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Pour aller au socialisme, comprendre la Révolution !

mercredi 28 mai 2014, par Jean-Pierre Combe

- Le 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794), le camp de la contre-révolution triomphait du camp de la révolution : au sommet de la société française, la bourgeoisie riche a pris la succession des castes privilégiées de l’Ancien Régime et s’est appropriée l’Etat :

- cet acte révolutionnaire commencé pendant la nuit du 4 au 5 août 1789 était accompli pour l’essentiel deux ans plus tard, lorsque le roi s’enfuit de Paris et fut arrêté à Varennes ; la bourgeoisie riche devint alors contre-révolutionnaire en réglant ses comptes d’autorité avec l’Ancien régime, ce qui conduisit le roi à la guillotine ; cela fait, elle s’est attachée deux ans durant à chasser les révolutionnaires de toutes les institutions du nouveau gouvernement. Le 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794), elle achevait cette tâche dans des flots de sang : désormais, la bourgeoisie riche gouverne et peut assembler et compléter les institutions de son Etat.
- Quelques décennies plus tôt, l’économiste anglais Ricardo avait découvert dans les échanges marchands la contradiction économique des exploiteurs et des exploités, qui oppose les propriétaires des terres et des machines aux ouvriers qui subissent l’exploitation parce qu’ils ne possédent ni terre ni machine, et l’avait appelée la lutte des classes ; en France, par le coup d’Etat du 9 thermidor an 2 de la République, la classe bourgeoise est devenue le camp de la contre-révolution, et le peuple a été contraint de rester soumis au même statut que sous l’Ancien régime, le salariat et le chômage occupant la place et prenant le rôle laissé libre par l’abolition du servage ; désormais, la contradiction politique entre contre-révolution et révolution coïncide avec la lutte des classes.
- La mission de l’Etat bourgeois est la même que celle de l’Etat d’Ancien Régime : protéger le pouvoir politique tiré de l’exploitation du travail par les castes (ou la classe) dominantes, et qui leur (ou lui) assure cette exploitation : depuis la Révolution, notre Nation a vécu plusieurs épisodes au cours desquels la revendication populaire mettait en danger le pouvoir politique de la bourgeoisie ; tous ces épisodes ont vu la bourgeoisie riche recourir à son Etat pour se maintenir au pouvoir : l’Etat bourgeois protège la bourgeoisie contre la revendication populaire de vivre dignement.
- Le fait est que la revendication populaire de vivre et de faire vivre sa famille en toute dignité grâce aux ressources que le travail procure à chacune et à chacun, cette revendication renaît toujours : elle renaît parce que l’exploitation du travail par les castes ou classes dominantes dépasse toujours ce que les personnes exploitées peuvent supporter ; par conséquent, toutes les défaites du camp de la révolution approfondissent les besoins élémentaires des membres du peuple, dont procède immédiatement, sans cesse, impérieusement, la revendication populaire de vivre dignement : elle est donc l’essence irrépressible du camp de la révolution ; même défait, le camp de la révolution reste virtuellement actif.
- La bourgeoisie riche le sait bien : depuis la révolution, elle maintient son Etat et tous ses autres moyens en capacité de réprimer la revendication populaire : le camp de la contre-révolution se maintient en veille permanente.
- C’est dans la coïncidence de la contradiction entre révolution et contre-révolution et de la lutte des classes que des femmes et des hommes trouvent leurs raisons de devenir communistes : ils les trouvent en observant notre société, le travail qu’ils y font et la vie de leurs collègues, voisins et amis ; ces raisons les conduisent à prendre le parti de faire réellement la révolution qui abolira l’exploitation : devenir communiste, c’est cela et rien d’autre.
- Certains philosophes des Lumières représentaient l’évolution des sociétés dans des termes que leur inspiraient les progrès de l’astronomie : ils concevaient toute société comme animée d’un mouvement général qu’ils appelaient la Révolution ; ce mouvement progresse de crise en crise, selon comment évolue le rapport des forces entre deux camps, celui de la contre-révolution et celui de la révolution.
- Dans cette acception, toutes les sociétés du monde sont divisées en deux camps : l’un, dominant et contre-révolutionnaire, est réel et doté d’une force institutionnelle ; l’autre, dominé et révolutionnaire, est virtuel, potentiel ou réel, selon les moments de l’histoire, et doté d’une force de la même qualité virtuelle, potentielle ou réelle que lui-même ; notre pays ne fait pas exception.
- Mais il faut savoir aussi employer le concept courant, qui réserve le nom de Révolution au temps de la crise, en considérant qu’en-dehors de ce temps, la Révolution est absente de la société.
- Dans le temps d’une vie d’homme, les sociétés évoluent entre l’absence et la présence de la révolution ; de ce fait, on nous demande souvent : que veut dire faire la révolution quand il n’y a pas de révolution ? C’est une question bien légitime, si l’on se rappelle que les personnes qui vivent aujourd’hui dans les conditions de la société capitaliste enclencheront, conduiront et accompliront elles-mêmes demain une révolution, et vivront après-demain dans la société qu’elle aura produite : dans cette perspective, cette question vient aux personnes qui n’ont pas conscience du caractère révolutionnaire de la revendication populaire de vivre dignement, ou à celles qui ont cette conscience, mais ne comprennent pas comment la revendication populaire de vivre dignement peut devenir la révolution.
- En vérité, cette question est un moment d’interrogation personnelle relativement à la révolution : que ferai-je pendant, et quelle sera ma vie après ?
- Le fait est que personne ne peut dire précisément ce que sera la révolution, ni décrire en détail la société qu’elle produira. Tout ce que savent les communistes, c’est que le mode d’existence du capitalisme est de broyer l’humanité des travailleuses et des travailleurs : pour rendre à chacune et à chacun son humanité, il est donc nécessaire de renverser le capitalisme.
- Tout ce que nous pouvons dire, c’est que la révolution aura lieu !
- Nous devons considérer que le mouvement général révolutionnaire progressera de crise révolutionnaire en crise révolutionnaire jusqu’à la crise qui produira une société dans laquelle toute femme et tout homme jouira pleinement de sa propre humanité ; par ce fait, cette crise aura transformé les conditions du mouvement général de la société, transformé les conditions de la révolution.

Camp révolutionnaire et camp contre-révolutionnaire

- Avant la crise révolutionnaire, le camp révolutionnaire est virtuel ou potentiel, la société est stable, plus ou moins bien assurée sur ses fondements sociaux : la révolution en est, ou en semble, absente.
- Le camp révolutionnaire est devenu réel quand la société perd sa stabilité structurelle : il entrave l’exploitation des travailleuses et des travailleurs par les castes dominantes, ce qui oblige le camp de la contre-révolution à l’affronter : la probabilité d’un bouleversement révolutionnaire grandit, mesurant la présence de la révolution.
- C’est cela qui donne à l’expression faire la révolution son sens réel : agir positivement sur la force révolutionnaire et négativement sur la force contre-révolutionnaire, en l’absence comme en la présence de la révolution ; la simultanéïté de ces deux actions donne au peuple le moyen et l’opportunité d’observer collectivement le moment où la contre-révolution ne peut plus contenir la revendication populaire : la révolution (la crise révolutionnaire) peut commencer à ce moment ; en prévision, il faut donc que l’acteur de la révolution, qui est le peuple, prenne conscience des conditions nécessaires à la victoire du camp révolutionnaire sur le camp contre-révolutionnaire.
- Que sont la force contre-révolutionnaire et la force révolutionnaire ?
- La force révolutionnaire procède, nous l’avons vu, d’une seule source, la revendication populaire de vivre et de faire vivre sa famille en toute dignité : cette source est propre aux membres du peuple, individuelle et économique.
- Quant à la force contre-révolutionnaire, elle émane des castes ou classes qui dominent les sociétés, et elle est collective et instituée dans les moyens de toutes natures dont se servent ces castes ou classes pour maintenir leur pouvoir politique. Une seule classe domine la France, c’est la bourgeoisie capitaliste.
- En France, la bourgeoisie riche a engagé pendant l’été de 1792 ses moyens de combattre la révolution : ce sont la tromperie, l’obscurantisme, la misère, la culture de la terreur, qui consiste à mettre tout habitant du pays en situation permanente d’insécurité ; c’est aussi l’utilisation institutionnelle des jeunes dans les guerres en terre étrangère (les guerres napoléoniennes, coloniales, néocoloniales etc...), et tout ce qui est encadrement contraignant des populations : salariat, armée, gendarmerie, police, milices et bandes irrégulières ; depuis qu’elle a triomphé de la révolution par le coup d’Etat du 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1789), la bourgeoisie maintient les plus forts de ces moyens en activité permanente et légale, les autres dans l’illégalité, en « réserve de l’ordre bourgeois ».

Faire la révolution, la conduire à la victoire

- Agir positivement sur la force révolutionnaire signifie faire grandir la revendication populaire de vivre dignement : cela consiste à dire les revendications que portent tous les membres du peuple, travailleuses, travailleurs, chômeurs,…, tous ceux que le capital exploite directement ou indirectement, à démontrer la cohérence non seulement économique, mais humaine, de toutes ces revendications, à les synthétiser en une revendication politique du peuple travailleur et à faire de cette synthèse la ligne politique de la révolution ; cette synthèse est celle, en effet, des intérêts de tous les membres du peuple qu’exploitent les capitalistes, de la très grande majorité des membres de notre peuple ; par elle, la revendication sociale et politique de vivre dignement devient authentiquement nationale, et prend une qualité et une intensité telles que la bourgeoisie ne pourra pas la réprimer.
- Agir négativement sur la force contre-révolutionnaire signifie affaiblir et si possible détruire chacun des moyens du pouvoir politique de la classe bourgeoise.
- L’action positive sur la force révolutionnaire et l’action négative sur la force contre-révolutionnaire sont essentiellement liées : la ligne directrice de l’action négative sur les forces de la bourgeoisie, c’est l’action positive sur la revendication humaine de vivre dignement ; c’est d’abattre les obstacles que la classe bourgeoise oppose à la revendication de tout être humain de vivre dignement ; C’EST DE LIBÉRER TOUS LES MEMBRES DU PEUPLE, de libérer le travail lui-même, en brisant toutes les contraintes que les propriétaires des capitaux leur imposent, c’est en somme renverser tous les obstacles que le capitalisme oppose à l’exercice par chaque être humain des droits qui sont les siens parce qu’il est un être humain, et dont l’exercice fait de lui un citoyen.
- La victoire de la révolution sera acquise lorsque sera abattu le dernier de ces obstacles, le plus profond, qui est la solidarité de classe de la bourgeoisie : les bourgeois ne pourront plus alors compter sur aucune solidarité de domination ; ils devront accepter la nécessaire solidarité humaine, celle qui assure la vie de tout être humain ; ils seront contraints par la défaite de leur classe de devenir des femmes et des hommes égaux en droits avec toutes et tous les autres êtres humains.
- Que personne ne s’y trompe : rien de tout cela n’est facile !

La force du camp de la contre-révolution

- La solidarité de la classe bourgeoise est constamment renouvelée par la stricte discipline de la bourgeoisie dirigeante, constamment gymnastiquée par la concurrence capitaliste qui régit les échanges marchands et les transactions financières ; cette discipline ne se discute pas plus en temps de paix qu’en temps de guerre ; c’est elle qui règle la concentration des entreprises, qui conduit aux regroupements de capitaux, et qui réduit sans cesse, en conséquence, l’effectif de la bourgeoisie dirigeante.
- La concentration capitaliste rassemble les pouvoirs politiques de la bourgeoisie dans les trusts capitalistes jusqu’à ce qu’ils prennent l’ascendant sur les pouvoirs publics : grâce à cela, la bourgeoisie a pu transformer les états au début du vingtième siècle, réduisant les simples conseils d’administrations des affaires bourgeoises qu’ils étaient auparavant au rang d’administrations exécutives territoriales de ces mêmes affaires ; lorsqu’est venue la fin du vingtième siècle, la grande bourgeoisie avait accumulé une puissance suffisante pour entreprendre de gouverner elle-même les continents et le monde, directement au moyen de ses trusts : elle a alors entrepris de détruire les nations, et d’intégrer les états qui encadraient ces nations dans les administrations exécutives continentales de son pouvoir politique ; parallèlement à cela, les effectifs de la bourgeoisie dirigeante diminuaient encore.
- Dans toute société d’inégalité, la fonction de l’Etat est de maintenir la domination des classes exploiteuses sur les exploités, qui permet aux privilégiés d’exploiter la force de travail des membres du peuple. Karl Marx, Friedrich Engels, puis Lénine, entre autres, en ont donné de très claires démonstrations.
- En France, la bourgeoisie n’a pu imposer l’Etat qu’en détruisant longuement la République, puis en le déguisant sous une forme d’apparence républicaine. _Jusque dans la septième décennie du vingtième siècle, les communistes français insistaient avec juste raison sur le caractère formel, purement formel, de la démocratie instituée dans les sociétés dominées par la bourgeoisie ; cela étant, il est dommage que tant de communistes aient cru devoir assimiler la République à une variante de l’Etat ; cela leur cachait la critique que faisait Lénine en 1916, lorsqu’il montrait qu’il n’est pas possible de bâtir le socialisme sans développer complètement la démocratie, et qu’il ne peut véritablement pas y avoir de démocratie dans une société qui se refuse au socialisme ; cette critique léniniste contient de fortes raisons d’étudier en profondeur la contradiction qui oppose la République à l’Etat bourgeois : en effet, la simple lecture de l’histoire de la Révolution française conduit à distinguer, à séparer la République de l’Etat, et à les opposer : en vérité, la bourgeoisie riche était réellement privilégiée dans le royaume de droit divin : elle n’a jamais accepté la République : elle a entrepris de la combattre dès la fin de septembre 1792 ; le 9 thermidor an 2 de la République, elle l’a détruite ; ensuite, elle a successivement appelé son Etat Directoire, puis Consulat, puis Empire, puis Royaume restauré, puis de nouveau Empire : pendant cette période, elle renforçait des défenses de l’Etat bourgeois contre les mouvements populaires.

L’essence de l’Etat, la mission de ses agents

- En France, l’Etat est l’institution au moyen de laquelle la bourgeoisie protège la propriété qu’elle veut inviolable et sacrée ; c’est bien cette mission qu’elle confiait à tous ses agents officiels, privés et clandestins, pendant l’été de 1792, afin de prendre en mains les leviers du gouvernement qui lui avaient échappé à la faveur de la revendication populaire de liberté et d’égalité en droits ; c’est bien cette même mission essentielle qu’elle imposait par la terreur blanche (au bas mot trente mille morts en quelques semaines par toute la France) à tous les agents des pouvoirs publics à partir du 9 thermidor an deux de la République (27 juillet 1794) ; cette mission fut la leur sans changement de forme jusqu’à la chute du concept de monarchie, c’est-à-dire jusqu’au moment où le candidat du « parti royaliste » à la présidence de la « troisième République » naissante a dû renoncer à ses ambitions.
- Pendant cette période de presqu’un siècle, non seulement les ouvriers prolétaires n’avaient pas le droit de voter, mais ils étaient tenus de détenir un « livret ouvrier » et de le présenter au patron en vue de l’embauche, ainsi qu’à toute réquisition de la police ou de la gendarmerie ; malgré cela, l’insurrection de février 1848 avait montré que la tenace revendication ouvrière de la République pouvait toujours donner un sens révolutionnaire à la revendication d’un salaire juste et décent ; devant cette menace révolutionnaire, la bourgeoisie avait utilisé le Second Empire pour mettre les rouages principaux de son pouvoir politique à l’abri dans les Chambres consulaires (chambres de commerce et d’industrie, chambres des métiers, et ultérieurement chambres d’agriculture) ; la Commune de Paris ayant montré que le danger d’une république révolutionnaire n’avait pas disparu, la bourgeoisie riche entreprit de récupérer le mot de « République » en en faisant désormais le nom de l’Etat ; mais pour que la récupération fonctionne, il fallait faire quelques concessions de vocabulaire à l’histoire de notre Révolution.
- De quoi s’agissait-il ? Les Déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen l’avaient proclamé ;

celle de 1789 déclare :

- Préambule - Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, et au bonheur de tous. En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen ...

Celle de l’an 1 de la République (1793) déclare :

- Préambule - Le peuple français, convaincu que l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d’exposer dans une déclaration solennelle ces droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens, pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer, avilir par la tyrannie ; afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur ; le magistrat la règle de ses devoirs ; le législateur l’objet de sa mission. - En conséquence, il proclame, en présence de l’Etre suprême, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen.
- Article 1 - Le but de la société est le bonheur commun. - Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la puissance de ses droits naturels et imprescriptibles.

C’est du bonheur de tous les habitants du pays qu’il s’agissait !

- Mais le droit au bonheur de tous les habitants du pays donne des droits aux prolétaires, et n’en déplaise à la bourgeoisie riche, ces droits, s’ils leur étaient reconnus, leur permettraient de n’être plus des prolétaires – c’est-à-dire de jouir eux aussi, d’une manière non encore définie, de la propriété !

Duplicité de la mission confiée aux agents de l’Etat

- Par son coup d’Etat du 9 thermidor an 2 de la République, la bourgeoisie riche avait effacé le bonheur commun des tâches du gouvernement : le rétablir, c’était renoncer au moyen essentiel de sa domination sur la société ! Il n’en était évidemment pas question.
- Lors de la proclamation de la « troisième République », les capitalistes s’étaient rendus habiles à démontrer que l’intérêt général coïncidait avec leur intérêt de profiteurs égoïstes ; ils croyaient y réussir toujours : la bourgeoisie riche a donc introduit l’« intérêt général » dans les missions des agents publics de l’Etat, en lieu et place du bonheur commun, mais évidemment, dans l’esprit d’en faire le moyen de protéger la propriété bourgeoise.
- La lutte des classes fait la lumière sur les missions de l’Etat : si l’on veut bien accepter les travailleurs et les chômeurs comme membres de notre société, alors leurs intérêts entrent dans la composition de l’intérêt général ; ce que nous devons constater tous les jours depuis toujours, c’est que la protection de la propriété capitaliste ne satisfait ni les intérêts des travailleurs ni ceux des chômeurs, et que les exploités subissent toujours plus de préjudices par le fait que leurs propriétés sont gérées par les propriétaires des plus gros capitaux ; ces raisons font que les développements de la lutte des classes écartèlent toujours davantage les agents publics de l’Etat entre la défense de l’intérêt général et la protection de la propriété capitaliste : les agents publics de l’Etat ont de plus en plus de raisons de comprendre que l’intérêt général ne consiste pas à protéger la propriété bourgeoise contre le mouvement populaire de revendication.
- Donc, la lutte des classes démontre que les agents des corps de l’Etat sont chargés de deux missions contradictoires : la défense de l’intérêt général, qui inclut l’intérêt des travailleurs et des sans-travail, comme de tous les habitants de ce pays qui ne détiennent aucune part de la propriété capitaliste, et la protection de la propriété capitaliste : l’intérêt général n’est pas de protéger la propriété capitaliste ; les cas sont nombreux où ces deux missions entrent en conflit.

Donner au camp de la révolution la force d’agir

- La victoire du camp révolutionnaire consiste dans l’accomplissement d’une transformation essentielle de toute l’économie : la révolution est un acte politique.
- A tout moment, la force du camp de la révolution est virtuelle, potentielle ou réelle, politique ou non, comme il l’est lui-même ; mais l’essence de cette force est permanente, individuelle et économique : c’est la revendication populaire de vivre dignement.
- Pour affronter le camp de la contre-révolution, le camp de la révolution doit devenir réel, agir sur le plan politique et prendre toute sa force : le progrès de la révolution consiste alors dans le passage du camp de la révolution de l’état virtuel à l’état potentiel puis à l’état réel et dans le progrès concommitant qui rend politique son action, qui rend sa force supérieure à la force toujours réelle du camp contre-révolutionnaire.
- Il en résulte que le camp révolutionnaire ne peut obtenir la victoire que s’il produit une force politique réelle à partir de son essence permanente, la revendication populaire de vivre dignement, qui est d’abord individuelle et économique : il le fait en lui donnant une expression collective et politiquement cohérente. Nous pouvons concevoir l’élaboration de cette expression de la façon suivante : au niveau le plus proche des individus, les membres du peuple prennent conscience de ce que la revendication de vivre dignement leur est commune, et que pour devenir collective, elle requiert la convergence consciente de leurs intérêts économiques essentiels (ceux qui concernent les moyens matériels de renouveler la force de travail individuelle, c’est-à-dire le salaire) : cette prise de conscience les conduit logiquement à rejeter la tutelle que fait peser sur eux la classe dominante, la bourgeoisie : de virtuel, le camp de la révolution devient alors potentiel ; se fondant sur le rejet de la tutelle bourgeoise, le camp de la révolution entreprend alors de réaliser son unité en élaborant l’expression politique de la revendication populaire collective de vivre dignement, et en faisant de cette expression politique la ligne politique de la révolution ; en même temps, il peut et doit accepter les « véritables amis de l’égalité » comme ses membres en reconnaissant à chacun d’entre eux des droits égaux (strictement égaux) avec ceux de chacun des autres membres du camp de la révolution ; accomplissant cette évolution, le camp de la révolution devient réel, et se donne la possibilité de relancer la révolution.

Les « véritables amis de l’égalité », ce sont, aujourd’hui comme au temps de Gracchus Babeuf, des membres de la classe dominante, et des membres des catégories que leur profession ne relie pas directement au travail de production matérielle, qui reconnaissent que tous les êtres humains sont égaux en dignité, en droits et qui militent pour que tous soient égaux devant les lois.

Comment faire triompher la révolution sur la contre-révolution

- Pour triompher, la révolution doit rassembler pour une action révolutionnaire consciente, délibérée et cohérente, la très grande majorité des femmes et des hommes qui ont intérêt à la révolution et avec eux les véritables amis de l’égalité.
- La majorité fait la force du camp de la révolution, et la cohérence fait l’efficacité de l’action révolutionnaire ; pour cette raison, un tel rassemblement doit s’opérer avant la crise révolutionnaire :
-  en l’absence de crise révolutionnaire, faire la révolution consiste à faire grandir dans le peuple la volonté collective de donner satisfaction à la revendication de vivre dignement en brisant tous les obstacles que la classe exploiteuse, la bourgeoisie capitaliste, oppose à cette satisfaction .
- Il en résulte que trois facteurs simultanés déclenchent la crise révolutionnaire :

  1. l’élévation du nombre des membres du peuple qui revendiquent, qui donne à leur effectif une très grande majorité ;
  2. la convergence qui rend collective leur action revendicative ;
  3. et l’élévation de l’activité revendicative jusqu’au niveau politique.

- La tâche révolutionnaire consiste à entraîner le plus grand nombre possible de citoyens à assumer la tâche politique de faire la Révolution, de telle manière que la Révolution soit l’œuvre du souverain collectif, la Nation !
- En vue d’un tel rassemblement révolutionnaire, dénoncer les obstacles réels dont la destruction allègera réellement les contraintes qui entravent la vie des salariés, des travailleurs précaires, des sans-travail,... est plus important que de décrire à l’avance les institutions de la société post-révolutionnaire ; il y a deux raisons à cela :

  • d’abord, toute révolution, même si elle ne donne pas lieu à l’épanchement du sang, bouleverse si profondément les conditions concrètes de la vie sociale qu’elle détruit tous les projets institutionnels, « révolutionnaires » ou non, qui ont pu la précéder ;
  • ensuite, nous ne pouvons pas connaître avant la révolution toutes les ressources qu’elle va libérer !

    Il n’y a pas de révolution minoritaire

    - Le mouvement populaire révolutionnaire français du dix-neuvième siècle a fait l’expérience malheureuse des « minorités agissantes » : ce sont des mouvements qui se forment en posant en principe que la révolution n’existe pas en-dehors d’eux-mêmes, en constituant de petits groupes qui n’ont d’autre objectif que l’action immédiate : croyant, ou postulant, que l’unité du camp de la révolution se fera « automatiquement » à partir d’un hypothétique seuil d’insupportabilité de la misère ou du supposé charisme d’un chef, elles ne font pas de cette unité leur objectif ; nombre de révolutionnaires de notre dix-neuvième siècle, et des plus fameux, ont agi de cette manière : le seul mode d’organisation possible de leurs mouvements consistait à les encadrer dans une hiérarchie pyramidale dont le sommet prend toute décision, au moyen d’une discipline qui garantit que ses membres exécuteront chaque décision sans prendre d’initiative politique qui n’y aurait pas été prévue.
    - Or, ce mode d’organisation est celui selon lequel les classes exploiteuses organisent les Etats au moyens desquels elles dominent et gouvernent leurs sociétés : c’est le mode administratif, qui ne laisse aucune place à l’initiative politique des exécutants.
    - Les polices des Etats bourgeois connaissent donc très bien ce mode d’organisation qui est le leur : de ce fait, les fonctionnaires chargés de protéger la domination de classe n’ont aucune peine à imaginer et mettre au point les méthodes nécessaires pour percer les secrets des « minorités agissantes » et les réprimer ; telle est la cause des échecs de ces dernières.

    Concrètement, vers la révolution

    - Le mouvement politique des ouvriers français en a tiré les leçons à la fin du dix-neuvième siècle, en élaborant un mode d’organisation pouvant assurer la cohérence de l’ensemble du parti révolutionnaire, lorsque ses membres sont dispersés et isolés par l’exercice de leur profession ou par la répression policière :

  • d’une part, le mouvement syndical révolutionnaire élaborait son organisation propre, aboutissant en 1895 à combiner en une Confédération générale des Travailleurs les structures « verticales » (les Fédérations professionnelles ou corporations) et les structures « horizontales » (les Unions locales et départementales) ;
  • d’autre part, les communistes constataient les échecs répétitifs des « minorités agissantes » ; prenant conscience de ce que le fréquent isolement des militants communistes excluait toute possibilité de concevoir, au sein d’un grand parti révolutionnaire, la circulation d’ordres qui devraient dicter leur action, ils voyaient l’absurdité de s’attribuer et de se distribuer des rôles de chefs de groupes de guerre révolutionnaire, hiérarchisés ou non, et d’anticiper sur le progrès de la conscience revendicative populaire ; ces raisons conduisaient l’élaboration d’un autre mode d’organisation.

- En 1916, Lénine précisait les modalités du mode d’organisation communiste et le proposait aux Bolchéviks en lui donnant son nom de centralisme démocratique ; le centralisme démocratique est fait de la participation de tous les communistes à l’analyse de la situation des luttes économiques et politiques des membres du peuple, et c’est leur participation à cette analyse qui leur donne connaissance de toutes les raisons d’agir et de ne pas agir, ainsi que de tous les moyens disponibles pour l’action ; c’est cela qui assure la cohérence de la pensée de chaque militant communiste avec celle de tous les autres militants communistes, et qui leur permet de décider eux-mêmes de toutes leurs actions en garantissant qu’elles seront cohérentes ; le centralisme démocratique n’est pas une discipline d’obéïssance : c’est une discipline d’étude et d’action.
- Formulant quelques-unes des leçons que tiraient les communistes des luttes ouvrières ayant animé l’ouest européen au dix-neuvième siècle, Lénine écrivait que les communistes doivent toujours se placer un pas en avant des masses, sans jamais se couper des masses : il rappelait ainsi que la contribution des communistes au progrès des consciences revendicatives des membres du peuple est essentielle à la révolution ; adoptant le centralisme démocratique comme mode d’organisation, les Bolchéviks libéraient l’initiative politique des communistes de tout l’empire des Tsars. Ensuite, l’Internationale communiste a fait de ces principes ceux des organisations communistes de toute la planète : cette généralisation était juste et nécessaire, comme l’ont montré ensuite les succès et victoires remportées sur le plan mondial par le mouvement populaire dans les luttes antifascistes, la Résistance à l’empire nazi-fasciste, et la longue résistance à la « guerre froide » que les propriétaires des plus gros capitaux du monde faisaient aux peuples qui avaient rompu avec le système capitaliste, même si cette résistance a été défaite avant la fin du vingtième siècle par une deuxième grande trahison de la social-démocratie, qui fut aussi spectaculaire et dramatique que la première, commise en 1914.
- Lire la suite sous le titre Pour aller au socialisme, comprendre la Révolution ! (suite)

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