Ami de l’égalité

Un système de violence idéologique et politique : le racisme

3- Collectivité scientifique et humanité

La science est un mouvement de l’esprit

samedi 2 septembre 2006, par Jean-Pierre Combe

- Lisez La race n’appartient pas à l’ordre naturel

- A la fin du Moyen Age, le premier processus de la renaissance du mouvement de la connaissance fut la discussion qui s’ouvrit parmi les savants, les étudiants et autour d’eux, dans les universités et aussi dans les cités, au sujet de quelques progrès que venait de faire la connaissance, et au sujet de ceux qui allaient, vraisemblablement, suivre ; cette discussion s’ouvrit parce que les savants eux-mêmes éprouvaient le besoin de rendre publiques les questions essentielles qu’ils discutaient et les principaux résultats qu’ils obtenaient ;

- elle les amena à prendre conscience de ce que l’essence de ces progrès, le mouvement qui les produisait, était la même science qu’il avait d’abord fallu mettre hors de portée des coups que lui réservaient les répressions religieuses et politiques.
- L’une comme l’autre, la répression religieuse et la répression politique trouvaient leurs prétextes dans le fait que la science, en se développant, ne limite pas ses champs d’études aux objets dont traitent les textes religieux, ni à ceux vers lesquels empereurs, rois, princes et autres barons portent leur attention en priorité : la contradiction qui anime la science naît en effet de l’activité concrète par laquelle l’humanité transforme le monde réel ; cette activité est le travail.
- Par le travail quotidien, les humains résolvent concrètement les problèmes du présent et du très proche passé : ce faisant, ils donnent chaque jour des caractères nouveaux, jusqu’alors inconnus, à leurs sociétés ; de cette manière, le travail individuel et collectif que font les humains les plonge sans cesse, individuellement et collectivement, dans une situation nouvelle et partiellement inconnue.
- Donc, le travail que font individuellement et collectivement les femmes et les hommes, pour résoudre l’incertitude du très proche passé et du présent, produit sans cesse une incertitude nouvelle et y replonge toujours les humains, individuellement et collectivement. C’est cette incertitude sans cesse résolue par le travail et sans cesse renouvelée par la situation que produit le travail qui anime la science : elle est l’essence de la science.
- Il faut remarquer que cette incertitude exprime une contradiction dont le jeu profond ne dépend ni du propos des textes religieux, ni de l’attention ou des ambitions des empereurs, rois princes et autres barons ; c’est pourquoi la science requiert des savants qu’ils nient les limites religieuses tout comme celles qui résultent du jeu des souverainetés et des suzerainetés, de l’étendue des fiefs, principautés, royaumes ou empires ou de l’ambition des seigneurs, princes, rois et empereurs : le savant ne sert la science que s’il porte toute son attention sur les éléments d’un champ beaucoup plus vaste et beaucoup plus exigeant, celui de l’univers réel.
- L’objet que poursuit la science est en effet de rendre les humains maîtres de ce qu’ils font : afin d’y parvenir, elle s’efforce de rendre l’être humain capable de connaître chaque objet de son travail et d’en utiliser toutes les propriétés pour que sa vie devienne meilleure ; elle étend donc son champ d’études à tous les objets, ou êtres, avec lesquels l’humain entre en relation directe ou indirecte : c’est dans cette extension que réside la négation des limites que les définitions religieuses et politiques prétendent lui imposer ; par conséquent, c’est le mouvement même de la science qui définit l’extension du champ de ses études et c’est encore lui qui impose au savant de toujours définir ses méthodes d’études et ses critères de vérité indépendamment des canons religieux et indépendamment des habitudes, des méthodes et des objectifs des gouvernements.
- Son propre mouvement place clairement la science en-dehors des églises et des autres institutions religieuses, et aussi en-dehors de la compétence des empereurs, rois, princes et autres aristocrates et de leurs administrations : la science est laïque.
- C’est encore l’extension du champ des études scientifiques qui a conduit certains savants à participer aux voyages de découvertes qui ont marqué la Renaissance, puis les siècles modernes et notamment celui des Lumières philosophiques, voire même à contribuer à leur organisation ; cela ne doit pas être oublié, même si le rassemblement des moyens humains, matériels et financiers indispensables à ces voyages fut puissamment stimulé par la spéculation qui faisait espérer à leurs commanditaires et à nombre de leurs participants un gain considérable.
- Quel que soit le régime politique, religieux et économique de son pays, le savant est un membre de la société, même si ses contemporains ont l’illusion qu’il est ailleurs !
- Le champ de l’étude scientifique se définit par la relation directe ou indirecte que crée l’activité humaine entre l’humain et les autres êtres (roches, plantes ou animaux) de l’Univers.

La science étudie l’Univers réel

- Le travail que fait l’humain le met en relations directes ou indirectes avec d’autres êtres naturels : ces relations, qui donnent lieu aux actes essentiels de la vie sociale, ont aussi pour effet de placer chacun de ces autres êtres naturels dans le champ de l’étude scientifique.
- Parmi ces êtres naturels, il y a bien sûr les objets du travail : végétaux et animaux dont l’humain tire sa nourriture et ses vêtements, végétaux, animaux et minéraux dont il fait ses armes, ses outils et son habitat,... à cela, il faut ajouter les autres êtres humains, par ce que ce sont aussi des êtres naturels, et parce qu’ils participent eux aussi au travail ou à la vie sociale.
- Or, ces autres êtres humains ne sont pas seulement d’autres individus, ce sont aussi ses partenaires de travail et de la société : ce sont les partenaires du travailleur au sein de l’être collectif que constitue son groupe (sa famille, sa tribu, son clan, son ethnie...). Ce fait nous conduit très logiquement et très directement à admettre que l’être humain individuel, donc aussi les acteurs de la science que sont les savants, ainsi que l’être humain collectif, de la petite famille à l’humanité elle-même, appartiennent au champ de l’étude scientifique : la science n’étudie pas l’univers de l’extérieur, mais de l’intérieur.

La composante individuelle du mouvement scientifique de la connaissance

- Prenons le savant en considération : c’est un être humain individuel, qui s’applique à étudier certains objets de l’Univers ; les savants ont toujours investi leur personne dans leur étude et dans l’exposition de ses résultats ; pour cette étude et pour exposer ses résultats, le savant observe, réfléchit, raisonne, décide et agit ; il mobilise ainsi plusieurs mouvements importants de son esprit individuel : c’est en les composant qu’il constitue son processus de connaissance ; le processus individuel de connaissance est donc un mouvement de l’esprit de l’individu ; l’intuition y est présente et active : le rôle qu’elle y joue est essentiel, et cela atteste la complexité du processus de connaissance et l’intimité de ses liaisons avec tous les autres mouvements de l’esprit.
- En vérité, c’est le rôle de chaque savant de porter un mouvement individuel de connaissance scientifique, et de le maintenir en activité. Il le fait à sa manière et en y engageant sa propre responsabilité, tant dans ses discussions avec ses collègues que dans l’exposition de ses études et de ses résultats.

Le mouvement collectif de la connaissance : la science

- Nous l’avons vu : le champ d’étude ouvert à la science est l’univers réel lui-même ; il appartient donc à chaque savant de définir lui-même la partie de l’univers qu’il prend pour champ de chacune de ses études ; cette définition requiert de lui en conséquence qu’il garde présente à sa conscience toute la partie de l’univers extérieure au champ qu’il étudie : d’autres savants ont défini sans doute autrement que lui leur propre champ d’études, et leurs travaux vont peut-être venir confirmer ou contredire les siens ; de cette incertitude procède le besoin qu’éprouve tout savant de discuter avec les autres savants, et pas seulement au sein de sa discipline : ce besoin en effet ne cesse pas avant que les limites du champ de la science, qui sont celles de l’Univers réel, soient atteintes. L’importance de la discussion des savants tient à ce que lorsqu’elle a lieu, elle unit les mouvements individuels de connaissance scientifique en un mouvement collectif unique, lui aussi scientifique, et d’ailleurs complexe : ce mouvement collectif de connaissance scientifique est la science, et donc, la science est un mouvement de l’esprit collectif. Nous pouvons maintenant convenir que les humains qui portent la science constituent une collectivité scientifique.

- La curiosité scientifique
- L’étude de l’univers par les savants n’est pas globale : les savants sont des individus et nul individu n’est universel. Les savants étudient l’univers morceau par morceau, chaque morceau faisant l’objet d’une étude, que fait un savant ou une équipe de savants.
- Une nouvelle étude scientifique peut apporter des connaissances nouvelles si son objet n’a pas encore donné lieu à une étude scientifique, ou si l’évolution des connaissances conduit à remettre en cause les résultats obtenus par les études de ce même objet faites précédemment. C’est la curiosité scientifique qui donne lieu à de telles évaluations, dont le but est de préciser la pertinence de l’étude envisagée.
- La curiosité scientifique, qu’est-ce qui peut l’attirer là où elle nous conduit ?
- La personnalité du savant, avec toutes ses composantes sociales et individuelles, conscientes et inconscientes, et surtout avec son intuition, y joue un très grand rôle...
- Mais l’essence même de la science, qui est l’incertitude sans cesse résolue par le travail et sans cesse renouvelée par les résultats du travail, est aussi un facteur de la curiosité scientifique : l’importance de ce facteur est liée au fait que c’est le travail lui-même qui détermine l’étendue et la consistance du champ ouvert à la connaissance scientifique.
- La curiosité scientifique se manifeste en effet fréquemment par une interpellation adressée par le savant à tous ceux qui appliquent leur travail à certains êtres de l’univers (certaines matières, certains animaux ou certains végétaux...) : il le fait lorsque ces êtres sont concernés, d’une manière ou d’une autre, par l’étude dont il forme le projet ; ce qui l’intéresse alors, ce sont les réactions que son interpellation suscitera de la part de ces travailleuses et travailleurs ; ces réactions lui donneront l’occasion de discuter avec eux et de recueillir ce qui lui est nécessaire : une part de la connaissance de ces êtres qu’ont les travailleurs.

La science et les langues humaines vivantes

- Par conséquent, une propriété essentielle de la science est que toutes les langues que parlent les êtres humains sont nécessaires aux savants.

- La langue du savant
- Conduire un raisonnement scientifique est un processus logique, comme tous les processus que l’on étudie en grammaire, dans les chapitres consacrés à l’analyse logique : l’outil du raisonnement scientifique est par excellence la logique que porte une langue humaine, quelle que soit cette langue ;

  • le savant doit maîtriser la langue qu’il emploie pour conduire l’analyse de l’objet étudié et l’argumentation qui le concerne jusqu’à ce que le raisonnement seul ne puisse plus les réfuter ;
  • le savant est pareil à tous les autres êtres humains : sa capacité d’analyse et d’argumentation n’est pas la même dans toutes les langues qu’il a apprises ; ses plus hautes capacités d’analyse, d’argumentation et d’intuition, il les a d’abord mises en chantier lorsqu’il était nourrisson, dans la ou les langues de sa mère, et aussi dans celles de son père, de ses frères et sœurs ; il les a développées ensuite dans la ou les langues dans lesquelles il a vécu son développement affectif, sentimental et intellectuel depuis sa petite enfance jusqu’à son adolescence.

- Les structures mentales que cette ou ces langues ont mis en place dans l’esprit du savant conditionneront ses travaux jusqu’à sa mort : c’est dans cette langue ou dans l’une de ces langues qu’il pourra donner à ses propres travaux le meilleur développement possible ; de plus, c’est seulement en s’adonnant à la science dans sa propre langue qu’il peut contribuer à étendre la collectivité scientifique jusqu’à y faire participer son propre groupe humain, celui dont les membres pratiquent avec lui cette langue.

- Les langues de la science
- Une raison de l’importance de la langue humaine pour la science est donc que l’outil des raisonnements scientifiques est la logique portée par la langue humaine.
- Mais le champ ouvert à la connaissance scientifique ne connait pas les frontières que les humains tracent entre eux, volontairement ou non : ce qui détermine ce champ, c’est le travail ; et le travail rassemble les humains qui s’y appliquent en traversant toutes les différences culturelles, sans se laisser limiter par les différences religieuses ni par les frontières des souverainetés ou des suzerainetés : la communauté que crée le travail parmi les humains n’a pas de limites ethniques : en particulier, ni les langues, ni les religions, ni les frontières politiques ne peuvent la contenir ou la diviser durablement.
- Par conséquent, la discussion des savants ne saurait ni rester cantonnée à ceux qui parlent une certaine langue, ni rester cloisonnée par les différences linguistiques, ni rester à l’intérieur d’un pays quel qu’il soit ; au contraire, la nécessité s’impose depuis toujours aux savants de discuter et d’échanger avec d’autres savants : elle dépasse les groupes que définissent les langues vivantes : elle ne conduit pas tous les savants à parler la même langue, mais à se rendre capables de parler une ou plusieurs autres langues que leur propre langue maternelle.
- Nous voyons que dès le commencement de sa formation, la collectivité scientifique établit de savant à savant des relations indépendantes des religions, des frontières des suzerainetés et des souverainetés, et qui franchissent très simplement l’« obstacle des langues ». Depuis toujours en vérité, les savants le font de telle manière et avec un tel succès qu’ils démontrent que l’« obstacle des langues » est fait pour être franchi : en fait, pour les besoins de la science, les savants ont toujours consenti l’effort particulier que nécessite ce franchissement, et cet effort n’a jamais porté préjudice au développement des études scientifiques.
- Les savants ne discutent pas seulement entre savants : ils étudient des êtres que le travail a mis en relations directes ou indirectes avec l’être humain, et le travail produit sans cesse de telles relations avec de nouveaux êtres de l’univers réel. De sorte que lorsqu’un savant envisage une nouvelle étude, son premier besoin est de prendre connaissance des relations existantes entre l’humain et les êtres que concerne l’étude qu’il envisage : cette connaissance lui est nécessaire pour décrire le point de départ de son étude et pour bien poser les problèmes qu’il va s’attacher à résoudre.
- Pour cela, le savant a besoin de discuter avec les femmes et les hommes dont le travail établit la relation de l’être humain aux êtres que son étude va concerner ; pour cette discussion, et pour recueillir cette connaissance, il doit utiliser la langue ou l’une des langues que parlent les travailleurs, et s’adresser à eux sans intermédiaires.
- L’essence de la science requiert du savant :

  • qu’il se rende capable de parler directement et sans intermédiaire aux travailleurs concernés par ses études scientifiques ;
  • et qu’il parle de ce qu’il fait, de ses propres études, avec les travailleurs dont la langue maternelle est la même que la sienne.

- La conclusion de l’étude scientifique relance ce même besoin : sa responsabilité conduit en effet le savant à suivre quelque temps la mise en œuvre de ses découvertes, et à prendre connaissance des applications qui en seront faites, notamment dans le travail.
- Pour toutes ces discussions, les savants s’adressent indifféremment à tous les travailleurs concernés, quelle que soit la langue qu’ils parlent : il peut se faire, c’est arrivé nombre de fois, que le savant ne trouve pas d’interlocuteur parlant sa langue : en pareil cas, il prend toutes les mesures de sa compétence pour qu’ait lieu la discussion dont il a besoin : ces mesures peuvent aller, selon la situation, jusqu’à apprendre la langue que parle le travailleur.
- La collectivité scientifique s’est élargie de nombreuses fois à des hommes qui étaient, dans leur pays ou parmi les membres de leur peuple, les premiers à s’adonner à la science : la situation de ces savants les sollicitait naturellement très fort de choisir « une langue savante », et de ne se servir de leur langue maternelle que pour leurs besoins étrangers à la science. Une idée aujourd’hui très activement propagée tend à réduire le nombre des « langues de la science », et à pousser les savants à renoncer le plus souvent à leur langue maternelle lorsqu’ils se livrent à leurs études scientifiques. Cette idée est contraire au mouvement de la science lui-même : elle fait obstacle au mouvement de la collectivité scientifique qui s’élargit pour s’identifier finalement, et bientôt, à toute l’humanité.
- En vérité, lorsqu’un savant s’adonne à la science dans une langue étrangère, il prive sa langue maternelle des progrès que ses travaux auraient pu lui donner l’occasion de faire, et en même temps, il prive l’humanité des progrès de civilisation qui en seraient résulté : dans certains cas, il contribue lui-même à la sclérose et à la disparition de sa langue maternelle. Ce n’est qu’en reconnaissant cette vérité que toutes les langues humaines sont capables de la même complexité logique et susceptibles de servir de moyen aux recherches scientifiques, ce n’est qu’en vivant la science dans sa langue maternelle et en pratiquant les autres langues de la science pour ce qu’elles sont, des langues qui lui sont étrangères, qu’il donnera à son ethnie l’opportunité de s’intégrer à la collectivité scientifique.

- De quoi discute le savant avec les travailleurs ?
- Les discussions avec les travailleurs dont a besoin le savant sont bien des discussions avec échange d’informations : le savant, en effet, ne peut obtenir que les travailleurs lui délivrent l’information qu’il espère que s’il leur donne à comprendre ce qu’il veut en faire, et pour cela, il doit leur permettre de saisir une information très proche de l’essentiel de son projet, et leur permettre de faire progresser leurs propres connaissances scientifiques.
- En tout état de cause, de telles discussions sollicitent la personnalité des travailleurs : par elles, ceux-ci améliorent le fondement de leur conscience d’être et font progresser leurs consciences vers la science. Au dix-huitième siècle, Denis Diderot et ses collaborateurs qui élaboraient et publiaient l’Encyclopédie avaient ainsi tout à la fois mis le travail en relation avec la connaissance scientifique, montré que cette relation est le moyen d’un progrès décisif des consciences des membres du peuple, et consolidé la base des revendications populaires.
- En somme, lorsque les savants et les travailleurs discutent, ils participent au mouvement de l’esprit humain collectif qui intègre à la collectivité scientifique les travailleurs partenaires des études scientifiques.
- Ce mouvement indispensable au véritable progrès de la science ne peut se développer librement que si la collectivité scientifique tout entière reconnaît que toute langue parlée par des travailleurs est destinée à devenir l’une des langues de la science, si elle ne l’est pas déjà.

L’extension de la collectivité scientifique

- En mettant l’être humain en relations directes ou indirectes avec les autres êtres de l’univers, le travail détermine le champ d’études ouvert à la science. En même temps, il reproduit et produit l’essence de la science : cette essence est l’incertitude du passé immédiat et du présent, que le travail a pour objet de faire cesser et qui renaît des résultats du travail.
- De cette incertitude procède la curiosité scientifique.
- De cette même incertitude procède aussi le besoin de savoir ce que l’on fait, qu’éprouvent celles et ceux qui prennent part au travail et sur lequel ouvrières et ouvriers attirent sans cesse l’attention des apprentis des deux sexes : le besoin de savoir ce que l’on fait concourt à répandre parmi les travailleurs une curiosité de même essence que la curiosité scientifique.
- Le besoin de discuter qu’éprouvent les savants procède de ce que le champ d’étude ouvert à la science est l’univers réel ; il ne cesse pas avant que les limites de l’univers soient atteintes :

  • ce besoin concerne les savants : il traverse les frontières des souverainetés et des suzerainetés, il nie les limites que les religions lui opposent, il franchit avec bonheur l’« obstacle des différences linguistiques » et aboutit à constituer les savants en une collectivité scientifique laïque et que ne limite aucune institution, aucun obstacle procédant des sociétés humaines ;
  • ce besoin concerne aussi les travailleurs dont les tâches concernent directement ou non les êtres que la science étudie ; le mouvement des échanges de connaissances qui résulte de la discussion des savants ne se limite pas aux savants ; il interpelle aussi tous les humains qui prennent part au travail, de proche en proche, sans autres limites que celles du travail humain : le besoin de communiquer propre aux savants crée un mouvement d’échange de connaissances qui tend à interpeler tous les êtres humains dans toute la mesure où ils prennent part au travail, et à faire de chacun d’eux le porteur d’un mouvement individuel de connaissances scientifique.

Le point de l’extension de la collectivité scientifique

- A la fin du Moyen Age, les ethnies qui échappaient au développement de la connaissance scientifique, à l’esprit collectif desquelles la science était totalement étrangère, étaient peut-être les plus nombreuses, et leur effectif total représentait sans doute une grande majorité de l’effectif humain.
- Au dix-huitième siècle, les ethnies en lesquelles se divise l’humanité présentaient entre elles de très grandes différences, selon la place que tenait la science dans l’esprit collectif de chacune d’elles.
- Aujourd’hui, aucun groupe humain, tribu, clan, ethnie ni nation n’échappe entièrement au développement de la connaissance scientifique.
- Les différences que présentait autrefois l’accès à la science selon les ethnies n’ont fait que se réduire : ces différences sont destinées à s’effacer au fur et à mesure de l’extension de la science et de l’élargissement de la collectivité scientifique, qui n’a pas d’autres limites que celles de l’humanité elle-même ; nous devons admettre que la collectivité scientifique englobera finalement toutes les ethnies.
- D’ores et déjà, il n’existe presque plus sur la terre d’ethnies pour lesquelles la science serait totalement étrangère à leur esprit collectif.
- La collectivité scientifique, qui comptait au Moyen Age quelques dizaines de savants, s’étend sans cesse sous l’effet du besoin qu’éprouve l’être humain de savoir ce qu’il fait et du besoin de communiquer dont les savants sont saisis ; ces besoins n’ayant pas d’autre limites que celles du travail proprement dit, qui sont celles de l’Univers réel, l’essence qui anime la science étendra la collectivité scientifique jusqu’à ce qu’elle se confonde avec l’humanité entière.

Les obstacles au développement de la science

- A l’évidence, l’exposé qui vient d’être fait le montre, ni le mouvement de la connaissance en général, ni le mouvement de la science ne sont nés de rien, ni ne sont venus combler un vide de l’esprit.
- En vérité, chacun des progrès de la formation et du développement du mouvement scientifique de la connaissance empiétait un peu plus sur d’autres mouvements, de l’esprit collectif aussi bien que de l’esprit individuel.
- Or, dans les sociétés d’inégalités, les membres des ordres, castes ou classes privilégiées fondent idéologiquement leurs privilèges économiques et politiques sur des mouvements de l’esprit que le développement du mouvement scientifique remet en cause, et dont il démontre le caractère douteux : pour cette raison, chaque progrès fait par la connaissance en direction de la science menace leurs privilèges ; c’est pour conjurer ce danger qu’à la fin du Moyen Age et aux temps de la Renaissance, les chefs religieux et politiques ont mis les savants en accusation et les ont fait condamner aux supplices les plus exemplaires alors possibles : la mort sur le bûcher est sans doute celui qui a laissé les traces les plus profondes dans la mémoire humaine.
- Ce n’est pas seulement à la fin du Moyen Age que les privilégiés ont tenté de mettre fin au développement scientifique de la connaissance : au contraire, depuis que les humains savent écrire et conservent les documents de leur histoire, il y a dans les archives de l’humanité d’importants documents contradictoires qui sont autant de jalons de l’histoire diverse des mouvements de la connaissance qui animent l’esprit des différentes sociétés en lesquelles se répartit l’humanité : certains de ces documents exposent de nouvelles connaissances et sont les vestiges des progrès fait par la connaissance vers la science ; mais d’autres, non moins importants, sont les vestiges des obstacles opposés à ces progrès jusque dans le mouvement de l’esprit collectif et individuel.
- Ces obstacles sont des mouvements de l’esprit dont certains tiennent aux représentations qui président aux mouvement de l’esprit collectif, c’est-à-dire aux représentations religieuses, et dont les autres tiennent aux structures économiques, notamment à celles de la propriété, et aux conditions matérielles que les sociétés font à chacun de leurs membres, du sommet à la base de l’échelle politique et sociale, jusqu’au laboureur, au portefaix, au manœuvre journalier et au chômeur ; les sociétés d’inégalité les complètent par des interdits administratifs plus ou moins discrets.
- Ces mouvements de l’esprit font obstacle aux progrès de la formation et du développement de la science en rendant inactifs la curiosité scientifique, le besoin du travailleur de savoir ce qu’il fait et les mouvements qui composent l’essence de la science et, si cela ne suffit pas, les sociétés d’inégalité complètent ces obstacles en interdisant les manifestations concrètes de la curiosité scientifique et du besoin de savoir ce que l’on fait.

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