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Les problèmes que pose l’affaire d’Aulnay sous Bois

article proposé au site Initiative-communiste.fr

samedi 18 février 2017, par Jean-Pierre Combe

C’est une affaire de la plus grande gravité : un crime. Voyons d’abord les faits :

  • un homme jeune qui circulait sur la voie publique de sa ville a été violemment interpelé par un groupe de policiers en tenue ; au cours de l’interpellation, il a été violenté par le groupe et violé par l’un de ses membres.

Un médecin a examiné les blessures infligées au jeune homme, et une équipe médicale a dû les opérer : ce médecin atteste qu’il y a eu viol. Or, le code pénal punit le viol de quinze ans de réclusion criminelle ; afin de dissiper les doutes, lisons la définition qu’en donne son article 222-3 : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »

En outre :

  • Depuis l’interpellation, aucun organe de presse n’a fait état de quelque raison que ce soit qui ait pu servir de motif à cette interpellation : pourquoi ce jeune homme a-t-il été interpelé ?

Cette affaire vient s’ajouter à la liste, déjà beaucoup trop longue, des cas d’utilisation abusive de la violence par les forces armées de notre pays que sont la police, l’armée et la gendarmerie. Cette liste fait notamment état des évènements suivants : En ce qui concerne l’armée :

  • en 1870, la trahison du général Bazaine et la défaite de l’armée obéïssant au gouvernement des « quatre Jules » (Trochu, Favre, Ferry et Simon), au sujet desquelles trahison et défaite l’historienne Annie Lacroix-Riz vient de faire une conférence qu’il faut remarquer, écouter et faire écouter ;
  • en 1871, la répression de la Commune de Paris ;
  • en 1891, la fusillade de Fourmies ;
  • en 1907, l’envoi du dix-septième régiment de ligne contre les vignerons du midi frappés par le phylloxéra (ce régiment a refusé de porter les armes contre les vignerons ; cela lui a valu d’être salué d’une chanson célèbre parmi les Républicains) ;
  • en 1918, l’envoi en Russie de l’« armée d’Orient » avec pour nouvelle mission de combattre la révolution bolchévique (sous le général Franchet d’Espérey, cette « armée d’Orient » venait de terminer la guerre dans les Balkans ; révulsés par cette mission, les soldats de l’armée d’Orient ont composé la chanson, « Odessa-Valse » ; finalement, il a bien fallu les rapatrier avec les marins français de la Mer Noire qui s’étaient mutinés contre la même mission) ;
  • n’oublions pas 1940, avec la trahison de l’Etat-Major français, qui a bel et bien organisé la défaite !…

Dans tous ces cas, les armées n’étaient pas engagées au service de l’intérêt national, mais au seul service des intérêts égoïstes des propriétaires de capitaux.

En ce qui concerne la police, bornons-nous à quelques exemples d’après-guerre :

  • la répression de la lutte populaire contre l’adhésion de la France au plan Marshall, et contre sa signification d’alignement de la politique française sur la politique US, qui impliquait l’embrigadement de notre pays aux côtés des USA dans la guerre froide qui commençait alors ;
  • la répression de toutes les manifestations ouvrières de revendication salariale ;
  • la répression des manifestations populaires en Algérie contre le système d’économie coloniale ;
  • la répression des manifestations populaires contre l’envoi de l’armée française en Indochine combattre les patriotes anticolonialistes ;
  • la répression des manifestations populaires contre la répression sanglante du peuple algérien, puis contre l’envoi en Algérie du contingent de jeunes appelés au service militaire ;
  • la répression sanglante des manifestations pacifiques, en France, de travailleurs algériens ;
  • la répression des manifestations paysannes pour l’économie rurale et pour l’agriculture familiale ;
  • la répression de plus en plus violente des manifestations d’étudiants revendiquant des conditions plus humaines de vie universitaire ;
  • l’épisode violent de la rue Saint Jacques à Paris, qui a donné le signal des mouvement de grève des mois de mai et juin 1968 ;
  • la répression du mouvement d’opposition à l’extension du camp militaire du Larzac ;
  • la répression des mouvements pour les retraites en 1995,
  • du mouvement contre les contrats-bidon offerts aux jeunes, chômeurs avant d’avoir travaillé,
  • la répression des manifestations contre la désastreuse loi El Khomri dite « loi travail »…

Toutes ces répressions protégeaient le système bourgeois de la propriété, celui qui avait été déclaré « inviolable et sacré » en 1789, et qui avait bourgeonnné depuis pour devenir d’une part la propriété capitaliste que nous connaissons, et d’autre part la propriété coloniale… Il faut remarquer aussi que nombre de ces répressions ont été accompagnées de l’intervention de groupes violents irréguliers, que nous appelons « groupes de casseurs », qui ont notamment été utilisés par les chefs de la police pour créer les prétextes à l’application de méthodes violentes de répression. Au sujet de l’identité réelle de ces casseurs, plusieurs hypothèses circulent.

Chacune des affaires des listes précédentes suscite encore, lorsqu’elle est évoquée, deux courants de réactions immédiates :

Les réactions du premier courant ne proposent pas d’analyse, mais spéculent sur le scandale, en appelant à se révolter contre la police, à « casser du flic » ; ces réactions promeuvent l’idée que toute police est mauvaise, aussi mauvaise que les pires voyous… Cette idée est bien connue : elle est caractéristique d’une tendance anarchiste, celle qui prétend que la révolution naîtra d’une vague de violence armée qui n’a pas à intégrer en un véritable objectif politique les intérêts du peuple qui ne peut vivre que de son travail...

Les autres réactions, et parmi elles celles de tous les partis politiques qui ont en charge la défense des intérêts capitalistes, spéculent sur la répulsion qu’inspire la violence aux plus nombreux des membres de notre peuple, et nous appellent à serrer les rangs, à nous tenir solidaires de la police telle qu’elle est aujourd’hui, à ne pas prendre le risque de la diviser : elles nous appellent à repousser toute expression de condamnation dès lors qu’elle vise des actes criminels commis par des policiers. Parmi ces partis, le FN avoue son intention de recourir à la police demain pour « mettre la France en ordre », entendez « en ordre de caserne » ! En somme, pour conjurer le danger de violence, nous devrions placer la police au-dessus des lois, en excusant, voire en niant les fautes et les crimes que pourraient commettre des policiers ; ces réactions vont jusqu’à jeter le doute sur la réalité de ces crimes, même s’ils sont incontestables, comme dans le cas présent : l’Affaire Dreyfus a rendu célèbre l’usage des faux que font les plus riches capitalistes et les partis qui les représentent en politique pour protéger la maîtrise exclusive de la bourgeoisie riche sur l’armée.

Les réactions de ces deux catégories interfèrent en créant une confusion qui tend à occulter la réalité des problèmes posés, et qui peut aller jusqu’à protéger de l’action judiciaire les criminels lorsqu’ils sont membres de la police ou de l’armée !

Un autre facteur de confusion est la manière dont les journalistes de la presse écrite ou télévisée composent l’information : dans le cas présent, on peut les entendre dire que « le jeune homme a été victime d’un viol présumé » !

Qualifier ainsi de présumé ce viol est un scandale : les blessures infligées à ce jeune homme ne résultent pas d’un viol présumé, mais avéré : si la justice s’est mise à la poursuite de coupables, c’est bien parce que le crime est avéré ! Rappelons que le ministre de l’intérieur a reconnu la particulière gravité des blessures de Théo.

Le mot présumé doit être employé pour qualifier l’innocence d’un suspect ou d’un accusé jusqu’à l’énoncé de la sentence : ce n’est donc que lorsque la justice connaît des suspects, et seulement pour qualifier l’innocence de ces suspects, que l’on peut employer le mot présumé, et cet emploi n’est possible que jusqu’à l’énoncé d’une sentence par un juge, laquelle peut reconnaître l’innocence d’un accusé, et l’acquitter ou le relaxer, ou le déclarer coupable, et le condamner.

Au-delà de ses aspects judiciaire et journalistiques, l’affaire d’Aulnay-sous-Bois pose véritablement à notre société plusieurs problèmes de fond : je citerai celui du recrutement des policiers, celui de leur formation aux fonctions policières, et celui du contrôle des corps de police.

Les simples citoyens sont en effet en droit de se demander comment il se fait qu’un policier se permette d’appliquer à une personne qu’il interpelle des actes de violence qui ne servent pas à l’interpellation ! Comment le viol pourrait-il servir à l’interpellation ? Quel acte nécessaire à l’interpellation pourrait-il devenir accidentellement un viol ?

Les critères de recrutement des policiers seraient-ils à ce point défaillants qu’ils permettraient le recrutement de personnes trop faibles pour ne jamais dépasser les limites de leurs fonctions légales ? Seraient-ils perméables aux criminels et aux voyous ? Il faut les revoir sans délai afin de corriger cela !

La formation personnelle et collective des policiers présenterait-elle des carences en matière de définition des moyens de la contrainte par corps, car c’est de cela qu’il s’agit, et quoi qu’en puissent dire les réactionnaires, ni la vengeance, ni les gestes et insultes racistes, ni l’humiliation, ni le viol ne font partie de ces moyens... ? Serait-elle incapable de porter les élèves policiers au niveau de responsabilité qui leur est nécessaire… ? Serait-elle carencée en matière de règlement, de procédure, d’entraînement en situation réelle… ? Cela aussi doit être revu de la manière la plus stricte !

Venons-en au contrôle des corps de police, ou plus généralement, des forces armées : il dépend de la façon dont leur mission générale est conçue par les gouvernements : depuis plus de deux siècles que la bourgeoisie place ses hommes à tous les postes du gouvernement de la France, elle institue les forces armées de notre pays en vue de deux missions : l’une est la mission institutionnelle de protéger l’« intérêt général » des Français, l’autre est la mission courante de protéger la propriété, qui est, comme chacun de nous l’a appris à l’école, privée, inviolable et sacrée ; mais l’intérêt général est très mal défini dans nos textes constitutionnels et légaux ; quant aux textes de l’éthique, ils ne servent pas de référence aux lois, ni aux pratiques...

Les membres de notre peuple savent de par leur longue expérience que l’armée et la police interviennent toujours en défense de la propriété, et que cela les conduit toutes les deux à réprimer les travailleurs au grand dommage de l’intérêt général !...

La répression des manifestations populaires contre la loi « El-Khomri » constitue un véritable « cas d’école », peut-être même un tournant de l’utilisation de la violence par l’Etat bourgeois. Sous le prétexte de la menace terroriste et au moyen de la loi d’état d’urgence, le gouvernement a soumis les manifestations légitimes des travailleuses et travailleurs à des conditions spectaculaires et très lourdes de sens : les manifestants devaient accepter d’être filtrés et de voir leurs manifestations totalement encagées ; les photos prises lors de ces manifestations ressemblaient à s’y méprendre aux photos des convois de prisonniers de guerre, évidemment militairement encadrés : les manifestants ont défilé encadrés par devant, par derrière et sur les côtés d’un cordon continu de policiers en tenue de combat et en armes, et tout le monde comprenait que les armes étaient pointés non pas vers une menace extérieure, mais vers les manifestants !...

Véritablement, l’exemple de ces manifestations illustre la manière dont notre gouvernement interprète la mission de la police : suivant la tradition biséculaire de l’Etat bourgeois, d’ailleurs tragiquement confirmée lors de la « drôle de guerre » de 1940, il tourne les forces armées dont il dispose contre le peuple travailleur et pacifique ; les menaces réelles ou supposées pesant sur notre pays ne sont pour lui que des prétextes !... En France, ce parti-pris de protéger le gouvernement bourgeois contre le légitime mouvement populaire de revendication détermine les missions de la police, les critères selon lesquels sont recrutés les policiers et la formation qu’ils reçoivent. Il en est ainsi, quoi qu’en pensent nombre de policiers sincèrement attachés à la devise républicaine, dont nous ne doutons pas qu’ils réprouvent l’acte de barbarie commis par le ou les auteurs mis en examen dans l’affaire d’Aulnay-sous-Bois.

Telle est la raison pour laquelle la défense de la propriété bourgeoise est toujours la mission prioritaire de la police, celle qui détermine le sens concret des missions policières, et renvoie dans l’utopie la véritable mission de protection de l’ordre public : l’ordre public ainsi assimilé, c’est-à-dire réduit à l’ordre de la propriété capitaliste, les manifestations collectives de la revendication du droit de vivre des salariés et des personnes que le système capitaliste prive du droit de travailler, dès lors qu’elles risquent de mettre en cause le pouvoir économique des propriétaires des plus gros capitaux, sont interprétées par les gouvernements (« de gauche » comme « de droite » comme le confirme notre expérience récente) et par la haute direction de la police comme des violations de l’ordre public et réprimées avec une violence que deux siècles d’usage ont rendue habituelle : il faut noter que cette violence répressive cause de fréquentes destructions des objets appartenant aux salariés ou aux personnes privées de travail.

Or, les luttes sociales ont imposé d’inscrire dans le droit français le droit pour chaque citoyen de penser, de manifester sa pensée, de dénoncer les violations de ses propres droits essentiels (les droits de vivre), et de revendiquer ces droits lorsqu’ils sont violés : ces dispositions ont intégré dans l’ordre public les légitimes manifestations par lesquelles les travailleuses et des travailleurs, fussent-ils privés de travail, revendiquent leur droit de vivre  ; désormais, et de ce fait, protéger ces manifestations est une mission des forces de l’ordre ; je dis bien : en manifestant pour revendiquer le droit de vivre dont les prive le système économique capitaliste, les travailleuses et les travailleurs ne troublent pas l’ordre public, et la police a le devoir d’assurer leur droit de manifester !

Donc aujourd’hui, la police qui tourne ses armes et son action contre les manifestants réprime violemment le droit de manifester : elle viole sa mission !

Il est ici clair que nous devons revendiquer une modification de la hiérarchie des missions des forces de police : il faut donner à la mission de défendre l’ordre public la priorité sur la défense de la propriété, et il faut même, sans doute, au sein de la défense de la propriété, distinguer de la propriété capitaliste la propriété qui est le fruit du travail et de l’épargne des membres des classes populaires et moyennes, et rendre la défense du fruit du travail et de l’épargne populaires prioritaire sur la défense de la propriété capitaliste, qui, elle, est toujours marquée par la spéculation.

Cela implique de préciser le rapport de l’intérêt général à l’ordre public, et la place que les travailleuses, les travailleurs, et aussi les personnes que le système capitaliste prive de travail, doivent occuper dans la détermination de l’intérêt général du simple fait qu’ils sont les producteurs de toutes les richesses de notre pays.

Tous ces problèmes participent de la lutte des classes ; ils naissent de l’inégalité essentielle à l’ordre capitaliste et ne peuvent être résolus que par l’intervention massive de la classe travailleuse, qui est et reste la majorité de la population française.

Nous y reviendrons très bientôt.

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