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Noirs, Blancs, Métis : où en est Cuba ?

jeudi 12 décembre 2013, par Jean-Pierre Combe

-La télévision cubaine, par sa chaîne Cubavision (canal 422 de Canalsat) diffuse en espagnol quantité d’informations très diverses et véridiques sur la vie culturelle et politique à Cuba ; pour ceux qui ne comprennent pas l’espagnol, les images et la musique (qui ne se réduit pas à la salsa, et de très loin !...) sont déjà très parlantes…
- Il y a quelques semaines, quelques membres de l’association Corrèze Cuba Estrella qui regardaient une émission de Cubavision ont saisi l’existence à Cuba d’un mouvement dont le nom pourrait être traduit par pour le métissage. Sollicitée, la présidente de notre association, qui travaille à Cuba, nous a communiqué le texte dont vous trouverez ci-dessous la traduction faite par notre ami Faustino Candas, qu’il convient de remercier chaleureusement !
- C’est un texte rédigé pour rassembler les références à plusieurs études sociologiques. Il ne dit à peu près rien du mouvement en cours à Cuba dans la « question raciale », ni des actions que peuvent mener les Cubaines et les Cubains pour faire avancer l’égalité entre Cubains blancs, noirs et métis.
- Cela étant, ce texte apporte beaucoup d’informations instantanées intéressantes sur l’état actuel des choses dans la société cubaine.
- L’association Corrèze Cuba Estrella

Document transmis par Muriel Dichamp et traduit par Faustino Candas (novembre 2013)

COMPRENDRE LA « PROBLEMATIQUE RACIALE CUBAINE »

- Article d’opinion : Estebán Morales, 01-03-2010
- Existe-t-il une « problématique raciale » cubaine ? (voir la note en fin de texte)
- Est-il possible de concevoir une politique sociale de la société cubaine contemporaine, sans prendre en compte la variable de la couleur de peau ?

  • Dans un discours prononcé au Palais Présidentiel le 22 Mars 1959, le Commandant en Chef Fidel Castro a posé le problème du racisme. Fidel a exposé avec force qu’il s’agissait d’une tare sociale qui devait être éliminée (Morales Dominguez 2007-86).
    - Le camarade Raul Castro l’a traitée à fond lors d’une réunion du Bureau Provincial du PCC à Santiago de Cuba en 1986 et ensuite a continué à en parler dans les réunions de contrôle de la Politique des Cadres au niveau national.
    - Le 20 décembre 2009, Raul Castro est revenu sur le thème lors de la réunion finale de l’Assemblée nationale du Pouvoir Populaire.

- En 1962, la seconde déclaration de La Havane a établi que le problème avait été résolu. Le thème devenait tabou.

  • Le silence qui s’en suivit après les années soixante ne signifie pas que la préoccupation ait disparu. Mais la « question raciale » a été traitée et considérée comme un fort élément source de division qui menace l’existence de la nation. Pour cette raison le « thème racial » est devenu le plus éludé et le plus ignoré dans la réalité sociale cubaine (Morales Dominguez 2007-96). Il n’y a pas de thème qui l’ait surpassé en tant que préjudiciable dans son traitement.

- Avoir proclamé en 1962 que les problèmes de la discrimination raciale et du racisme étaient résolus a été une erreur de l’idéalisme et du volontarisme politique.

  • Ce fut une erreur de considérer qu’en finir avec les bases du capitalisme et déployer une politique sociale égalitaire, résoudrait la question raciale. De plus ne pas avoir pris en considération dans la Politique Sociale la couleur de la peau, comme ce qu’elle est, une variable historique de différenciation sociale parmi les Cubains, évacuait que les points de départ des noirs, des blancs et des métis étaient différents pour qu’ils puissent tirer profit des opportunités que la Révolution leur offrait (Morales Dominguez 56 : 96).

- Cet essai établit que la nation cubaine n’a pas encore réussi à dépasser les problèmes de la discrimination raciale et du racisme.

  • Donc elle n’a pas réussi à dépasser les points de départ hérités de l’Esclavage, ceux qui se sont renforcés pendant la république de manière sophistiquée. Donc la « problématique raciale » cubaine affleure comme un des problèmes fondamentaux à débattre et à résoudre. Les préjugés raciaux, la discrimination raciale et le racisme survivent dans la société cubaine ; la situation sociale et économique héritée et non encore surpassée les alimente. La discrimination raciale menace de se réinstaller dans la macro-conscience de la société cubaine actuelle. Il s’agit à présent de rectifier aussi la manière de traiter la variable couleur de peau dans la politique sociale cubaine. Mais il ne s’agit pas de simples obstacles ou héritages, mais de phénomènes que la société cubaine, dans son imperfection, est encore capable de reproduire.

- A Cuba, il n’existe pas de haine du Noir, du Blanc ou du métis. (Morales Dominguez 2007-90).

  • Cuba n’est pas aujourd’hui une société raciste comme elle le fut avant 1959. Ni les préjugés raciaux, ni la discrimination raciale ni le racisme ne dominent le climat social cubain (Morales Dominguez 2007-92). Le racisme institutionnalisé n’existe pas à Cuba (Morales Dominguez 2007-82). Il n’est pas installé dans le système politico-social ni dans les structures du pouvoir comme il le fut avant 1959. Le processus révolutionnaire avec une politique sociale extraordinairement humaniste, de lutte contre les inégalités et les injustices sociales, a créé une certaine éthique antidiscriminatoire qui l’a déplacé vers ce que sont aujourd’hui ses principales niches : la famille, la conscience individuelle de nombreuses personnes et de certains groupes, ce que l’on appelle l’économie émergente et une certaine institutionnalité marginale qui résiste à son élimination.

- Les contacts avec l’économie de marché, la réémergence des inégalités et toute la détérioration économico sociale, conséquence de la crise des années 90 ont facilité sa réémergence.

  • Nous pouvons dire que jusqu’à la moitié des années 80 on avait réussi à accéder à des niveaux d’égalité sociale qui enorgueillissaient tous les Cubains, mais la crise économique a créé des retards et apporté de sérieuses conséquences sociales qui n’ont pas encore pu être résolues ; ceci s’est ajouté au faible et inapproprié traitement proposé pour la « question raciale » qui l’a faite resurgir avec la virulence propre à un problème qui considéré comme résolu, ne l’était pas en réalité. (Morales Dominguez 2007-91).

- Recherches sur le « thème racial » à Cuba et en dehors de l’île

  • C’est à peine s’il existe des recherches sur le « thème racial », des travaux des diplômes, des thèses de maîtrise ou de doctorat à Cuba. A l’Université de La Havane comme dans les Centres d’Education Supérieure, le « thème racial » est pratiquement absent et des curriculum et des plans d’étude, et c’est à peine s’il occupe un petit espace dans le cadre des activités de recherche (Morales Dominguez 2008-11).
    - Beaucoup de recherches qui, jusqu’à il y a peu, se faisaient sur le thème restaient en général dans les tiroirs en attente de publication (Morales Dominguez 2007-20). Il est important de reconnaître que l’ignorance est un des mécanismes sociaux les plus dangereux pour l’autoreproduction du racisme, des préjugés raciaux et la discrimination raciale. Si le thème est méconnu, on en débat à peine et on ne s’en occupe pas dans le système éducatif et la recherche scientifique. Comment l’aborder pour le surmonter ?
    - L’immense majorité des recherches les plus approfondies sur le « thème racial » à Cuba pendant les cinquante dernières années n’ont pas été le produit des scientifiques ou des auteurs vivant dans l’île (Morales Dominguez 2007-25).
    - Donc un thème si important de la réalité cubaine contemporaine n’est pas abordé de manière suffisante par nos intellectuels et nos scientifiques.
    - En conséquence de quoi nous avons abandonné le thème avec les conséquences négatives que cela peut avoir pour nous. Nous n’aimons pas partager nos thèmes avec des personnes de latitudes différentes mais c’est une erreur d’éviter de les traiter nous-mêmes. Surtout quand nous connaissons l’effort qui est fait hors de chez nous par les ennemis de la révolution pour écrire notre histoire en marge de nos réalités et avec des propos en marge de nôtres.

- Les principales publications périodiques que l’on peut remarquer dans l’étude du « thème racial » ou en relation avec ce dernier sont : Catauro, Pemas, Caminos, Biblioteca nacional, Santiago, Estudios del Caribe et l’hebdomadaire La Jiribilla. Cette dernière est très active dans la divulgation du thème (Morales Dominguez 2008-11).

  • Le Ministère de la Culture, l’UNEAC et dans ce cadre le projet appelé « Color Cubano », la Fundación Fernando Ortiz et le Centro de Antropología de CITMA travaillent depuis de nombreuses années pour que ce thème ne devienne pas un obstacle à la consolidation du projet social de la Révolution Cubaine (Morales Dominguez 2007-27).
    - Dans le « Proyecto Color Cubano » de la UNEAC, on débattait sur ce thème systématiquement mais dans un contexte encore très limité et presque non divulgué par les médias.
    - Récemment on a aussi organisé une Commission Nationale dans la Bibliothèque Nationale (sous la direction du Dr Eduardo Torres) dont l’objectif est de réfléchir sur le « thème racial » et à partir des recherches faire des propositions politiques pour être envoyées au niveau gouvernemental et du parti.
    - On remarque la Fundación Fernando Ortiz qui est celle qui développe tout son travail en restant très proche du traitement de la « thématique raciale » dans la société cubaine actuelle (Morales Dominguez 2008-12). C’est la Fundación Ortiz qui a publié le premier livre abordant la « problématique raciale » cubaine dans la contemporanéité, depuis 1960, intitulé : « Défis de la « problématique raciale » à Cuba », écrit par l’auteur de cet essai (Morales Dominguez 2008-12). La propre Fundación Ortiz a annoncé l’appel Catauro, Revue nationale d’Anthropologie, d’une excellente tenue dont presque 20 numéros ont déjà été publiés.

- Nous regrettons beaucoup que le thème n’ait pas sa place dans les médias, et spécialement dans la presse écrite.

  • Pour la première fois le 20 janvier 2009, la table ronde nationale a traité le thème. Ce qui a eu une extraordinaire répercussion à la télévision, comme cela devrait être le cas (Morales Dominguez 2008-3). Le journal Trabajadores le 14 décembre 2009 a publié une interview de l’auteur de cet essai qui a eu aussi de larges répercussions, aussi bien nationales qu’internationales.
    - Mais même la presse cubaine écrite et télévisée est assez timorée pour traiter ce thème qui n’apparaît avec une certaine fréquence qu’à la radio.

- Fléaux sociaux : racisme et discrimination raciale

  • Le racisme est une forme idéologique de la conscience sociale qui considère certains hommes comme inférieurs à d’autres, que ce soit à cause de la nationalité, de l’origine sociale, du sexe, du genre, de la « race » ou de la couleur de peau (Morales Dominguez 2007-50).
    - C’est une série d’attitudes inhérentes à la culture dominante.
    - La discrimination raciale peut être définie comme la pratique et l’exercice du racisme, sous-jacent dans les préjugés raciaux, qui s’expriment dans les stéréotypes négatifs à propos de l’autre (Morales Dominguez 2007-51).
  • Dans le cas de Cuba, le racisme est le fruit et l’héritage de la vieille hégémonie culturelle héritée de la colonisation espagnole, créée par l’Esclavage et renforcée par le quotidien de la république néo-coloniale (Morales Dominguez 2007-16).
    - Dans certains cas, la république néo-coloniale a essayé d’imiter la discrimination raciale existant aux Etats-Unis. L’idée de race est une invention sociale : trouvaille des élites dominantes pour légitimer les relations de domination et d’exploitation imposées par la conquête.

- La possibilité de faire disparaître le racisme est affaire complexe, multidimensionnelle et multicausale, qui ne se produira pas seulement en atteignant les niveaux de justice sociale les plus élevés, pas plus que de niveaux de culture. Pas plus qu’en éliminant les bases du capitalisme. Cuba est la preuve concrète de ceci (Morales Dominguez 56 : 95-99). A Cuba actuellement, le racisme est en train de renaître parce que persistent des stéréotypes raciaux négatifs et d’autres conditions économiques, sociales et idéologiques qui lui sont favorables (Morales Dominguez 2007-51). D’où l’urgence de l’affronter avec force.

- Origine des noirs, des métis et des blancs à Cuba

  • Les blancs sont arrivés à Cuba comme colonisateurs, les noirs comme esclaves.
    - Ceci marque, jusqu’à nos jours, le destin des protagonistes de ce phénomène.
    - Les ancêtres des noirs de Cuba ont dû subir le génocide de la traite esclavagiste. Cuba fut l’avant-dernier pays de l’hémisphère à abolir l’esclavage. Depuis 1886, quand fut officiellement aboli l’esclavage, ne se sont écoulés que cent vingt-quatre ans (tout juste quelques générations).
    - C’est très court pour oublier une pareille tragédie.
    - Les noirs ont toujours occupé la position la plus basse dans la société coloniale et néo-coloniale. La couleur de la peau (comme héritage social de l’esclavage) a toujours divisé socio-économiquement la société cubaine.
    - Celui que l’on appelait le blanc s’est toujours identifié avec la richesse, le bien-être matériel, le contrôle de l’économie, le privilège, la culture dominante et le pouvoir. Comme le dit le proverbe populaire : « Etre blanc, c’est déjà une situation ».
    - Le noir et le métis, surtout le premier, pour sa part, s’est identifié avec la pauvreté, la détresse, ce à quoi s’ajoutent l’absence de tout privilège, les cultures dominées, discriminées et l’absence de pouvoir (Morales Dominguez 6:61).
  • Les points de départ des populations blanche, noire et métisse de Cuba avaient été différents. Lorsque triomphe la Révolution Cubaine en 1959, tous sont apparus comme égaux, sous la politique sociale de la révolution, mais sans aucun doute, tous n’avaient pas les mêmes possibilités ni les mêmes capacités qui leur étaient nécessaires pour bénéficier au maximum des opportunités qui se présentaient à eux (Morales Dominguez 2007-254).
  • C’est là un des problèmes de base : pourquoi les blancs, les noirs et les métis ne réussissent pas à obtenir paritairement ce qui se présente à chacun d’eux ?
    - Il existe du côté de la politique sociale de la Révolution la meilleure des intentions pour que tous, à égalité, bénéficient de la justice sociale ; mais des opportunités égales ne signifient pas des possibilités égales de les réaliser.
    - Je crois qu’il n’est pas nécessaire de faire un grand effort pour nous rendre compte que ne pas prendre en considération la « couleur de la peau » même dans la Cuba contemporaine, c’est comme jeter aux ordures 500 ans d’histoire.

- Racisme et discrimination « raciale » dans les statistiques

  • Selon une recherche effectuée par le Centre d’Anthropologie de l’Académie des Sciences en 1995, 95% des blancs considèrent que les noirs sont moins intelligents ; 65% croient que les noirs n’ont pas les mêmes valeurs ni la même décence ; 68% s’opposent au mariage « interracial » (Morales Dominguez 2007- 73) (Sawyer 2006-152).
    - Au milieu des nouvelles conditions créées par la crise économique des années 90, il est devenu évident que les noirs et les métis sont ceux qui ont le plus souffert, dans leur majorité, en tant que partie de la population la plus vulnérable économiquement.
    - La nouvelle économie, née pendant la période spéciale, à partir d’une politique économique dont le résultat est l’ensemble des mesures destinées à surmonter la crise économique, en s’appuyant sur la naissance de la propriété mixte des corporations, le tourisme et un certain rapprochement avec ce que l’on appelle l’économie de marché, reste encore très excluante quant à la présence des noirs et des métis dans les postes de premier plan dans l’économie, spécialement dans les postes proches du tourisme et dans les postes de premier plan et de dirigeants (Morales Dominguez 2007- 316). Avec les noirs, en particulier, et avec les métis, l’économie appelée « émergente » tend à leur donner très peu de privilèges dans l’emploi et l’accès aux devises.
  • Selon les recherches réalisées par Eduardo San Marful et Sonia Catasus du CEDEM (Centre d’Etudes démographiques) de l’Université de La Havane en 2000 :
    • Secteur non émergent : Dirigeants blancs 57,4% ; noirs 18,9% ; mulâtres 23,6%.
    • Secteur émergent : Dirigeants blancs 75,4% ; noirs 5,1% ; mulâtres 19,5%.
    • Dans la catégorie des professionnels techniciens et administratifs, Secteur non émergent : blancs 39,1% ; noirs 27,1% ; mulâtres 33,8%.
    • Secteur émergent pour les mêmes catégories que ci-dessus : blancs 79,3% ; noirs 6,1% ; mulâtres 14,6%.
  • Comme on peut l’observer, ce sont de dramatiques asymétries qui se présentent dans toutes les catégories surtout dans ce qu’on appelle le secteur émergent.
  • Mais ces différences sont encore plus dramatiques si nous les appliquons aux niveaux d’éducation des groupes « raciaux » : nous nous rendons compte que blancs, noirs et métis ne présentaient pas alors de sérieuses différences dans leurs niveaux d’instruction :
    • Blancs au primaire 23,6% ; secondaire collège 34,1% ; lycée 30,1% ; supérieur 8,7%
    • Noirs au primaire 22,9% ; secondaire collège 35,1% ; lycée 34,1% ; supérieur 7,8%
    • Mulâtres au primaire 26,2% ; secondaire collège 37,4% ; lycée 29,9% ; supérieur 6,5% (Morales Dominguez 2007- 71).

- Dès lors, il est clair que les principes tracés par la Direction du pays pour obtenir l’existence d’un « équilibre racial » dans la politique des cadres, établis depuis 1985, ne se réalisent pas encore.

  • La présence limitée de cadres de direction noirs, surtout, et métis, dans les structures de direction de l’Etat et des entreprises est préoccupante (Morales Dominguez 2007- 316).
    - La sous représentation des noirs et des métis dans la structure du travail est évidente. Selon les recherches réalisées par le Centre d’Anthropologie de l’Académie des Sciences dans les provinces aussi représentatives du pays que La Havane et Santiago de Cuba, on observe de sérieux déséquilibres dans l’accès aux postes de travail (Morales Dominguez 2007- 61).

- « Race » et envois de fonds
- Ce sont les groupes de familles avec une haute représentation de noirs et de métis qui bénéficient le moins de revenus familiaux stables,

  • parce que les moins représentés dans l’émigration (83,5% des émigrants sont blancs) et
  • parce qu’elles ont moins de contacts directs avec les devises, étant donné leur faible participation dans les emplois de ce que l’on appelle l’économie émergente (Morales Dominguez 2007- 176).

- Elles constituent aussi une minorité exigüe du secteur agricole privé (seulement 2% ; dans les coopératives seulement 8%)

- Présence dans les médias

  • La présence du noir et du métis est encore très faible dans les médias de masse, principalement à la télévision et au cinéma. On ne dispose pas de données précises, mais il suffit d’observer les feuilletons et autres programmes de télévision ou les films cubains. Il n’y a pratiquement pas d’acteurs noirs ou métis qui aient des premiers rôles à la télévision ou au cinéma.
    - De plus, les modèles physiques que l’on présente fréquemment pour la promotion télévisuelle d’une activité, d’un anniversaire, par exemple, sont en général blancs.
    - Enfin la télévision cubaine qui montre avec tant de qualité le peuple dans toute sa présence multicolore pendant les cérémonies politiques n’a pas encore pu illustrer ce peuple dans ses individualités et « groupes raciaux ». (Morales Dominguez 2008-97).

- Les problèmes de recensement

  • L’absence de recensement national des personnes et et des logements (le dernier remonte à 1981 [1]) et qui en plus prenne en considération la catégorie couleur de peau, a interdit, jusqu’il y a peu, toute analyse fondamentale (Morales Dominguez 2007- 80).
    - Le recensement de 1981 a été totalement insuffisant pour évaluer sérieusement la situation de la population noire et métisse à Cuba (Morales Dominguez 2007- 80).
    - Les résultats obtenus ne sont pas fiables. On dit qu’approximativement 67% de la population cubaine est blanche et 33% noire et métisse.
    - Pour le recensement de 2002, on assure que la population blanche représente 66% de la population cubaine, la noire 12% et les métis 22%. Les chiffres paraissent faux. Il est courant à Cuba de connaître des personnes qui ne s’assument pas en tant que noirs ou métis, mais comme blancs alors qu’en réalité, ils ne le sont pas (Morales Dominguez 2007-61). C’est peut-être le résultat du phénomène appelé auto-discrimination. L’attitude assumée face à ce problème a été tellement absurde que l’on a privé le pays de pouvoir mesurer les progrès dans cette question. C’est un phénomène qui est en général connoté par ce que l’on appelle « le blanchiment » (Morales Dominguez 2007- 22). Un autre élément intéressant est que l’on sait que Cuba et Saint Domingue sont les deux pays de cet hémisphère où la présomption d’être blanc est la plus éloignée de la réalité.
    - Le Recensement national de Population et Logements de 2002 propose de plus grandes possibilités pour prendre en considération la couleur de peau, non seulement démographiquement mais aussi dans les statistiques économiques.
    - Mais on doit encore beaucoup travailler pour perfectionner les instruments statistiques qui nous permettent de faire des mesures plus objectives et fondées sur les particularités de notre population. (Pour développer voir : Estéban Morales « Cuba : Color de la Piel, Nación, identidad y Cultura ¿Un desafío contemporáneo ? »)

- Le logement, le délit et le racisme à Cuba

  • La « problématique raciale » est liée à la problématique du logement à La Havane.
    - Il y a plus de noirs et de métis que de blancs dans les zones délabrées (par exemple nous nous référons ici aux municipalités de La Havane Vieille et Centre Havane) de La Havane (Source 2001-313).
    - En 1981, 44% et 47% des résidents qui vivaient à Habana Vieja et Centro Habana étaient des noirs et des métis. 39% à 45% d’entre eux vivaient dans des immeubles pauvres (chiffre plus haut que dans d’autres zones de La Havane). Habana Vieja et Centro Habana sont des zones où se trouvent 47% de logements avec de graves problèmes structuraux. Il est important de noter que 36% et 24% des logements de Habana Vieja et Centro Habana ont des services sanitaires collectifs. Ce chiffre est élevé quand on sait que 9% seulement des logements de la Ville de La Havane ont des toilettes communales.
    - On note le fait que le nombre d’appareils ménagers dans les logements de Habana Vieja et Centro Habana est inférieur à la moyenne provinciale (Source 2001-313).
    - Ces zones se caractérisent par un taux élevé de non-blancs, un environnement physiquement détérioré et sont perçues comme des zones de délinquance.
    - En 1987, La Police Nationale Révolutionnaire (PNR) a officiellement identifié « des foyers de délinquance » à La Habana Vieja et Centro Habana. Il faut noter que 31% de ces foyers sont dans des zones où la représentation des noirs et des métis est la plus haute telles que la Habana Vieja, Centro Habana et Marianao. Ces foyers comportent des quartiers humbles comme El Palo, isla de Simba, Las yaguas et Isla del Polvo à Marianao, ou des immeubles pauvres comme Mercaderes 111 à La Habana Vieja et Romeo y Julieta à Centro Habana.
    - Dans les premières années du triomphe de la révolution, ces zones ont été réhabilitées par l’Etat (Source 2001-314). En 1987, les recherches d’une commission créée par le Ministre de la Justice ont découvert que 70% des zones identifiées comme foyers de délinquance n’avaient pas de taux de délits plus élevé que la moyenne établie pour Ciudad La Habana. On peut deviner que les perceptions ancrées dans les stéréotypes « raciaux » négatifs de la Police Nationale Révolutionnaire ont transformé ces quartiers en foyers de délinquance. Le taux de délits a été plus élevé dans des zones considérées par la PNR comme des quartiers honnêtes (Source 2001-314).
    - Le Ministre de la Justice a également établi que les noirs et les métis représentaient 78% des cas de « dangerosité sociale » analysés dans les tribunaux de La Havane entre mai et décembre 1986.
    - Noirs et métis grossissent la population pénale. Selon une organisation de prisonniers politiques dans la prison de Combinado del Este, à la fin des années 80, 80% étaient des noirs. C’est une preuve définitive que la Révolution Cubaine, malgré son extraordinaire œuvre humaniste, n’a pas obtenu l’égalité sociale entre les « groupes raciaux ». Dans les années 80, le taux de délinquance de la population noire a été plus élevé que celui de la population blanche (Source 2001-314-15).
    - Dans le cas du logement, en particulier : malgré l’énorme effort de constructions durant ces années, persistent encore des quartiers marginalisés, des cités qui continuent à s’étendre.

- Tout ceci, selon mon point de vue personnel, est en quelque sorte le résultat de l’augmentation de la population de La Havane à partir de l’immigration rurale en provenance de provinces orientales, car il s’agit de personnes qui émigrent vers la capitale à la recherche de meilleures conditions de vie et qui sont souvent prêtes à vivre dans n’importe quelles conditions.
- Ce qui fait que les logements sont meilleurs pour beaucoup de personnes mais le nombre de personnes qui vivent dans des conditions précaires, marginales et indigentes augmente aussi.

Note de Jean-Pierre Combe pour Corrèze-Cuba-Estrella

- Nous avons placé entre guillemets le mot « race » et des expressions telles que « problématique raciale » pour la raison suivante :
- Au sens où les sciences étudient la nature au sein de laquelle l’Humanité est apparue et s’est développée, la notion de race n’est pas une notion scientifique.
- Les races animales n’ont existé qu’à partir du moment où des éleveurs ont commencé de sélectionner leurs animaux et leurs descendants aux fins que leur élevage leur procure de meilleurs résultats économiques ; en Europe, ce furent d’abord des éleveurs de chiens, qui conduisaient les meutes dans les chasses féodales ; ils furent suivis à partir du seizième siècle par des éleveurs anglais de moutons, par des éleveurs de chevaux et de bovins.
- Le mot « race » désigne un concept de l’organisation des sociétés féodales repris par toutes les sociétés des Anciens Régimes européens. Ce concept, c’est l’essence divine de l’ordre du monde, au nom de quoi il est sacrilège d’imaginer mettre fin à la position privilégiée des propriétaires « nobles », c’est-à-dire des aristocrates.
- Les philosophes des « Lumières » des seizième, dix-septième et dix-huitième siècle niaient l’existence des races humaines : ils se basaient sur la définition de l’Espèce que les naturalistes utilisaient alors pour classer les êtres de l’Univers.
- Dans le droit fil de leurs travaux, la Révolution française a tenté d’instituer une République dans laquelle les femmes et les hommes jaunes, noirs ou mulâtres, auraient chacun des droits égaux aux femmes et aux hommes « blancs » : cette tentative est inscrite dans notre histoire par le décret pris par la Convention le deuxième sextidi de pluviose an 2 de la République (4 février 1794) pour abolir l’esclavage.
- La première République fut réprimée à partir du sanglant coup d’Etat du 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794) ; en vue de réprimer la libération des Noirs et des Mulâtres, les gouvernements thermidoriens envoyèrent des corps expéditionnaires dans les Antilles avec mission d’y rétablir l’esclavage, au besoin par la force.
- Les gouvernements post-révolutionnaires étaient grands-bourgeois : en rétablissant l’esclavage le troisième décadi de floréal an 10 (20 mai 1802), ils plaçaient le concept de la race dans l’essence de l’organisation bourgeoise du pays ; ils replaçaient ainsi l’ordre inégalitaire bourgeois dans l’ordre divin du monde. Cette loi inique porte la signature de Napoléon Bonaparte, Premier Consul.
- Toutes les Révolutions des dix-neuvième et vingtième siècles se sont efforcées de conférer à toutes les femmes et à tous les hommes des droits individuels égaux et indiscutables : c’est le cas de la Révolution commencée à Cuba en 1959 ; c’est le cas aussi de la fin du honteux régime sud-africain de l’Apartheid.
- En plaçant des guillemets dans le texte ci-dessus autour du mot « race » et des expressions « problématique raciale », « groupes raciaux », nous tentons de préserver la conscience scientifique, qui exclut toute notion de race, afin de permettre aux membres du peuple de prendre appui sur la science dans leurs efforts pour réorganiser la société : notre idée est qu’il appartient aux lois d’exclure le concept de race de toute l’architecture institutionnelle de la société, afin d’ouvrir la voie aux femmes et aux hommes pour mettre fin aux pratiques sociales entachées d’inégalité que nous héritons toujours des régimes d’inégalités : la Révolution commence logiquement, et légitimement, par formuler les principes fondant les lois nouvelles, et par établir les plus indispensables de ces nouvelles lois, afin de permettre aux citoyennes et aux citoyens d’accomplir la transformation des mœurs, qui demande davantage de temps, et qui peut nécessiter l’adoption de règles de transition.

Notes

[1] note de novembre 2013 : un recensement a eu lieu très récemment, postérieurement à la rédaction de cet article

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