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La tolérance selon Voltaire

dimanche 10 août 2014, par Jean-Pierre Combe

- Une polémique s’est développée sur Internet propos de la citation « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout (on trouve parfois jusqu’à la mort) pour que vous puissiez le dire » : facilement attribuée à Voltaire, cette citation a été utilisée pour défendre une tentative de réécrire l’histoire de l’année 1944 à Tulle, laquelle tentative tendait à dégager les racistes (les nazi-fascistes) de la culpabilité des crimes qu’ils ont réellement commis, et à présenter les Résistants comme des criminels.

- Il faut avoir de l’impudence pour engager le nom de Voltaire lorsque l’on défend des auteurs fascistes avoués qui maquillent l’histoire, qui la réécrivent en effaçant les crimes nazis et fascistes, en prétendant voir une complicité des victimes avec leurs bourreaux et en imputant à crime aux Résistants les combats libérateurs qu’ils ont livrés ; cela m’engage à chercher ce que Voltaire avait réellement écrit, et au-delà, quelle opinion, quelle idée il développait dans ce qu’il écrivait.
- De nombreuses personnes, encore aujourd’hui, croient que cette phrase est de Voltaire et prétendent mordicus qu’elle est extraite du Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas ; je me suis donc attaché à lire ce traité : la phrase dont il est question n’y figure pas. Le scandale devait donc cesser dès lors que chacun aurait sous les yeux le texte de ce Traité. Mais l’importance de ce que j’y ai trouvé a multiplié mes raisons de le rendre le plus accessible qu’il m’est possible de faire : c’est en effet un des textes qui ont préparé les concepts libérateurs composant en pratique la laïcité, et qui manifestent vigoureusement le besoin de maintenir en exigeante activité la recherche de la vérité en histoire ; que la méthode historique permettant de faire cette recherche ait été définie longtemps après la mort de Voltaire n’enlève rien à la valeur que possède, de ce point de vue, le Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas.
- On trouvera donc ce texte ici-même ; j’ai recopié la succession de scannogrammes d’un livre ancien, diffusé par le site wikisource.org ; sur ce document, je n’ai trouvé qu’une seule date : 1763 (écrite en chiffres romains, selon l’ancien usage).
- Cela étant, et toujours en vue de maintenir notre besoin d’histoire en activité, il ne me semble pas inutile de reprendre ici les commentaires que je trouve, le 16 octobre 2009, sur le site wikipedia.org, à propos de la phrase faussement attribuée à Voltaire :

  • Voltaire s’est passionné pour plusieurs affaires et s’est démené afin que justice soit rendue. Ce combat est illustré par cette citation fameuse et pourtant apocryphe apparue en 1906 :
    • « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »
  • A croire certains commentateurs (Norbert Guterman, A Book of French Quotations, 1963), cette citation reposerait sur une lettre du 6 février 1770 à un abbé Le Riche où Voltaire dirait :
    • « Monsieur l’abbé, je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire. »
  • En fait, cette lettre existe mais la phrase n’y figure pas, ni même l’idée. (Wikipédia renvoie au texte de la lettre, en ligne dans une autre rubrique)
  • En revanche, cette pseudo-citation a sa source dans le passage suivant :
    • « J’aimais l’auteur du livre De l’Esprit, Helvétius. Cet homme valait mieux que tous ses ennemis ensemble ; mais je n’ai jamais approuvé ni les erreurs de son livre, ni les vérités triviales qu’il débite avec emphase. J’ai pris son parti hautement, quand des hommes absurdes l’ont condamné pour ces vérités mêmes. » (Questions sur l’Encyclopédie, article « Homme »).

- Ici, c’est moi (Jean-Pierre Combe) qui conteste que la fausse citation puisse avoir sa source dans ce passage : il s’agit en effet dans ce passage de défendre un autre auteur contre une condamnation qui frappe son livre parce que ce livre contient des vérités, même si ces vérités sont triviales et même si cette trivialité les rend détestables ; il ne s’agit en aucun cas de défendre un auteur qui écrit n’importe quoi, ce que permet la fausse citation objet de la présente critique. Je pense que Voltaire défend le droit de chacun à écrire des vérités, fussent-elles triviales, et je pense qu’au moyen de la littérature, il combat le mensonge et l’hypocrisie afin de défendre la vérité. Son idée est vraiment contraire à celle de la fausse citation !

  • La seule version connue de cette citation est de l’écrivain anglaise Evelyn Beatrice Hall, « I disapprove of what you say, but I will defend to the death your right to say it. », The Friends of Voltaire, 1906. (Je désapprouve ce que vous dites, mais je défendrai jusqu’à la mort votre droit de le dire).

- Pour clore l’histoire de cette fausse citation, Charles Wirz, conservateur de l’Institut et Musée Voltaire de Genève, rappelait en 1994, que Miss Evelyn Beatrice Hall, qui a placé, à tort, entre guillemets cette citation dans deux ouvrages qu’elle a consacrés à l’auteur de Candide, a reconnu expressément que la citation en question n’en est pas une dans une lettre du 9 mai 1939, laquelle a été publiée en 1943 dans le tome LVIII (58) sous le titre Voltaire never said it (Voltaire n’a jamais dit cela) (pp. 534-535) de la revue Modern language notes, the Johns Hopkins Press, 1943, Baltimore. Voici l’extrait de la lettre en anglais :

  • « The phrase « I disapprove of what you say, but I will defend to the death your right to say it » which you have found in my book Voltaire in His Letters is my own expression and should not have been put in inverted commas. Please accept my apologies for having, quite unintentionally, misled you into thinking I was quoting a sentence used by Voltaire (or anyone else but myself). »
    • (La phrase « Je désapprouve ce que vous dites, mais je défendrai jusqu’à la mort votre droit de le dire » que vous avez trouvée dans mon livre Voltaire dans ses lettres est ma propre expression et n’aurait pas du être mise entre guillemets. Je vous prie d’accepter mes excuses pour vous avoir bien involontairement donné à penser que j’avais cité une phrase utilisée par Voltaire (ou par quelqu’un d’autre que moi-même).
    • Les mots « my own » ont été soulignés personnellement par Miss Hall dans son courrier.
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