Ami de l’égalité

Le Mouvement de la Paix : qu’est-ce, d’où vient-il et où va-t-il ?

Agir concrètement pour la paix

Une base de critique pour les pacifistes

jeudi 20 octobre 2005, par Jean-Pierre Combe

Base pour critiquer le rapport au Congrès 2005 du Mouvement de la Paix

- Le formidable succès de la pétition mondiale connue sous le nom d’Appel de Stokholm n’est pas seulement dû à ce qu’il était alors déjà juste de condamner l’armement atomique et de revendiquer sa destruction et son interdiction ;

- il est dû aussi à ce que la formation du Mouvement de la Paix procédait de la victoire remportée en 1945 par les peuples sur les fascismes, et, en France plus particulièrement, à ce que ce mouvement avait commencé par une réponse massive à l’appel lancé par une dizaine d’anciens résistants de grande notoriété ;
- il est dû encore à ce que les rédacteurs de l’Appel de Stokholm s’étaient placés au point de vue des femmes et des hommes qui ont intérêt à la paix, intérêt à refuser que la violence serve à résoudre les conflits qui peuvent opposer les humains, intérêt à se constituer en une force de paix capable de faire obstacle aux politiques de guerre ;
- il est dû enfin à ce que l’Appel de Stokholm fut lancé hors des sphères des gouvernements et que la collecte de ses signatures ne passait pas par les structures administratives des états :
- Nous voyons par là que cette réponse véritablement massive n’était pas seulement l’expression de l’horreur ressentie par les peuples du monde devant les effets inouïs de la bombe atomique ; c’était aussi, et même d’abord, la revendication que ceux qui gouvernent les états du monde renoncent enfin à inscrire la guerre parmi les moyens banaux de leurs politiques !
- Beaucoup de Français chantaient alors leur volonté de chasser la haine pour toujours et de bannir la peur et la guerre sans retour.
- Dans son texte même, les principes que posait l’Appel de Stokholm ne plaçaient pas le Mouvement de la Paix hors de l’affrontement entre forces de guerre et forces de paix, mais dans cet affrontement : le Mouvement de la Paix est une force de paix ou il n’est pas !
- Cette raison fait que le Mouvement de la Paix ne peut s’en remettre à autrui ni pour définir l’objet qu’il poursuit, ni pour définir sa contribution à la culture universelle, ni pour définir son action : le Mouvement de la Paix est pleinement autonome ou il n’est pas !
- L’objet que poursuit le Mouvement de la Paix est la paix. Les premiers appels à la formation de notre mouvement et ses premiers textes contiennent de quoi donner de la paix une définition toujours valable aujourd’hui, et que l’activité du mouvement confirme depuis lors : pour que la paix soit, il faut faire barrage aux guerres, et pour cela, faire barrage aux politiques de guerre, c’est-à-dire aux politiques dont la guerre est un moyen ordinaire ; faire ce barrage conduit à résoudre les conflits collectifs sans recourir à la violence, même s’il faut pour y parvenir désobéir aux gouvernements.
- Poursuivant cet objet, le Mouvement de la Paix produit une culture qui reflète son effort : cette culture a pour ossature l’histoire des évènements de sa lutte, laquelle relate ses succès et ses échecs, les facteurs favorables et défavorables que le mouvement a rencontrés : connaitre cette histoire est indispensable à quiconque veut prendre efficacement le parti de la paix.
- Cette histoire donne à voir les voies par lesquelles les peuples communiquent, les ruptures et confiscations de ces voies qu’opèrent les forces de guerre lorsqu’elles se mettent en euvre, ainsi que les liens qu’entretiennent les forces de guerre avec la quasi-totalité des gouvernements du monde.
- Il résulte de tout cela que la culture de paix a pour essence la paix elle-même, c’est-à-dire le parti pris de résoudre les conflits collectifs sans appliquer la violence à l’être humain proprement dit.
- Quant à la consistance de la culture de paix, ses caractères concrets tiennent à ce que presque partout dans le monde, les gouvernants considèrent la guerre comme un moyen banal de la politique, et sont eux-mêmes au service de minorités privilégiées qui considèrent la guerre comme un moyen éventuellement souhaitable de la politique :
- il en résulte que la consistance de la culture de paix est faite de toutes les initiatives légitimes que peuvent prendre les femmes et les hommes, aux fins permanentes de prendre connaissance de la réalité matérielle des conflits qui apparaissent entre eux, en niant toutes les présentations idéologiques obscures ou menteuses qui en sont faites, en poursuivant sans cesse l’objet de démontrer devant la conscience publique individuelle ou collective toutes les possibilités ouvertes à une recherche sincère des solutions pacifiques aux conflits actifs, et de faire déboucher cette conscience sur une prise de parti collective de trouver et de mettre en euvre ces solutions pacifiques même lorsque les gouvernements s’y opposent.
- La légitimité de l’action des femmes et des hommes est inscrite dans les droits que les êtres humains possèdent à égalité les uns avec les autres parce qu’ils sont des êtres humains, et dont l’exercice constitue la citoyenneté. Lorsqu’une action est légitime, sa répression est illégitime et doit être combattue, toujours et partout.
- Aujourd’hui, le besoin prioritaire du Mouvement de la Paix est de rendre vigueur à ces principes, qui avaient présidé à sa fondation : toute orientation qui mettrait le Mouvement de la Paix à la remorque de gouvernements ou d’institutions intergouvernementales, ou même de l’ONU, aurait pour effet de stériliser sa pensée et son action.
- Nous pouvons bien juger favorablement et soutenir la proclamation par l’ONU de l’année, puis de la décennie de la culture de paix : mais bien des textes de notre mouvement montrent que nous courons un grave danger : celui de perdre notre autonomie, de devenir une annexe de l’ONU, puis, si d’aventure ceux qui cherchent à la transformer un un gouvernement mondial réussissent dans leur entreprise de malheur, de voir notre mouvement réduit à n’être plus qu’un simple ornement rituel de l’empire.
- Il faut absolument conjurer ce danger ; le Mouvement de la Paix ne peut redevenir un grand mouvement efficace pour faire avancer et vivre la paix que s’il se fixe lui-même ses objectifs, en les choisissant et en les définissants de telle manière qu’ils soient capables de mobiliser individuellement les femmes et les hommes de notre pays, et au-delà, sans limites ni territoriales ni nationales, et s’il défend son autonomie pleine et entière, avec la jalousie la plus pointilleuse : à ce sujet, la proposition de rapport d’orientation pour le congrès 2005 du Mouvement de la Paix me semble défaillante.

Critique de la proposition de rapport
- Cette défaillance se manifeste dès le préambule du texte, dans la définition qu’il donne de la culture de paix : cette définition, que le lecteur est en droit de supposer tirée d’un texte de l’ONU, omet de rappeler que l’histoire de notre mouvement nous fait créateurs de la culture de paix ; pas seuls créateurs, certes, mais créateurs incontestables ; de plus, cette même définition est formulée en des termes qui donnent au lecteur le sentiment fallacieux que cette création est achevée !

Le parcours des huit domaines d’action
- Une autre manifestation de cette défaillance est lisible dans le parcours que propose ce texte des huit domaines d’action pour cultiver la paix et changer le monde ; il faudrait au moins que le préambule du rapport définisse le sens politique que nous souhaitons donner au rassemblement des énergies de tous ceux qui agissent dans un ou plusieurs des huit domaines d’action décidés par l’Assemblée générale de l’ONU en l’an 2000. Car les visions ne sont que des visions, et parce que rassembler pour faire progresser est une pétition de principe qui ne définit rien !
- L’exposition qui est faite des domaines d’action est de nature à introduire une confusion de l’ensemble de ces domaines avec la substance de l’action pacifiste. Or il y manque l’essentiel :
- Manquent dans cet exposé toutes les revendications relatives à la politique des gouvernements français :

  • celles relatives aux forces armées françaises, nucléaires, "projetables", déployées hors de nos frontières, et à leur caractère aujourd’hui entièrement professionnel ;
  • celles relatives à la privatisation en voie d’achèvement de l’industrie française d’armement, qui la libère totalement pour participer à tous les trafics d’armes de toutes natures.

Au fil du texte
- Sur l’Irak, il faut arrêter l’illusion que l’on peut apporter la paix de l’extérieur et sans avoir besoin de dénoncer les fauteurs de guerre ;
- Sur le proche-Orient, il faut dénocer la description fallacieuse selon laquelle on pourrait obtenir la pais en renvoyant Israéliens et Palestiniens dos-à-dos ; il n’y a pas de symétrie dans cette guerre, et ce n’est pas rendre service aux forces israéliennes de paix que de les laisser seules dans leur dénonciation des raisons de cette guerre et des forces de guerre actives dans leur propre pays !
- Aucun des scandales de la guerre, pas même celui des enfants-soldats, ne doit nous détourner de poser le problème de la propriété du sol et du sous-sol : nous savons de longue date que la propriété du sol et du sous-sol est l’enjeu essentiel sans lequel il n’y aurait pas de guerre !
- A propos de l’Europe : on ne construira pas l’Europe de la paix en effaçant les frontières pour édifier un super-état : l’effacement des frontières est une illusion et une hypocrisie auxquelles il faut mettre fin : il faut, contre cette illusion, rétablir la revendication de la liberté pour les femmes et les hommes de circuler, de s’établir quelque part et de changer de lieu d’établissement, et montrer que la satisfaction de cette revendication ne naîtra pas de l’effacement des frontières, mais des progrès de l’exercice par les humains des Droits universels de l’Homme et du Citoyen, ce qui est tout le contraire.
- A propos de l’ONU : la possibilité d’un état démocratique mondial est une illusion ; de plus, c’est un facteur des plus efficaces pour démobiliser les pacifistes ; il faut donc mettre fin à cette illusion.
- Encore à propos de l’ONU : peut-on être pacifiste et accepter de se soumettre à une entité aussi lointaine ? Non, en aucun cas : la soumission est incompatible avec le pacifisme !

A propos du terrorisme
- Tous les moyens de la guerre ont une composante terroriste : son importance varie de l’un à l’autre et peut être très grande ; les guerriers engagés dans des combats légitimes peuvent la réduire jusqu’à son minimum, mais elle n’est jamais nulle : pour cette raison, la guerre est sans efficacité pour combattre le terrorisme.
- Pour combattre le terrorisme, les moyens efficaces sont ceux de l’organisation pacifique des sociétés, et les seuls efficaces à long terme sont ceux de l’organisation démocratique de sociétés souveraines, c’est-à-dire, de l’organisation des sociétés dont les peuples exerceront eux-mêmes la propriété sur les ressources de leur sol et de leur sous-sol.

L’éducation à la paix
- L’éducation : le rapport au congrès devrait rechercher et mettre en valeur les importantes traditions pacifistes que nos prédécesseurs ont inscrites dans la pédagogie de notre école :

  • la laïcité des contenus enseignés ;
  • le respect républicain de la personne de l’enfant, qui commande que tout enfant soit traité par l’institution avec le même respect, c’est-à-dire que d’un bout de la France à l’autre, l’Ecole et tous ses agents, des pédagogues aux agents de service en passant par les chefs des établissements, les inspecteurs et les ministres, reconnaissent à chaque enfant des droits égaux et exigent d’eux les mêmes devoirs, quelles que soient les religions, les options philosophiques ou la position sociale de ses parents ;
  • le rapport devrait rappeler notre besoin d’étudier et d’enseigner l’histoire du mouvement d’Education nouvelle depuis 1920 et ses contributions à l’évolution de notre école, ne serait-ce que parce que ce mouvement pédagogique s’est formé au lendemain d’une guerre terrifiante, pour l’objet d’éduquer les enfants à la paix, et aussi parce qu’il a engendré les progrès de la pédagogie dans notre pays sans doute les plus importants du vingtième siècle.

- A propos de l’économie : le rapport devrait au moins engager la discussion sur le rapport étroit qui relie les guerres aux systèmes de propriété en vigueur : certains modes de propriété induisent une tendance profondément agressive de la politique, alors que d’autres ne le font pas. Il faut au moins poser le problème.
- A propos des famines : dans tous les cas observables, la cause des famines est la mainmise sur la terre par des puissances étrangères aux peuples qui souffrent. La guerre n’est jamais la cause des famines ; elle en est toujours une circonstance très fortement aggravante.
- Avant d’élaborer des institutions mondiales, il faut rendre la terre aux paysans qui la travailleront de leurs propres mains, et rendre le sous-sol aux peuples, qui en sont les seuls légitimes propriétaires.
- Les Droits de l’humain : ils ne sont pas complémentaires de la culture de paix ; s’ils fondent une démarche d’égalité, selon laquelle tous les êtres humains jouissent de droits égaux dont l’exercice fait d’eux des citoyens, alors, ils sont le fondement solide de la paix et donc aussi de sa culture. Mais le droit individuel inviolable et sacré de la propriété fonde une économie dans laquelle les travailleurs seront exploités par ceux qui possèdent les machines, c’est-à-dire une société dont l’essence sera l’inégalité : dans une telle société, la guerre est toujours banale.
- Quant aux femmes, ce n’est que lorsqu’elles ne jouissent pas du droit de propriété qu’elles sont plus pacifistes que les hommes ! Notre ministre de la guerre serait pacifiste ? Allons, soyons sérieux !...

En conclusion : qu’est-ce que j’attends du Mouvement de la Päix ?
- Qu’il dénonce l’essence concrète de la culture de guerre, qui est l’inégalité engendrée par la propiété privée du capital engagé dans l’économie, parce qu’elle renouvelle sans cesse l’appropriation privée du profit, en vue de l’incorporer au capital : les entreprises guerrières n’ont pas en effet d’autre objet que de mettre la main sur les ressources appartenant à d’autres. Si cette dénonciation n’a pas lieu, le mouvement deviendra aveugle sur les causes des guerres, et par conséquent aussi sur les moyens efficaces nécessaires pour y mettre fin.

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