérial serait bien mieux maintenu par les tribus germaniques que par les fonctionnaires de l’empire.
- L’empire, donc, divisa la Gaule en plusieurs régions et proposa à quelques tribus germaniques la charge d’y maintenir l’ordre impérial.
- Les chefs de ces tribus avaient de fortes raisons d’accepter cette mission : s’installant en Gaule de cette manière, porteurs d’une commission délivrée par l’empire en difficulté, ils devenaient les chefs d’un pays riche, aux rapports de production efficaces, bien équipé en voies de communications, dont le peuple produisait un travail de bonne qualité, et tout cela presque sans coup férir.
- C’est ainsi que les premières tribus germaniques s’installèrent en Gaule.
- Les conditions linguistiques créées par la présence des tribus germaniques
- Les tribus germaniques n’avaient pas intérêt à bouleverser les collectifs que formaient les esclaves au travail : ceux-ci conservèrent leurs idiomes d’avant la conquête romaine, les langues celtiques ou non celtiques de leur travail.
- Par contre, notables et fonctionnaires de l’empire durent évoluer : les nouveaux chefs de chaque région avaient appris le latin par l’usage et le parlaient concuremment avec leur première langue, la langue germanique de leur tribu : leur parler était donc profondément et durablement marqué par l’influence de cette langue.
- Les fonctionnaires d’empire, dont la langue était le latin, subirent désormais cette influence chaque jour et à toute heure ; à la longue, ils ne pouvaient pas maintenir leur propre parler latin à l’abri de l’influence du parler de leurs chefs.
- Dans chaque région, les notables dont la famille pouvait être romaine ou avoir, depuis plusieurs générations, choisi de le devenir, subissaient aussi l’influence des parlers des nouveaux chefs régionaux ; parmi eux, les riches marchands et leurs commis avaient encore une autre raison de recevoir cette influence : ils avaient vu en effet l’opportunité, pour leur commerce, de tirer parti du maintien de liens tribaux entre ceux qui prenaient en charge l’administration de l’empire et ceux qui étaient restés en Germanie.
- Il restait pourtant dans leurs usages un facteur tendant à maintenir l’unité de la langue latine : depuis les débuts de l’empire romain, c’est en latin qu’ils traitaient les affaires de leur commerce entre villes de différentes régions, et leur intérêt était évidemment de continuer à le faire.
- La conséquence inévitable est que dans chaque région de la Gaule romaine administrée par une tribu germanique, le latin s’imprégnait peu à peu de l’influence des langues des tribus germaniques de leurs chefs : en quelques dizaines d’années, ces influences ont inscrit leur marque dans la prononciation, la syntaxe (les tournures de propositions et de phrases), le vocabulaire, la flexion des mots (la morphologie) du latin ; la base latine des nouveaux idiomes assurait l’intercompréhension des chefs et des commerçants au niveau minimum nécessaire.
- Mais ces influences divergeaient : les différentes tribus installées dans les différentes régions parlaient des langues germaniques suffisamment différentes pour que des personnes parlant l’une d’elles puissent très bien ne pas comprendre celles qui en parlaient une autre...
- L’installation en Gaule des tribus germaniques fut donc un puissant facteur de division de la langue latine qui y était parlée ; les influences fortement divergentes de leurs langues n’ont pas divisé le latin en dialectes de la même langue, mais en langues différentes et apparentées : on pourrait dire que ces langues ont la même mère, mais ne sont pas du même père.
- L’Empire romain se modernise : fin de l’esclavage
- Le renouvellement des effectifs au travail devenait de plus en plus difficile et lent : le maintien de la production nécessitait de plus en plus que les esclaves vivent plus longtemps, et que leurs effectifs se renouvellent naturellement : les maîtres d’esclaves furent conduits à changer leurs méthodes.
- Le temps venait de reconnaître aux esclaves le droit à la vie aussi longtemps qu’ils restaient sur la terre qu’ils avaient à travailler, ainsi que le droit de s’apparier et d’avoir des enfants, lesquels vivraient dans les mêmes conditions que leurs parents ; naturellement, les esclaves n’avaient aucun besoin du latin et continuaient à parler leurs langues du travail, celtiques ou non celtiques ; cependant, comme partout dans l’empire, la fuite d’un esclave restait un crime pouvant être puni de mort.
- Dans les villes, les esclaves employés aux tâches domestiques étaient assez proches des maîtres pour que ceux-ci n’ait jamais pu se passer d’un minimum d’humanité : il n’y eut que peu de changement dans les méthodes de leur exploitation ; quant aux esclaves employés aux tâches du stockage, de la manutention et du transport des marchandises, les employeurs préféraient souvent les rémunérer à la tâche, et remettaient leur surveillance à la police urbaine ; telle est, dans les villes de la Gaule, l’origine du prolétariat urbain salarié, dont les membres habitent au hasard des rues et gagnent tâche après tâche leur maigre pitance.
- Les notables des villes faisaient ressource de prélèvements sur les marchandises qui passaient par leurs mains pour être échangées : ils inventaient ainsi le droit bourgeois ; en même temps, ils cherchaient à fonder l’autorité de leurs administrations urbaines plus solidement que ne l’avait été l’autorité impériale ; plusieurs religions se répandaient dans l’empire et prétendaient fonder la morale sociale : au bout de décennies de luttes religieuses souvent violentes, les notables des villes gauloises se rallièrent à la religion chrétienne de Rome, qui se répandait en Gaule parmi les riches marchands et les fonctionnaires d’empire en descendant l’ancienne hiérarchie de l’empire romain et en suivant les circuits du grand commerce continental.
- Fort logiquement, cette évolution spécialisait les fonctions de l’administration urbaine : certains notables se consacraient au maintien des obligations morales par le moyen de la religion : ils sont devenus le clergé ; principalement formé d’anciens fonctionnaires d’empire et de notables héritiers du commerce de l’empire, le clergé parlait latin ; les rapports qui le liaient au gouvernement de l’Eglise, qui siégeait à Rome, cultivaient évidemment sa pratique du latin.
- Les autres notables s’appliquaient à protéger leur propriété, à gérer et à développer leur commerce, ainsi qu’à régler la police des villes dans ce nouveau cadre moral : leur évolution a fait d’eux, collectivement, ce que les économistes des 17è et 18è siècles ont identifié comme la classe sociale bourgeoise ; cette « proto-bourgeoisie » parlait latin pour les affaires qu’elle faisait de ville à ville, mais ses rapports avec les nouveaux chefs des régions et les affaires qu’elle faisait avec les parties de leurs tribus restées en Germanie la soumettaient à l’influence linguistique de ces tribus.
- Tous ces changements de statut annonçaient seulement l’avènement prochain de la société féodale.

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