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meeting au stade municipal de Tulle

S’unir, combattre, travailler

avec Maurice Thorez, le dimanche 8 avril 1945

lundi 7 mai 2012

- Cette relation du meeting est parue dans l’Avenir de la Corrèze, bi-hebdomadaire des comités du Front national antifasciste pour la Libération de la France, en date du 12 avril 1945.

Tulle, la ville qui pleure ses 140 suppliciés, a réservé un accueil inoubliable à Maurice Thorez, le champion de l’unité française dans le combat contre la barbarie fasciste

- (...)
- Après l’exécution de l’Internationale et de la Marseillaise que toute l’assistance écoute debout, la présidence d’honneur est dédiée à la mémoire des camarades morts, tandis que la présidence effective est dévolue à Pierre Ganne, du secrétariat régional.

Un tel rassemblement est sans précédent dans les annales du département

- (...)
- Après que Jean Goudoux eut remercié les personnalités présentes à la tribune, ... , il donne la parole à Louis Ganne qui se réjouit d’un tel rassemblement sans précédent dans le département, parce que la population corrézienne apporte ainsi la preuve de son désir de voir le fascisme abattu et la France renaître.
- Clément Chausson, un vétéran du parti communiste de notre Corrèze, prend à son tour la parole et voit dans ce rassemblement un autre motif de se réjouir : car si le parti communiste, malgré les difficultés de l’heure, peut remuer des foules pareilles, cela tient à ce qu’il n’est pas une petite secte fermée, mais un grand parti ouvert à tous, un grand parti constructif. Communistes, nous avons pleine conscience de nos responsabilités, nous sommes prêts à les assumer, dit-il.

Car il ne faudrait pas laisser croire à notre peuple que la lutte est finie

- (...)
- Nous saluons Staline, nous admirons profondément le régime qui a fait sortir la Russie du chaos où elle était plongée il y a quelque 25 ans, mais nous ne sommes ni des automates, ni des plagiaires. Telle forme de gouvernement, bonne pour un pays donné, n’est pas forcément bonne pour tel autre. C’est le génie d’un peuple qui doit déterminer le régime de ce peuple. Ce n’est ni à Londres, ni à Washington, ni à Moscou que nous, Français, devons aller chercher nos directives ; c’est la France qui vous les donnera, afin que soit établi le régime qui lui assurera la force, la liberté et le bonheur.
- Avant que Maurice Thorez ne prenne la parole, Ganne vient annoncer que Georges Marranne, président du Conseil général de la Seine, délégué du Front national à l’Assemblée consultative, est présent à la tribune.

Le discours de Maurice Thorez

Un parti qui peut se pencher sur son passé

- Certains se souviennent certainement de nos réunions tenues à la halle, en 36. Nous sommes fiers qu’il n’y ait plus de salle assez grande dans le département pour contenir les citoyens et les citoyennes répondant à l’appel de notre parti communiste, se félicite-til.
- Pourquoi ? Parce que nous ne vous avons pas trompés. Parce que chacun sait que si le programme du Front populaire avait été appliqué, bien des malheurs auraient été évités. Malheureusement, la France votait alors en deux blocs :
- L’un pour le Front populaire ;
- L’autre, un peu moins nombreux, contre le Front populaire ; là était une masse de braves gens, auxquels nous voulions tendre la main, bons Français, abusés par quelques mauvais bergers.
- Nous voulions tendre la main aux travailleurs catholiques et lutter ensemble afin que notre pays ne soit pas ravagé par le fascisme et la guerre.
- Certains se moquèrent, disant avec un sourire : « Les curés avec nous ! »
- Or, ne sont-ils pas venus, les curés ? N’y a-t-il pas eu, dans notre maquis, des curés, luttant au premier rang, avec les nôtres ?
- Catholiques comme communistes, croyants comme incroyants, nous ne devons pas nous laisser désunir.
- Nous avons critiqué la non-intervention en Espagne, qui nous faisait glisser de concession en concession jusqu’à Munich. Munich fut célébré comme une grande victoire de la paix ; ceux qui avaient consommé la plus grande défaite de notre pays en revinrent comme de grands vainqueurs le 4 octobre 1938 ; Munich, ce n’était pas la paix, c’était le crime contre la démocratie, le crime contre l’Union Soviétique, le crime contre la France. Les évènements ont assez montré que nous ne nous sommes pas trompés. On nous a reproché à nous, communistes, d’être les empêcheurs de danser en rond, et d’avoir toujours la critique à la bouche.
- Où sont maintenant les Spinasse, les Peschadour ?
- Nous avons connu la défaite. Les 99 pendus et 40 fusillés de Tulle, Oradour sur Glane et tant d’autres épisodes de l’occupation nazie en sont la conséquence. Je salue vos martyrs, vos héros, les Chirin, les Delord et les autres. Je salue les mères et les femmes de vos disparus, je salue cet ouvrier venu de la Corrèze, Pierre Mouly, dont nous nous moquions un peu, gentiment parce qu’il se rendait avec un poème à chacune de nos réunions. Il était ouvrier à Ivry et il est revenu en Corrèze pour mourir face à l’ennemi, les armes à la main. Pour le combat sacré, - où devaient se distinguer tant des nôtres, - nous avons réalisé le front français et ensemble, à l’appel du gouvernement provisoire de la République, à l’appel du Conseil de la Résistance, nous avons déclenché l’insurrection nationale, avec l’aide de nos grands Alliés, de nos soldats d’Afrique, des forces françaises de l’intérieur.

Des tâches énormes nous attendent car ...

... car la France sera ce que nous la ferons

- L’armée Rouge - s’écrie Maurice Thorez – est maintenant entrée dans les faubourgs de Vienne. Où en serait notre pays, où en serait l’Europe, où en serait le monde sans le peuple soviétique ?
- Quant à nos propres troupes, poursuit l’orateur, elles ont franchi le Rhin et occupé les premières villes allemandes. Le soldat français se bat non seulement sur le territoire allemand, mais aussi là-bas, en Indochine, contre l’agresseur japonais.
- Mais nous n’avons pas été invités à Yalta. Si déjà nous avions été en lutte, si nous avions pu participer en plus grand nombre à la lutte contre l’Allemagne, peut-être y aurait-il eu « Quatre grands ».
- Mais cela, c’est déjà le passé ; ce que nous devons dire et répéter, c’est :

  • que l’alliance franco-soviétique est un des éléments essentiels de notre sécurité future ;
  • que la grandeur de notre pays ne doit pas être basée sur les mérites du passé, mais sur sa puissance matérielle, c’est-à-dire sur une forte armée française ; il faut que notre peuple travaille à l’usine et aux champs et que nos soldats combattent sur tous les champs de bataille ; il faut aussi que les îlots de résistance allemande, la Pointe de Grave, Saint Nazaire, etc ... disparaissent.

- Il faudrait que les deux millions de Français et de françaises qu’Hitler a déportés soient arrachés de ses mains sanglantes.

Pourquoi n’avons-nous pas encore une grande armée ?

- Il nous faut d’abord une grande armée. Notre armée est maintenant plus réduite qu’elle ne l’était en août 1944 ; plus réduite que celle des pays balkaniques. Pour quelles raisons ?
- On reste accrochés à des conceptions périmées, on ne réalise pas encore qu’il nous faut une grande armée française. Il nous faut une puissante aviation, mais aussi d’autres armes, de l’infanterie, 10, 15, 20, 30 divisions ; notre artillerie devrait jouer un grand rôle dans la marche commune contre Berlin.
- Pourquoi n’avons-nous pas ces divisions ?
- Parce qu’on n’a pas fait une confiance suffisante aux FFI et aux vertus militaires de notre peuple. En 1792, l’armée du peuple a sauvé le pays.
- C’EST LA MOBILISATION DE TOUT NOTRE PEUPLE QUI A CONDUIT NOTRE PEUPLE À LA VICTOIRE.
- Je vous dis, chers camarades, ce sera bien si en avril 1945, 8 mois après la libération, on nous annonce la constitution de la deuxième armée française, la première ayant été organisée en Afrique du Nord.

Les assauts contre la Résistance Que reproche-t-on au colonel Rivier ?

- Je ne veux pas insister sur les incidents regrettables de ces derniers mois. J’ai reçu des protestations contre le fait que le colonel commandant la douzième Région, le colonel Rivier, un homme ne manquant pas de compétences, ait été relevé de ses fonctions. C’est pourtant un polytechnicien distingué qui s’est affirmé dans le commandement qu’il a exercé dans le Maquis.
- D’autre part, nos Alliés se sont engagés à nous livrer des armes. Nous devons nous-mêmes faire un grand effort pour en fabriquer pour une grande armée française.
- Disons-le : la machine ne tourne pas rond.

La machine ne tourne pas rond, pourquoi ?

- La révolution nationale a jeté un profond malaise dans le pays, mais le tableau n’est pas aussi noir qu’on veut nous le faire croire. Nous étions et nous resterons un grand pays d’exportation. Il s’agit de travailler.
- Nous ne manquerons ni de fer ni de bauxite ; alors, c’est la main-d’œuvre qui fait défaut.
- Nous comptons actuellement un demi-million de chômeurs régulièrement inscrits !
- Manquons-nous donc de techniciens ? Est-ce que chez les ouvriers il y a maintenant absence de la moindre volonté de lutte ? Pensent-ils qu’ils ne doivent plus travailler ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
- C’est qu’on ne change pas assez ce qui devrait être changé dans notre Maison de France ; IL Y A MÊME UN SABOTAGE SOURNOIS.

L’héritage de VICHY

- Maurice Thorez évoque alors les 3000 services constitués par Vichy et maintenus à l’heure actuelle : services employant 350000 fonctionnaires. C’est ce que Vichy appelait le gouvernement à bon marché.
- Ces services subsistent donc, parfois sous d’autres noms. Il y a le comité de l’escargot, le comité central de la confiture, le comité de la basse-cour.
- Turgot avait voulu faire tomber les barrières entre provinces, nos ancêtres ont lutté pour que soient abattues ces barrières. Aujourd’hui, nous avons 90 départements et 90 frontières.
- « Savez-vous que le seul marché noir du beurre – poursuit Thorez – rapporte à ses auteurs quelque 30 milliards de revenus annuels ? Vous direz que ce sont des milliards papier. Mais quand même.

PAYSANS ET OUVRIERS, UNISSEZ-VOUS

- Il y a mécontentement dans les villes aussi bien que dans les campagnes. Les paysans sont dressés contre les ouvriers et les ouvriers contre les paysans. Il faut examiner les revendications des uns comme celles des autres. Il faut que les salaires soient revalorisés. Mais d’abord je veus vous dire : chers camarades de la campagne – j’ai l’habitude de dire toujours la vérité, même si elle ne plaît pas – votre devoir est de surmonter toutes les difficultés et d’accepter tous les sacrifices pour pouvoir donner du ravitaillement à vos camarades des villes.
- Il est vrai, je le sais, que la pomme de terre à 2 francs le kilo n’est pas un prix suffisant pour le paysan. Il en est de même pour un cochon que l’on paye 35 francs le kilo ; une vache que la réquisition paye au paysan 5 à 6 mille francs alors qu’il est obligé de sortir 10, 12 ou 15 mille francs de sa poche pour la remplacer.
- Il faut supprimer la masse des intermédiaires et aussi :
- peut-être conviendrait-il d’opérer un retour au marché libre du vin, des pommes de terre et d’autres produits, car la coercition n’a jamais été une bonne méthode. Il faut faire appel à la conscience des uns et des autres. Là repose le salut du pays.

LA FRANCE VEUT QUE SOIT APPLIQUÉ LE PROGRAMME DU CNR

- Application du programme du CNR, cela signifie épuration, justice, châtiment des traîtres. Comment se fait-il que tant d’agents de la cinquième colonne puissent redresser la tête ?
- Il ne se passe pas de semaine, et même pas de jour, sans que l’ennemi du peuple fasse une provocation.
- Il faut que les autorités remplissent leur devoir.
- Il n’appartient à personne de se substituer aux pouvoirs constitués. Mais il faut que ceux-là rendent et fassent la justice, sinon le peuple peut se croire autorisé à se substituer à des organisme défaillants.
- IL FAUT LIBÉRER LE PAYS DE LA TUTELLE DES OLIGARCHIES FINANCIÈRES, et ce n’est là ni du communisme, ni du socialisme. Maurice Thorez précise nettement : le socialisme ne sera réalisé que lorsque les éléments qui veulent ce socialisme auront en eux tous les moyens de réaliser ce socialisme.
- Le peuple français ne nous a pas encore dit : communistes, appliquez votre programme communiste. Il nous a dit : vous vous êtes mis d’accord avec les socialistes, démocrates et autres partis de la résistance pour appliquer le programme de la résistance : appliquez le programme de la résistance.
- Nous avons, nous, communistes, apposé notre signature au bas de ce programme, nous ferons honneur à notre signature.

La France n’a qu’un désir : L’UNION

- Nous voulons faire un grand parti des travailleurs qui réunira socialistes et communistes.
- Nous manquerions à la parole donnée à nos morts si nous, communistes et socialistes, ne formions pas un seul parti... Nous avons chassé les Allemands pour que chacun puisse se sentir libre.
- Mais plus que ça, il faut, pour s’opposer, pour lutter victorieusement contre les tentatives des traîtres, unir toutes les forces démocratiques. A la seule consultative, il y a plus de 35 groupes représentés. Pourquoi cette multiplicité, dans laquelle, au demeurant, personne ne se reconnaît ?

L’école laïque, pas plus que la République, n’a failli à sa mission

- Maurice Thorez se déclare ensuite partisan convaincu des écoles laïques.
- J’étais moi-même un élève de l’école laïque. Ce qui est vrai, c’est que l’école laïque est un principe d’unité nationale et de liberté religieuse. Nous sommes, affirme-t-il, pour la liberté de l’enseignement, mais il faut que les enfants reçoivent une autre instruction que celle qu’on leur donne en ce moment.
- Est-ce travailler à l’union nécessaire à la France que de prétendre diviser les enfants dès l’âge scolaire ? Pourquoi dès lors n’aurions-nous pas des écoles protestantes, des écoles catholiques et peut-être israélites ? C’est impossible.
- Il nous faut une seule école. Il est même très bien pour ceux qui veulent être séparés dans la religion, qu’ils puissent se retrouver sur le même banc de l’école.
- Cela, je vous assure, beaucoup de nos camarades catholiques le comprennent.
- A l’assemblée consultative, 128 voix contre 48 avaient décidé que les subventions données aux écoles libres devaient être abolies.

L’ÉTRANGE ATTITUDE DE M. TEITGEN

- Est-ce que je manque à l’esprit national si je dis que les déclarations du ministre de l’information ne sont pas conformes au désir du pays, ne sont pas de nature à rassurer les Républicains ? Nous n’admettons pas, quant à nous, un autre système scolaire que l’école laïque.
- Or, M. Teitgen envisagerait, lui, de mettre sur pied un autre système. Qu’est-ce à dire ?

- Après avoir approuvé la proposition du Front national relative à l’établissement des listes uniques de la Résistance, Maurice Thorez conclut :

Il faut réaliser l’unité et tous unis combattre et travailler

- L’unité comporte des concessions mutuelles, et cela signifie au moins être deux.
- Chers camarades, nous n’avons jamais cessé de l’exprimer, il faut faire l’unité, il faut faire l’union nécessaire pour finir la guerre le plus vite possible. Nous devons nous efforcer d’être constamment unis.
- Je vous dis également que si, parfois, on a voulu jeter le discrédit contre les communistes, on s’est trompé. Ce n’est pas nous qui avons besoin d’amnistie. Des amnisties, c’est plutôt nous qui pourrions en accorder à d’autres.
- Rappelant les incidents de 39, M. Thorez s’exclame : après les coups portés contre nos militants, contre notre passé, contre notre parti tout entier, qui oserait soutenir que la place du secrétariat général du parti était ailleurs qu’à la tête de son parti ?
- En tous temps et en toutes ciconstances, nous avons conscience d’avoir rempli nos devoirs à l’égard de notre pays avant la guerre, pendant la guerre, sous l’occupation, et maintenant qu’il s’agit d’arracher la victoire :
- NOUS DEVONS NOUS UNIR AFIN QUE TOUS ENSEMBLE, QUELLES QUE SOIENT NOS CROYANCES, NOUS CONSTRUISIONS LA FRANCE FORTE, HEUREUSE, LIBRE, QUE NOUS VOULONS.

Ordre du jour voté à l’issue de cette manifestation, à mains levées :

- Vingt mille républicains antifascistes réunis à l’appel de la Région corrézienne du Parti communiste français au stade municipal de Tulle, après avoir entendu les exposés des camarades Clément Chausson et de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français, se déclarent d’accord avec les mots d’ordre S’UNIR, COMBATTRE, TRAVAILLER, pour l’application du programme du CNR, pour gagner la guerre et écraser le fascisme ;

  • DEMANDENT :
    • la suppression des organismes de Vichy existant encore ;
    • un relèvement des taxes des produits agricoles et la révision des impositions en tenant compte des possibilités locales de livraisons aux réquisitions ;
    • une épuration juste et ferme, le châtiment des traîtres qui ont collaboré avec l’ennemi.
  • Affirment leur volonté de poursuivre l’effort de guerre, regrettant que la France n’ait pas une grande armée nationale et que systématiquement soient écartés de cette armée les cadres nés de la Résistance.
  • Estiment que l’union de la Nation française, l’Union de tous les patriotes est absolument nécessaire pour reconstruire notre pays, pour que la France puisse retrouver son indépendance, sa grandeur, et porter toujours plus haut dans le monde le drapeau de la liberté.

- Présenté par Goudoux
- voté à l’unanimité

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