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Une thèse anticommuniste

Le rapport Lindblad

vendredi 17 février 2006, par Jean-Pierre Combe

- Monsieur Göran Lindblad est un Suédois, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
- Cette assemblée prend des résolutions et adresse des recommandations au Conseil de l’Europe, ce qui lui donne un rôle important dans la formation de ce que ceux qui gouvernent véritablement la France appellent « la légalité européenne » et dont ils nous imposent les contraintes : les textes qu’elle discute et les votes qu’elle émet sont donc importants. Mais contrairement à ce que nous fait accroire son nom statutaire, elle n’a rien de démocratique : la règle selon laquelle ses membres sont désignés laisse plusieurs échelons d’arbitraire prendre le pas sur les volontés populaires.

- Dans cette assemblée, Monsieur Göran Lindblad représente le « Parti populaire européen » (PPE), dont les textes énoncent très régulièrement la modalité fascisante des intérêts de la grande bourgeoisie capitaliste. Il a rédigé un rapport sur la « nécessité d’une condamnation internationale des crimes des régimes communistes totalitaires » que la commission des questions politiques de cette assemblée a accepté comme document 10 765 daté du 16 décembre 2 005, et inscrit à l’ordre du jour de la cinquième séance de sa session de janvier 2 006 : le vote intervenu le 25 janvier a adopté la résolution de ce rapport, mais par une majorité insuffisante pour adopter aussi sa recommandation : celle-ci est donc restée un projet ; pourtant, cela ne pourrait pas faire obstacle à l’action du Conseil de l’Europe, s’il décidait de la suivre quand même en ouvrant en Europe la chasse anticommuniste aux sorcières vers quoi tend l’ensemble du rapport, de son résumé initial à ses conclusions.
- Nous discuterons ici du rapport Lindblad tel qu’il a été proposé au vote de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Il est composé d’un résumé suivi d’un projet de résolution, puis d’un projet de recommandation, d’un exposé des motifs et d’un ensemble de conclusions.
- Ce rapport fait une balance illusoirement comparative du communisme et du nazisme ; il mentionne cette balance dès le début du projet de résolution et la reprend dans l’exposé des motifs puis, plus longuement, dans les conclusions ; il le fait de telle manière qu’il introduit et cultive sans la mentionner l’idée que le nazisme serait victime d’une injustice qu’il faudrait réparer en condamnant le communisme.
- Il se sert de cette balance comme d’une trame sur laquelle il brode le discours qu’il tient pour obtenir :

  • qu’une autorité supranationale
  • condamne les crimes du communisme,
  • d’urgence.

- Une autorité supranationale, qu’est-ce que c’est ?
- Dès l’abord, Monsieur Lindblad en écarte les peuples en déclarant que « le grand public est très peu conscient des crimes commis par les régimes communistes totalitaires », en même temps qu’il pose en principe sa balance du communisme et du nazisme : « les crimes commis par les régimes communistes totalitaires d’Europe centrale et orientale n’ont pas été condamnés par la communauté internationale comme cela a été le cas des horribles crimes commis au nom du Socialisme National (nazisme) ».
- Jugeant que les intérêts nationaux ont trop de place dans la détermination de certains gouvernements, et estimant inexistantes, insuffisantes ou néfastes les positions qu’ils ont déjà prises, il déclare que « la communauté internationale » doit prononcer la condamnation qu’il souhaite, et que le Conseil de l’Europe est bien placé pour le faire.
- Il donne à ses arguments moraux ou sentimentaux un développement tel que les décisions qu’il veut obtenir rendraient obligatoires notamment les sentiments de compassion et de reconnaissance : elles obligeraient la vie intime des habitants de l’Europe ; or, régler l’intimité des gouvernés est une caractéristique du gouvernement des tyrans.
- Dans l’exposé de ses motifs, il démontre que les peuples n’iront pas d’eux-mêmes dans la direction qu’il souhaite, et reprend sa balance en écrivant : « En fait (...) il n’y a pas eu de débat sérieux, approfondi, sur l’idéologie qui a été à l’origine d’une terreur généralisée, de violations massives des droits de l’homme, de la mort de millions de personnes et a régi le sort de nations entières. Alors qu’un autre régime totalitaire du vingtième siècle, le nazisme, a fait l’objet d’enquêtes, a été condamné internationalement, que les auteurs des crimes ont été jugés, des crimes similaires commis au nom du communisme n’ont jamais fait l’objet ni d’enquêtes ni d’aucune condamnation internationale. » Introduisant ainsi l’affirmation que les crimes commis au nom du communisme sont similaires à ceux du nazisme, il place alors, aussitôt, les peuples dans un rapport avec l’autorité supranationale qui ne laisse à l’individu aucune liberté de discuter, ni aux peuples rien à décider : pour Monsieur Lindblad, ni la femme ni l’homme ne sont des citoyens.
- Ce que Monsieur Lindblad veut pour l’Europe, c’est le gouvernement d’un tyran.

- Quel objet s’agit-il de condamner ?
- Depuis les origines de la démocratie, les lois démocratiques ne condamnent pas les crimes : un crime est un crime, et la démocratie ne distingue pas entre crime condamnable et crime non condamnable.
- Les lois de la démocratie qualifient de crimes certains actes, notamment ceux qui portent préjudice à la vie d’autrui, et obligent les membres de la société à poursuivre leurs auteurs, puis à les accuser et à les juger ; le jugement aboutit à décider de condamner ou d’acquitter les accusés, et lorsque le tribunal les a condamnés, les lois démocratiques obligent les membres de la société à exécuter la sentence qui énonce la condamnation.
- Donc, en démocratie :

  • la poursuite des auteurs de crimes et leur jugement prennent place entre l’acte criminel et la condamnation qui le sanctionne ;
  • la condamnation frappe les auteurs du crime en définissant la peine qui sanctionnera l’acte criminel et en les obligeant à l’accomplir.

- Les lois de la démocratie font du crime la cause de la poursuite, du jugement et de la condamnation de son ou de ses auteurs. Que l’on demande la condamnation d’un crime est donc suspect.
- Or, Monsieur Lindblad demande que l’on condamne les crimes du communisme : sa démarche est contraire à la démocratie ; il déplace l’objet de la condamnation ; il ne veut pas frapper les auteurs des crimes.
- Que veut-il donc condamner ? Il dit : « les crimes du communisme », dont il donne deux définitions : par énumération, et par les propriétés qu’il leur attribue.

- Examinons d’abord sa définition par énumération (ou, comme disent les logiciens, en extension) :

  • il énumère simplement tout ce que, depuis l’avant-guerre de 1939, diverses propagandes ont imputé à Staline et aux gouvernements des autres pays socialistes.
  • Sur la réalité des crimes qu’il énumère, il n’apporte aucun élément nouveau, sauf qu’il dit dans son rapport que toutes les preuves ont disparu.
  • Il fait état de voyages entrepris pour préparer son rapport, mais de ses voyages, il n’a rien rapporté de plus.
  • Son énumération est censée couvrir la période qui commence en 1917 et s’achève avec l’effondrement des pays socialistes ; elle appelle plusieurs remarques :
    • elle omet la révolution, la guerre civile, l’intervention américano-anglo-franco-japonaise, l’agression japonaise contre la Mongolie : ces évènements mortels pour de grands nombres de femmes et d’hommes n’auraient tout simplement pas eu lieu, non plus que la deuxième guerre mondiale...,
    • elle omet la présence de nombreux communistes parmi les victimes des répressions,
    • Monsieur Lindblad mentionne les camps d’internement ouverts en 1918 en des termes qui invitent le lecteur à supposer que le Tsar n’internait personne.
    • Il mentionne une famine extrêmement douteuse : elle aurait fait plusieurs millions de morts en Ukraine en 1932-1933 ; mais certains historiens ont étudié la démographie de l’Ukraine dans les années trente, aboutissant à mettre en doute l’existence même d’une vague de décès pendant ces deux ans ; Monsieur Lindblad persiste, sans donner l’ombre d’une indication permettant d’atteindre quelque preuve.

- Monsieur Lindblad exploite son énumération en reprenant les décomptes que fait Monsieur Courtois dans son Livre noir du Communisme, en les qualifiant d’« évaluations prudentes » approchées par défaut, alors que la méthode même de ces décomptes, basée sur des catégories ressemblant fort à celles de Monsieur Lindblad, ne peut conduire qu’à des nombres de nulle signification.
- On le voit, des doutes profonds entachent certains points de cette énumération, et sur les autres points de première importance, elle est franchement fausse.

- Voyons maintenant sa définition par les propriétés (ou, comme disent les logiciens, en intention).
- Pour Monsieur Lindblad, les crimes du communisme sont : une terreur généralisée, ou une violation massive des droits de l’Homme ou la mort de milliers d’hommes, prenant leur origine dans l’idéologie communiste, ayant lieu dans des sociétés dirigées par un parti unique lui-même attaché au moins verbalement à l’idéologie communiste.
- Personne au monde ne doute de ce que la terreur généralisée, la violation massive des droits de l’Homme et du Citoyen, et la mort donnée à des milliers de femmes et d’hommes sont des crimes : sur ce point, Monsieur Lindblad enfonce une porte ouverte.

- Qu’en est-il de la relation de ces crimes au communisme ?
- Dans un premier temps, Monsieur Lindblad a balayé le doute sur ce point en omettant de mentionner la présence de communistes parmi les victimes des répressions, puis, il admet que le parti unique pourrait n’avoir que des attaches verbales avec l’idéologie communiste.
- Seulement, si ces attaches ne sont que verbales, à quoi ce parti unique est-il attaché vraiment ? Monsieur Lindblad ne posera pas cette question. Et avant que ses lecteurs se la posent, il évacue le parti unique et se met en quête de ce qui pourrait relier au communisme les crimes qu’il lui impute : son rapport donne quatre descriptions de ces liens ; nous allons voir que chacune de ces descriptions se distingue de chacune des autres par des différences essentielles et fondamentales.

La première est dans le projet de résolution : Monsieur Lindblad écrit que « la théorie de la lutte des classes et le principe de la dictature du prolétariat

  • furent interprétés
  • de manière à rendre légitime
  • l’élimination de catégories de personnes considérées comme nuisibles à la construction d’une société nouvelle. »

- Le même projet de résolution énonce presque aussitôt une deuxième description : « Les crimes ont été justifiés

  • au nom de la lutte des classes et du principe de la dictature du prolétariat,
  • dont l’interprétation rendait légitime l’élimination de catégories de personnes
  • considérées comme nuisibles à la construction d’une société nouvelle. »

- Ces deux descriptions ont en commun de laisser la place à la guerre de sabotages et d’attentats contre laquelle les populations soviétiques ont dû se défendre : que des saboteurs et des auteurs d’attentats nuisent à la vie sociale ne peut être mis en doute, et toute société s’organise pour se défendre contre de telles personnes : il n’est pas besoin pour cela de rechercher une légitimité dans un principe ou dans un autre.
- Mais la première place la légitimité et l’interprétation entre ceux qui décident d’« éliminer » et la lutte des classes.
- La légitimité n’est pas une obligation ; c’est là une première distance.
- Quant à l’interprétation, notre expérience plus que bimillénaire nous enseigne quel usage en font certains chefs : ils la surchargent d’hypocrisie et d’arbitraire, puis s’en servent pour faire le contraire de ce qu’ils disent ; voilà une deuxième distance.
- En démocratie, il suffirait de lire la première description pour rejeter ce rapport, parce qu’il anticipe sur la publication des travaux des historiens qui ont encore à faire leurs examens contradictoires des évènements en cause et à les rendre publics : le fait est qu’alors, l’enchainement concret des évènements réels, ceux qui ont réellement eu lieu, sera mis en lumière ; c’est au sein de ces évènements que prennent place les actes de chacun des acteurs concrets, avec, pour chacun d’eux, sa responsabilité véritable et non supposée ; par conséquent, il se peut même qu’alors sera démontré que certains évènements dénoncés par Monsieur Lindblad n’ont pas eu lieu ; voter cette résolution, c’est donc faire obstacle à la véritable recherche historique, qui seule, peut établir la réalité des évènements et la vérité des responsabilités des uns et des autres ; est-ce un hasard si les acteurs que la recherche historique mettra au grand jour, peut-être pour le meilleur mais sans doute aussi pour le pire, sont nombreux parmi ceux que Monsieur Lindblad nous présente comme des victimes dignes d’une compassion et d’une reconnaissance qu’il prétend rendre obligatoires par acte d’autorité ?
- Venons-en à la deuxième définition de ce qui devrait relier au communisme les actes que le rapport lui impute à crime. Elle regroupe les deux distances que sont la légitimité et l’interprétation sous un appel « au nom de » ; un tel appel substitue au raisonnement une démarche symbolique qui ouvre les vannes de l’irrationnel : on ne raisonne plus, on croit !
- Et en effet, le développement de la résolution mentionne à peine l’histoire, en même temps qu’elle insiste sur la demande d’un jugement moral fondé sur des sentiments, la compassion et la reconnaissance pour les victimes d’évènements que l’histoire n’a pas élucidés, ainsi que sur la menace que représenteraient des régimes totalitaires existant encore hors d’Europe : de fait, c’est le projet de résolution lui-même, et tout entier, qui brasse sentiments, morale et croquemitaine pour accélérer la décision de condamner.
- Monsieur Lindblad est, en effet, pressé : il n’a pas de temps à donner aux historiens pour étudier et écrire l’histoire, pas de temps à donner aux femmes et aux hommes pour penser ; il lui faut une condamnation immédiate.
- Il écrit pourtant, sans doute par précaution, qu’il espère que les historiens continueront les recherches ; mais Monsieur Lindblad est aussi prudent que pressé : il leur a assigné les conclusions ! Après quoi il espère qu’ils voudront bien poursuivre les recherches qui établiront ces conclusions. Monsieur Lindblad n’accepte pas le risque qu’implique le doute scientifique.
- Dans l’exposé de ses motifs, dont la fonction est d’orienter les interprétations de la résolution et du projet de recommandation, Monsieur Lindblad donne une troisième description de la relation entre idéologie communiste et crimes du communisme. La voici : « La théorie de la lutte des classes impose la nécessité d’éliminer les catégories de personnes considérées comme sans utilité pour la construction d’une société nouvelle ».
- Dans cette troisième description, toute distance entre la lutte des classes et ceux qui décident d’éliminer a disparu : c’est désormais directement que la lutte des classes impose aux chefs la décision d’éliminer. L’histoire n’a plus aucune place, et les chefs n’ont plus de compte à rendre.
- Constatons, c’est important, qu’il n’est plus question d’éliminer « les personnes nuisibles », mais « les personnes non utiles » : la guerre de sabotages et d’attentats menée contre l’URSS par les nombreux services secrets des grands capitalistes sera désormais considérée comme nulle et non avenue ; par contre, la voie est ouverte à un nouveau mensonge : celui qui impute aux pays socialistes d’avoir systématiquement mis de côté et maltraité les handicapés ; sans doute est-ce parce que Monsieur Lindblad estime les « crimes du communisme » trop légers pour sa balance, qu’il ouvre la voie pour en rajouter ? Parce qu’en vérité, c’est l’empire raciste, nazi-fasciste, et nul autre, qui a introduit dans sa pratique et légalisé l’euthanasie des handicapés et des inutiles !
- Dans ses conclusions, Monsieur Lindblad confirme l’importance qu’il donne à sa balance : il écrit en effet que « Quiconque analyse les conséquences de l’application de l’idéologie communiste ne peut que constater des analogies avec les effets de la mise en pratique d’une autre idéologie du vingtième siècle, le nazisme. En dépit de leur hostilité mutuelle, ces deux régimes ont en commun un certain nombre de caractéristiques ». Il n’avance pas d’autre preuve des analogies qu’il dénonce, et sur le sujet des « preuves » de Monsieur Lindblad, la manière dont il prépare les nouvelles accusations concernant les handicapés doit nous éclairer : la recherche de la vérité n’est pas son souci. De plus, il tient d’avance pour une objection sans valeur le rappel de la guerre contre les fascismes, contre le racisme, que l’URSS a dû livrer : qu’on se le tienne pour dit, il ne prendra même pas la peine d’y répondre !
- Il développe : « Toutefois, si le caractère criminel et condamnable du régime nazi est demeuré incontesté, du moins pendant un demi-siècle, et si ses dirigeants ainsi que beaucoup d’auteurs de crimes ont dû rendre des comptes, les régimes communistes n’ont pas suscité de réaction comparable. Leurs crimes ont rarement été l’objet de poursuites et nombre de leurs auteurs n’ont jamais été traduits en justice. »
- En somme, Monsieur Lindblad est tout près de nous dire que le nazisme aurait payé sa dette, que justice aurait été faite, et qu’il y aurait lieu désormais de se détourner de lui pour ne plus s’occuper que du communisme.
- Mais les peuples obéïront-ils aux directives de Monsieur Lindblad ? Ce n’est pas son problème : pour lui, « les symboles communistes sont ouvertement utilisés et le public est très peu conscient des crimes communistes. Ce faible degré de conscience est particulièrement frappant par comparaison avec la connaissance que le public a des crimes nazis. » Comment pourrait-il y avoir lieu à tenir compte d’un avis populaire différent ?
- Dans ces mêmes conclusions, Monsieur Lindblad énonce doctement, comme s’il l’avait prouvée, une quatrième description du lien qu’il prétend avoir établi entre le communisme et les crimes qu’il lui impute ; il écrit que « la dimension criminelle des régimes communistes procède

  • de la dictature du prolétariat et
  • de l’élimination des opposants politiques
  • et des catégories de population incompatibles avec le nouveau modèle de société ».

- Une fois de plus, l’élimination a changé d’objet : elle vise désormais « des catégories de population incompatibles avec le nouveau modèle de société » ; en outre, elle a changé du fin : elle ne doit plus protéger la « construction d’une société nouvelle », mais un « nouveau modèle de société » !
- Cela fait beaucoup de changements irraisonnés dans les énoncés successifs de la même définition situés dans le même texte, à bien peu de pages de distance !
- Le modèle de société, cela s’appelait l’ordre du monde au moyen âge ; alors, barons, ducs, marquis, comtes, et autres archevêques et cardinaux savaient défendre l’ordre du monde qui assurait leurs immenses privilèges ; ils appelaient cela « défendre leur race » ; ils étaient experts pour reconnaître les catégories de population incompatibles avec l’ordre du monde : ce sont celles qu’ils massacraient sans vergogne, leur race les assurant que Dieu reconnaîtrait les siens. Telle est l’origine du racisme : la nostalgie des anciens Régimes, la nostalgie des sociétés d’inégalité, et surtout l’envie de jouir des immenses privilèges dont jouissaient les membres des classes dominantes.
- Le communisme s’est tout entier construit contre les sociétés d’inégalité, contre les classes aristocratiques, théocratiques et bourgeoises, contre l’existence même de privilèges, contre le racisme. Que Monsieur Lindblad accuse le communisme de racisme comme il le fait dans sa conclusion, même s’il n’emploie pas le mot, cela montre toute l’étendue du mensonge qu’il sert.

- Que veut réellement Monsieur Lindblad ? Que défend-il ?
- Il en précise lui-même deux points :

  • L’idéologie communiste contient deux éléments respectables, l’égalité et la justice sociale ; quoique respectables, ces éléments tombent donc tous deux sous le coup de la condamnation. Monsieur Lindblad dit que cela ne doit pas empêcher le gouvernement de l’Europe de la prononcer, et n’indique nulle part comment la condamnation des crimes du communisme pourrait épargner l’égalité et la justice sociale ; sans doute vivra-t-il très bien sans elles...
  • La nationalisation de l’économie est un trait permanent du communisme directement lié à son idéologie : il place donc aussi la nationalisation de l’économie sous le coup de sa comdamnation. Elle implique, nous le savons, de restreindre la propriété privée.
    - Monsieur Lindblad nous assure que lorsque la propriété privée est restreinte, les défenses des citoyens sont affaiblies et le citoyen bientôt écrasé. Il énonce cela sur le ton de la certitude, sans égard au fait qu’en France comme dans de nombreux autres pays d’Europe dont la Suède, les travailleurs sont des citoyens écrasés par la propriété privée que rien ne restreint !...

- Monsieur Lindblad n’en a cure : il ne défend ni la démocratie, ni la justice sociale, ni l’économie nationale : ce qu’il défend, c’est l’ordre du monde capitaliste, l’ordre d’inégalité qui assure aux membres de la bourgeoisie propriétaires des plus gros capitaux financiers, commerciaux, industriels et fonciers le privilège d’écraser les citoyens que sont les travailleurs, et de s’enrichir de leurs dépouilles.
- Monsieur Lindblad défend la race bourgeoise.

- Il est pressé d’obtenir la condamnation qu’il demande, comme devant l’urgence d’un danger : que craint-il ?
- Il le dit dès l’introduction de son rapport : à ses yeux, « le grand public est très peu conscient des crimes commis par les régimes communistes totalitaires ».
- Ce qu’il dénonce comme un très faible niveau de conscience, trop faible évidemment à ses yeux, pourrait bien être le doute que créent les propagandes abusives dans une population qui a déjà bien des raisons de douter, et dont diverses parties savent pertinemment que les propagandes anticommunistes véhiculent depuis bientôt un siècle nombre de mensonges et des plus gros. Monsieur Lindblad a raison : ce doute est un danger pour quiconque prétend gouverner à la place du peuple.
- Un peu plus loin, il précise ses craintes : dans l’introduction de l’exposé de ses motifs, il s’avoue « convaincu de l’urgente nécessité d’un débat public sur les crimes du communisme ( ... ) particulièrement important pour les jeunes générations ( ... ) », puis dénonce le danger « ... qu’une sorte de nostalgie du communisme soit encore présente dans certains pays, d’où le danger que les communistes reprennent le pouvoir dans l’un ou l’autre de ces pays. »
- Car les peuples pourraient bien refuser d’obéïr à Monsieur Lindblad !
- Ce que Monsieur Lindblad dénonce comme « une sorte de nostalgie du communisme » est en vérité un état d’esprit collectif que produisent dans une population les discussions qu’ont les familles et les amis lorsqu’ils se réunissent, toutes générations rassemblées, et discutent de ce qu’ils ont vécu : les jeunes entendent les récits des anciens et les controverses au moyen desquelles ils cherchent à interpréter leurs souvenirs ; ils amènent le présent dans ces discussions ; elles engendrent un besoin pressant d’approfondir la connaissance de l’histoire, et les historiens y trouvent les sujets les plus pertinents et les plus fortes stimulations pour leurs études ; c’est véritablement l’histoire du pays que brassent ces discussions. Monsieur Lindblad appelle ce qu’elles produisent « une sorte de nostalgie du communisme » pour dénoncer le danger qu’il y voit : il a raison, c’est un grand danger pour l’ordre capitaliste du monde, un danger réel d’extinction pour la race bourgeoise.
- Monsieur Lindblad a raison d’être pressé : il lui faut interdire ces discussions qui mobilisent les historiens à leur travail, et pour cela, prononcer tout de suite la condamnation qu’il réclame ! Mais au bout de son texte, en savons-nous davantage sur l’objet qu’il poursuit de sa condamnation ? Elle frapperait un objet appelé crimes, dont les définitions floues mettent en œuvre des critères qui varient au cours de l’énoncé ; pour comprendre ces définitions extensibles à merci, il faut nier l’histoire ; par leur moyen, Monsieur Lindblad s’efforce d’imputer au marxisme des crimes de pâte à modeler ; mais ainsi construite, son imputation ne peut être que mensongère.

- En vérité, le document 10 765 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (rapport Lindblad)

  • épaissit le doute sur la réalité des « crimes du communisme »,
  • démontre que le lien au communisme des crimes commis en URSS et dans les pays du camp socialiste est inconsistant,
  • dévoile presque explicitement que son auteur veut d’abord couper court à la réflexion populaire qui se développe dans les pays jadis membres du camp socialiste, donner quitus au nazisme et ouvrir le développement du racisme, pour que la bourgeoisie soit libre de le mettre en œuvre.

- Lecture faite de son rapport, il devient clair que Monsieur Lindblad milite pour dénier aux peuples le droit de suivre une autre voie que celle qu’il leur assigne, et pour constituer une autorité supranationale dont les lois feraient violence à l’intimité de l’individu, ce qui est la prétention caractéristique des tyrans.

- Ce que Monsieur Lindblad développe n’est pas nouveau : en 1960, les nostalgiques du fascisme avançaient couramment deux thèses :

  1. le nazisme et le communisme sont la même chose, et c’est ce qui motive qu’ils devaient finir par se combattre ;
  2. les arguments historiques ne valent rien parce que l’histoire est écrite par les vainqueurs des guerres.

- Mais il s’était formé dans les universités de France et d’autres pays une école d’historiens dont les membres travaillaient leur matière avec une particulière rigueur et recherchaient la vérité avec une exigence jamais satisfaite. En France, cette école est particulièrement marquée par les personnalités d’Albert Soboul, de Georges Soria, de Gilbert Badia et d’autres... Ses historiens démontraient la nécessité et la possibilité, en histoire, d’une étude véritablement scientifique, indépendante des gouvernements et des propriétaires des capitaux, indépendante par conséquent de qui a gagné les dernières guerres, et dont les assertions sont vraies indépendamment de qui a fait l’étude... Ce sont eux qui ont mis en lumière les preuves que maintenaient dans l’ombre les vainqueurs de 1918, les gouvernements français et anglais, et établi que la guerre qui a ravagé l’Europe de 1914 à 1918 avait été voulue par les grands capitalistes français, afin de mettre la main sur les colonies allemandes sans préjudice des possibilités de conquérir, dans la foulée, d’autres colonies : même si la bourgeoisie allemande a accepté la guerre dans le même esprit, le moins que l’on puisse dire, c’est que ces historiens n’étaient pas au service des vainqueurs !
- Le fait est que ces historiens démontraient chaque jour à quel point sont fausses les thèses racistes, les thèses nazi-fascistes en histoire : en France, c’est ce barrage de vérité historique qui maintenait les nostalgiques de l’empire nazi-fasciste à un niveau d’influence presque nul.
- A l’approche de la fin du vingtième siècle, deux évènements ont ouvert ce barrage :
- Le premier est que dans la notoriété et dans l’Université françaises, cette école d’histoire scientifique a été supplantée par une autre dont certains membres, parmi les plus influents, semblent croire que l’objectivité consiste à tenir une balance égale entre l’oppresseur et les opprimés, entre l’agresseur et l’agressé, semblent ne plus accorder à la Révolution française sa place légitime dans l’histoire, semblent accepter contre elle le grief d’avoir proclamé l’égalité de valeur entre les êtres humains, et, au fond, semblent considérer que l’histoire n’est rien de plus qu’une opinion.
- Puis, les effondrements de l’est européen ont donné à croire que la défaite du communisme était consommée : ces deux évènements ont créé les conditions que nazis et fascistes exploitent aujourd’hui pour réorganiser le racisme sur le plan européen et le faire remonter en puissance.
- Pour rédiger son rapport, Monsieur Lindblad a posé en principe que l’histoire se réduit à l’énoncé d’une opinion, et adopté pour trame de mettre en balance le communisme et le nazisme : il le fait en reprenant les thèses racistes (nazi-fascistes) d’autrefois et les développements qui les accompagnaient sans rien y ajouter et sans se soucier de ce qu’elles ont été réfutées : il admet que l’effondrement du camp socialiste efface toutes les réfutations que l’histoire a apportées aux principales accusations portées par le racisme ou par l’anticommunisme contre le communisme. Après l’effondrement du camp socialiste, il reviendrait au racisme d’écrire l’histoire.
- Il postule donc que la condamnation prononcée en 1945 contre le nazisme aurait créé une injustice que seule, une condamnation du communisme pourrait réparer.
- Il déroule alors une caricature de l’histoire de l’URSS et du camp socialiste entièrement dessinée pour tenir la balance égale entre communisme et nazisme : à cette fin, Monsieur Lindblad passe entièrement sous silence la participation décisive de l’URSS à la guerre antifasciste, et avec elle, toute la lutte qui a opposé les communistes aux fascistes, aux nazis et aux autres composantes du racisme européen, et, bien sûr, le fait que cette lutte a commencé en même temps que se formaient les partis racistes. De cette manière, il efface de son développement le fait que les nazis, depuis leurs débuts et jusqu’à ce jour, sont au service des principaux propriétaires des capitaux terriens, industriels, commerciaux et financiers pour défendre leurs intérêts et reconquérir les territoires que la révolution leur arrache ou menace de leur arracher, alors que les communistes sont des membres des peuples exploités qui agissent pour briser le pouvoir politique et économique qu’exercent indûment ces mêmes propriétaires de gros capitaux et que sert le parti de Monsieur Lindblad.

- Monsieur Lindblad opère donc une pesée fausse sur une balance fausse.
- En vérité, les peuples d’Europe n’ont jamais eu besoin qu’une condamnation soit prononcée pour savoir qu’ils étaient victimes des crimes commis par les agents de l’empire nazi en exécution des ordres que leur donnaient leurs principaux chefs. Les crimes des nazis et de leurs formations armées (SA et SS) ne furent pas l’objet de la condamnation du nazisme : ils en furent la cause. Ce fut aussi pour mettre fin à ces crimes que se formèrent les mouvements armés de Résistance antifasciste.
- Les principaux chefs de l’empire nazi furent condamnés, sauf que l’organisateur du consortium capitaliste de financement grâce auquel le parti nazi prit le pouvoir en 1933, le banquier Schacht, accusé à Nuremberg, fut acquitté, et que les autres membres de ce consortium et les principaux bénéficiaires de l’empire nazi, les gros actionnaires d’IG Farben, de la Badische Anilin (BASF), des trusts de la sidérurgie, de Messerschmidt, de Heinkel, et de tant d’autres entreprises intégrées dans l’empire, même ceux qui avaient exploité la force de travail concentrationnaire, les dernières forces des détenus, que les SS leur livraient à vil prix, ont échappé aux poursuites et à la condamnation : Louis Renault en France, qui a perdu ses usines, confisquées à la Libération parce qu’il s’était empressé de les intégrer dans l’empire nazi, fait figure d’exception ; en France, il ne fut pourtant pas, et de loin, le seul capitaliste participant pleinement à l’empire nazi, puisque les deux cinquième des fournitures de guerre de l’empire provenaient de l’économie de la France occupée.

- Au bout du compte, en nous plaçant du point de vue de la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen, nous voyons clairement que Monsieur Lindblad est forfait, et lorsque nous nous plaçons du point de vue de la démocratie, nous voyons que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’est déconsidérée en votant le projet de résolution contenu dans le document 10 765.

P.-S.

- éventuellement revenir à initiative-communiste

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