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La paix en Colombie, est-ce pour bientôt ?

jeudi 6 octobre 2016, par Jean-Pierre Combe

Le gouvernement et l’insurrection populaire avaient longuement négocié la réalisation de la paix dans ce pays.

Longuement, parce qu’il fallait traiter de tous les sujets concernant la guerre et la paix ; si longuement que certains observateurs ont fait la remarque que la paix est plus difficile à faire que la guerre.

Sans doute le peuple de Colombie avait-il atteint une extrémité de la lassitude, en même temps que du besoin d’en sortir : si longues et compliquées qu’elles aient été, les négociations ont fini par aboutir !

Pour la paix, c’est bien une victoire !

Mais cette victoire n’aurait pas été solide si elle était restée impersonnelle !

C’est la raison pour laquelle un plébiscite a été convoqué ; son résultat établit clairement les données de la situation politique en Colombie : ils montrent comment s’établit le rapport de forces entre le parti de la paix et le parti de la guerre.

Dans le parti de la paix, nous trouvons les FARC ; un mouvement populaire qui s’est constitué il y a quelques années, la Marche pour la Paix ; le gouvernement Dos Santos, ce qui prouve la participation au parti de la paix d’une partie de la bourgeoisie colombienne.

Dans le parti de la guerre, nous trouvons les « paramilitaires » colombiens ; M. Uribe, le chef du gouvernement qui a précédé Monsieur Dos Santos, et cela prouve aussi la participation au parti de la guerre d’une autre partie de la bourgeoisie colombienne ; nous savons par ailleurs que cette partie de la bourgeoisie colombienne est intensément liée à la bourgeoisie états-unienne, ce qui nous éclaire sur la contribution, et de cette bourgeoisie, et de la bourgeoisie riche états-unienne, et des services secrets états-uniens, au paramilitarisme colombien, ainsi que sur l’intervention de leurs propagandes dans la campagne plébiscitaire pour ou contre la paix en Colombie.

Briguant les voix des électeurs, le parti de la guerre cachait qu’il voulait pouvoir continuer de tuer : aux dernières heures de la campagne, nous avons entendu son chef, Monsieur Uribe, déclarer tout benoîtement : « Ceux qui vont voter non (à la paix) veulent autant la paix que ceux qui vont voter oui (à la paix) ; mais ils pensent que les sanctions qu’encourront les auteurs de crimes sont trop laxistes !... »

Cette déclaration est dans la logique de la politique bourgeoise : l’expérience nous montre que lorsqu’une bourgeoisie fait la guerre, elle qualifie toujours de criminels ceux qu’elle va tuer ; Faisant le silence sur les crimes commis par ses propres troupes, Monsieur Uribe nous dit : « nous n’accepterons la paix que si elle tue nos ennemis autant que la guerre dont nous sortons ! » !...

Il y a un précédent colombien : dans les années 80, lors d’un autre processus de paix, le parti de la guerre n’a pas démobilisé ses troupes : il leur a fait tuer plusieurs dizaines de milliers de membres des FARC démobilisés !... En Colombie, la méfiance du peuple est dans l’intérêt national et dans l’intérêt de la paix.

Le parti colombien de la guerre, d’où vient-il ?

Le colonialisme espagnol, comme tous les colonialismes, consiste en une guerre permanente faite aux peuples colonisés afin de les forcer à travailler pour les propriétaires des grands domaines définis par les autorités coloniales et attribuées aux colons : cinq siècles de cette guerre des riches contre les pauvres ont laissé des traces profondes dans les mentalités de la grande bourgeoisie espagnole et colombienne. La fin de la colonisation espagnole, de ce point de vue, est ambigüe : la bourgeoisie terrienne de Colombie s’est séparée de la grande bourgeoisie espagnole, mais son adhésion au mouvement bolivarien de libération n’a été que circonstancielle : elle a rompu avec ce mouvement aussitôt qu’il a été question de permettre aux membres du peuple de participer aux progrès de la société, et les appétits de la bourgeoisie états-unienne ont été pour elle une opportunité : la bourgeoisie terrienne de Colombie a fait alliance avec la bourgeoisie réellement néo-coloniale des Etats-unis d’Amérique, et continué sa guerre coloniale et d’exploitation contre le peuple indien.

Au cours du deuxième quart du vingtième siècle, elle a cru pouvoir accentuer impunément sa guerre en expropriant les Indiens par villages entiers : la révolte des Indiens en cours d’expropriation est devenue insurrection armée : tel fut le commencement de la guerrilla des FARC.

On le voit : la guerre contre le peuple est une tradition si profonde de la bourgeoisie colombienne que celle-ci a facilement mobilisé ses moyens de propagande contre la paix, et facilement trouvé les moyens matériels de cette propagande, sans oublier que dans tous les cas que nous connaissons, la propagande de la guerre antipopulaire de tradition coloniale va toujours avec une part non négligeable d’intimidation et de terrorisme !

En vérité, le parti de la paix en Colombie n’a jamais eu la tâche facile : du simple fait que les paysans indiens refusaient de céder devant l’expropriation, ils étaient réputés délinquants par l’Etat colombien ; devant leur refus de ce statut infâmant, et devant l’insurrection qui manifestait ce refus, la bourgeoisie colombienne a réagi en réactivant les schémas du colonialisme espagnol et en relançant la guerre contre le peuple ; leurs alliés de la bourgeoisie états-unienne, eux, ont retrouvé leurs propres traditions de la guerre de conquête de l’ouest contre les Indiens ; seule, la guerrilla a permis aux Indiens de Colombie de survivre à cette invasion capitaliste ! De plus, si les FARC font la guerre de guerrilla, leur volonté de paix ne saurait faire de doute, comme on l’a vu ci-dessus : ce sont les paramilitaires qui voient la paix avec d’autres yeux : lors du processus de paix précédent, ils ont tant tué que les paysans ont dû reprendre les armes qu’ils venaient de poser !...

On le voit, les FARC, aux côtés de la méfiance populaire, ont pleinement leur place dans le camp de la paix !...

Avec eux, dans ce camp, il y a un mouvement populaire, la Marche pour la paix. Il s’agit de citoyennes et de citoyens de Colombie, sans doute pour la plupart citadins, qui ne se sont pas engagés aux côtés des paysans insurgés, mais qui reconnaissent que la paix est impossible si on ne rend pas justice aux paysans colombiens, même s’ils sont indiens : donc, ils militent pour la justice et pour la paix. Ce qui vient d’être dit de l’action du camp de la guerre montre qu’ils ont un grand courage.

Sans doute l’élection au gouvernement de Colombie d’un homme qui montre une volonté de paix certaine doit-elle beaucoup à l’influence prise dans la bourgeoisie colombienne par la Marche pour la Paix : certains bourgeois peuvent penser, et espérer, pouvoir continuer de faire des affaires, et même des affaires d’un type nouveau et plus intéressantes, dans une Colombie en paix… Si ce courant bourgeois existe, c’est certainement lui que représente le gouvernement de Monsieur Dos Santos…

Le plébiscite a donné au parti de la guerre une courte victoire.

Cette victoire est si courte que l’on peut recenser les facteurs qui ont pu la favoriser : cela va de la thèse hypocrite que « ceux qui vont voter non veulent autant la paix que ceux qui vont voter oui », aux facteurs météorologiques, le cyclone Mathieu parcourait les régions côtières de Colombie, empêchant leurs habitants d’aller voter, alors qu’en majorité, ils auraient voté oui…

En fait, le plus important est sans doute que la victoire du parti de la guerre est si courte que le parti de la paix se sent aujourd’hui capable d’imposer la paix : vous entendez bien : imposer au parti de la guerre de remettre ses armes au râtelier !...

C’est sans doute que le temps est venu, en Colombie aussi, d’examiner publiquement les conditions politiques de la paix et de la guerre : s’il réussit à faire taire les paramilitaires et autres va-t-en-guerre, le parti de la paix pourra s’expliquer largement avec les citoyens de Colombie, et faire ainsi la clarté, la vérité sur les enjeux de la guerre et de la paix ; s’il y réussit, la paix gagnera la partie, et l’Amérique caraïbe deviendra une zone de paix.

Rien n’est gagné, mais rien n’est perdu !...

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