Ami de l’égalité

Contribution à la philosophie populaire

Chacun sera vainqueur

Essai sur le pacifisme

mercredi 18 avril 2007, par Jean-Pierre Combe

Au lecteur

- J’avais achevé la rédaction de la première édition de cet ou­vrage le troisième sextidi de brumaire an 203 de la République, jour de la pistache (17 novembre 1994, jour de Sainte Elisabeth) ; son numéro de dépôt légal est DL 30 MAR. 95 04405.
- J’ai seulement inséré dans le texte original une note d’avril 2007, afin de donner aux évènements écoulés dans les Caraïbes pendant la dernière décennie du vingtième siècle leur place parmi les sources méthodiques du pacifisme concret.
- L’auteur.

- Lire la Table des matières

Chacun sera vainqueur

  • Agrippa d’Aubigné était aristocrate : cela lui donna l’occasion d’être un homme de guerre de grand renom. Il fut néanmoins poète ; nous lui devons ces vers au réalisme saisissant :
    • L’homme est en proie à l’homme : un loup à son pareil ;
    • Le père étrangle au lit le fils, et le cercueil
    • Préparé par le fils sollicite le père ;
    • Le frère avant le temps hérite de son frère.
    • On trouve des moyens, des crimes tout nouveaux,
    • Des poisons inconnus ; ou de sanglants couteaux
    • Travaillent au midi, et le furieux vice
    • Et le meurtre public ont le nom de justice.
    • Les bélitres armés ont le gouvernement
    • Une croix bourguignone épouvantait nos pères,
    • Le blanc les fait trembler, et les tremblantes mères
    • Pressent à l’estomac leurs enfants éperdus,
    • Quand les grondants tambours sont battants entendus.
    • Les places de repos sont places étrangères,
    • Les villes du milieu sont des villes frontières ;
    • Le village se garde, et nos propres maisons
    • Nous sont le plus souvent garnisons et prisons.

Agrippa d’Aubigné.

chapitre 1 : De quoi s’agit-il ?

- Pacifiste, j’ai pris le parti de la paix : en présence des guerres horribles et scandaleuses qui ravagent la planète, l’horreur et le scandale que je ressens m’annoncent qu’elles me plongent dans une contradiction : faut-il laisser faire ? faut-il agir ? Superficielle et immédiate, cette contradiction détermine une réaction aux sentiments premiers, à chaud, immédiate, que la raison ne travaille pas. A quoi l’horreur et le scandale me conduisent-ils ? L’horreur détermine facilement une paralysie et peut me conduire à laisser faire, à laisser accomplir l’horrible ; mais si je cède, je serai atteint par le scandale, et le remords de me sentir complice, devenant insupportable, me poussera à faire très vite n’importe quoi pour soulager ma conscience en me disant : moi au moins, j’ai fait quelque chose ! Mais alors, mon action irréfléchie, donc superficielle, généralement erronée, sera récupérée par les forces de guerre : j’aurai aidé ceux qui tirent de la guerre elle-même leur bénéfice, que ce soit en termes de profit ou en termes de pouvoir. Qu’elle ait été déterminée par l’horreur ou par le scandale, mon action n’aura aucunement empêché que la guerre impose durablement l’oppression et la soumission à la plupart des humains des pays qu’elle ravage. L’horrible sera accompli. Sous ma contradiction superficielle, je découvre une contradiction profonde, essentielle : dois-je laisser faire, ou faire n’importe quoi pour soulager ma conscience, sachant qu’alors l’horrible s’accomplira ? ou au contraire, dois-je agir pour la paix et contre la guerre, contre l’accomplissement de l’horrible ? Mais alors, je dois conduire mon action au contraire de la précédente ; je dois inscrire l’objectif de l’action, la paix, dans l’action elle-même ! C’est dans ma contradiction profonde que je retrouve ma prise de parti pacifiste ; elle était cachée par la contradiction superficielle.
- Inscrire la paix dans l’action pacifiste : je réaliserai ainsi la nécessaire harmonie entre la fin et les moyens de l’action. Je sais depuis que j’ai atteint l’âge de raison que la fin n’a jamais justifié les moyens, sauf dans les discours par lesquels les dictateurs font taire la critique populaire. Les moyens de la paix ne sont pas n’importe quoi ! Pour élaborer et conduire l’action pacifiste, il faut y intégrer les traits essentiels de la paix, ceux qui constituent sa dynamique propre, de telle manière qu’ils déterminent la dynamique de mon action pacifiste. L’essence du pacifisme est déjà l’essence de la paix. A ce point de mon raisonnement, trois conclusions s’imposent : la première, c’est que l’homme libre réfléchit toujours avant d’agir. Celui qui agit sans réfléchir admet au sein même de son action un processus capable de la subvertir en lui conférant un sens contraire à son intention : cela permet aux autorités constituées, ou aux groupes ou personnes qui prétendent se constituer en autorité, de manipuler toute action irréfléchie. La seconde, c’est que la paix ne saurait être définie comme l’absence de guerre, ni comme l’intervalle qui sépare la fin d’une guerre du début de la suivante. La paix est un mode de vie politique dont l’essence évite le recours à la guerre : il faut donc que l’essence de la paix contienne un processus antagonique à tout recours à la guerre. Ce sont les traits essentiels de ce processus qu’il me faut intégrer dans mon action pacifiste : l’objet du présent essai est de les chercher. Au moment de rédiger cet essai, le hasard de mes lectures me livre une définition médicale de la vie sur laquelle nos plus grands médecins fondent leur pratique médicale, tant pour entrer en relation et s’entretenir avec leurs malades que pour déterminer les soins qu’ils leur prescrivent : ces médecins pensent et disent que la vie est l’ensemble des processus qui luttent contre la mort ; une profonde analogie relie ces définitions de la vie et de la paix : cher lecteur, cette rencontre remarquable facilite grandement la compréhension !
- La troisième conclusion, c’est que le concept récent d’action humanitaire ne définit aucunement le domaine naturel de l’action pacifiste. L’objet de l’action humanitaire se définit en effet à partir du postulat selon lequel les populations civiles seraient étrangères aux guerres ; tout le problème serait de les en mettre à l’abri. Or toute l’expérience de la vie de l’humanité depuis que la guerre existe montre que ce postulat est faux. Les populations civiles ne sont jamais étrangères aux guerres. Elles en sont au contraire l’enjeu principal. Par conséquent, le pacifiste qui se limite à l’action humanitaire ne contribue pas à la paix. Pour contribuer à la paix, il faut embrasser l’ensemble du champ de la vie politique ; l’humanitaire fait partie de ce champ, mais il faut perdre l’illusion de croire que l’humanitaire pourrait constituer un champ d’activité indépendant du déroulement des guerres. Au contraire : rien n’empêche les fauteurs de guerre d’accroître leur bénéfice, aussi bien en termes de pouvoir qu’en termes de profit, en imbriquant judicieusement l’effort humanitaire et le combat lui-même, par exemple en utilisant le concept humanitaire comme cheval de Troie pour déployer des moyens militaires en vue d’un combat pouvant être conduit au grand jour, bannières déployées, aussi bien que clandestinement.
- Ma contradiction profonde naît de la prise de conscience à laquelle aboutit mon analyse de la contradiction superficielle : je sais désormais que l’action irréfléchie pour la bonne conscience est très généralement récupérée parce qu’elle applique des moyens définis à la va-vite à la poursuite d’un objectif défini au hasard. Agir sans réfléchir est normalement pire que de ne rien faire. Le devoir de réfléchir pour préparer mon action, pour inscrire son but dans l’essence de mon effort et détruire ainsi les processus qui pourraient la subvertir, qui m’incombe ici comme une simple conséquence de ma prise de parti pacifiste, est bien connu du peuple, dont les membres voient d’un fort mauvais oeil ceux qui agissent sans savoir ce qu’ils font. Comment faire ? C’est maintenant clair : il me faut analyser la situation qui m’horrifie et me scandalise, en poussant l’analyse au-delà de l’horreur et du scandale. Tant pis si cela me fait apparaître un temps comme un monstre froid : je sais que l’homme qui prétend agir librement doit raisonner même s’il faut pour cela qu’il fasse parler sa raison plus fort que ses sentiments ; même s’il donne à ceux qui veulent le soumettre une occasion de tenter de l’isoler en lui taillant un costume d’inhumanité. L’euvre de liberté montrera que l’humanité est dans cet effort de l’humain qui se maintient capable de raisonner au milieu des sentiments les plus chaotiques et les plus violents, et contre eux s’il le faut. Céder à la douleur, au désespoir et se soumettre à la fatalité parce qu’on n’a pas voulu faire l’euvre de raison qui aurait permis de voir la vérité au-delà de l’apparence, c’est renoncer à l’humanité en même temps qu’à la liberté : de renoncement en renoncement, cette voie conduit au fascisme.
- Au-delà de l’horreur et du scandale, au-delà des apparences, je dois pousser mon analyse jusqu’à mettre en évidence les termes contradictoires dont l’affrontement constitue la tragédie ; la pousser encore jusqu’à révéler les facteurs que la tragédie a réduits à l’état de latence à force de les réprimer, car parmi eux, il y a les facteurs de paix. C’est alors que je pourrai prendre le parti de la paix, c’est-à-dire étudier les rapports mutuels de tous ces termes et facteurs, déterminer au sein de ces rapports quelles actions abonderont le parti de la paix, quelles sont les conditions favorables à ces actions, définir enfin la consistance de l’action pacifiste. Je me trouverai alors dans une nouvelle contradiction : je vis en effet en France et je ne dispose d’aucun moyen d’intervenir dans les zones de guerre, car mon gouvernement élabore à partir de mes ressources et de celles de tous les autres citoyens français des moyens qu’il définit et contrôle de manière à m’asservir, au lieu de me servir en servant tous les citoyens ; je ne dispose que de ma personne et de mes pauvres biens ; il semble d’abord que la guerre me transcende et que je n’y puisse rien ! Faut-il renoncer ?
- La guerre me transcende dans la mesure où ses acteurs ne sont pas des individus mais des groupes humains. Mais chacun de ces groupes est composé d’individus comme moi, qui constituent un groupe par le fait qu’ils soumettent leur action individuelle à une même logique. Le groupe existe pour autant que cette logique est suffisamment forte pour déterminer l’action de chacun de ses membres. Que la logique s’affaiblisse et manque, et le groupe se disperse et se dissout ; que des humains produisent ensemble une logique nouvelle et forte, qu’ils agissent selon cette logique et un nouveau groupe se constitue, un nouvel acteur entre dans le jeu guerrier des puissances, qui peut bouleverser totalement les règles de ce jeu. Cet évènement n’est pas rare : la Révolution française en est un ; à la fin de la première guerre mondiale, la dissolution de trois empires, l’apparition d’une demi-douzaine d’Etats en Europe et au Proche Orient, la Révolution qui a bouleversé un continent en ont été autant d’occurrences. Plus près de nous, la dissolution d’une puissance par subversion totale de sa logique organisatrice caractérise la fin de l’URSS et de ce que l’on appelait le camp socialiste...
- Je ne parle pas ici des causes de ces évolutions, mais de leurs modalités. Et que l’on ne s’étonne pas si j’interroge l’histoire au moment d’agir : je suis de l’avis que Jaurès exposait en disant :

  • Le passé d’une nation ne reste pas improductif : il est comme la couche profonde d’une terre labourable ; et les moissons nouvelles sont nourries à la fois par le soleil du jour et par les réserves anciennes du sol.

- Comme lui, je pense qu’il faut reconnaître dans le présent la force accumulée des grandeurs du passé et le gage des grandeurs de l’avenir ; mais que le présent n’est qu’un moment de l’humanité en marche.
- Je ne veux pas renoncer au pacifisme ; sans doute puis-je espérer agir efficacement si je participe à la constitution d’un acteur nouveau du jeu politique international, à rendre cet acteur capable d’intervenir dans ce jeu, même en temps de guerre, pour imposer l’arrêt des guerres et pour interdire que les autres acteurs y recourent comme ils le font de manière banale jusqu’à présent et depuis que la guerre existe. Quel peut être cet acteur ? L’histoire des cent dernières années montre qu’aucun des acteurs actuels du jeu politique international ne deviendra l’acteur pacifiste. La vaine illusion des institutions d’arbitrage international avait déjà amené Jaurès lui-même à prendre peu à peu conscience de ce que le rôle d’arbitre de la paix incombe aux peuples. De même aujourd’hui est-il clair que la mise en fonction de supragouvernements européen ou mondial ne garantira aucune paix, sauf celle des casernes, des prisons, des résidences forcées et des cimetières.
- C’est donc un acteur nouveau qu’il faut constituer : il faut former une logique pacifiste capable de triompher des logiques de guerre dans la conscience de chaque femme, de chaque homme, de chaque enfant, c’est-à-dire capable de permettre à chaque membre de l’humanité de prendre le parti de la paix ; il faut en même temps diffuser et enrichir la conscience pacifiste, afin que chacun développe cette prise de parti jusqu’à la constitution d’un mouvement pacifiste suffisamment puissant pour devenir déterminant dans le jeu politique mondial. Suis-je le seul pacifiste sur cette Terre ? Certainement pas ! Alors je dis que cet effort pacifiste est possible et nécessaire ! En tous cas, je ne vois pas d’autre moyen pour l’action pacifiste. C’est à long terme ? Oui ! Mais il n’y a pas d’espoir dans le renoncement.

    • La guerre est la prostituée ;
    • Elle est la concubine infâme du hasard.
    • Attila sans génie et Tamerlan sans art
    • Sont ses amants ; elle a pour eux des préférences ;
    • Elle traîne au charnier toutes nos espérances,
    • Egorge nos printemps, foule aux pieds nos souhaits,
    • Et comme elle est la haine, ô ciel bleu, je la hais !
    • J’espère en toi, marcheur qui vient dans les ténèbres,
    • Avenir !

Victor Hugo, l’année terrible

chapitre 2 : Il y avait la Yougoslavie

- Les institutions de diffusion massive de l’information et des sentiments préfabriqués représentent chaque jour à mon intention la guerre qui ravage les territoires de l’ouest balkanique, qui furent la Yougoslavie, de manière à créer l’horreur et le scandale. Selon eux, cette guerre serait endogène ; résultant des mentalités des populations en cause, elle serait fatale ; elle impliquerait les ethnies entières ; toute distinction entre gouvernants et gouvernés serait sans objet ; toute distinction entre peuple et faction serait impertinente ; cette guerre opposerait les méchants aux bons ; le mot méchant serait synonyme du mot serbe ; quant aux factieux de tradition nazie alliés du gouvernement de Croatie, le simple fait qu’ils ont le brevet de ce gouvernement les rendrait bons et justes ; la seule possibilité de paix consisterait à soumettre toute l’ancienne Yougoslavie au supra-gouvernement que le traité de Maastricht permet aux gouvernements des pays de la Communauté économique européenne de mettre en place pour toute l’Europe, ainsi qu’à un futur gouvernement mondial. Cette représentation exclut les réalités qui sont nées et qui se sont développées au cours des quelque quarante ans écoulés de 1947 à 1989 : la paix véritable, qui a permis aux Yougoslaves, toutes ethnies confondues, de travailler ensemble, de sortir leur pays du sous-développement, pourtant si fortement attestée par la liberté du mariage inter-ethnique, n’aurait tout simplement jamais existé ! Cette représentation est menteuse et doit être dénoncée comme telle : il faut en effet combattre et vaincre la tentative d’intoxication et de manipulation qu’elle contient. Elle est constituée de deux mensonges principaux : selon le premier, il n’y aurait aucun facteur de paix dans l’ancienne Yougoslavie hors de l’intervention d’une autorité extérieure. Le second est de faire oublier ce que fut la vie pendant les quarante ans de paix que la Yougoslavie a vécus de 1947 à 1989, et notamment l’édification d’une base laïque pour l’économie yougoslave, qui fonctionnait au bénéfice des citoyens sans distinctions ethniques, l’activité croissante et finalement aboutie des processus destructeurs de cette base, son ravage au moyen de la guerre.
- Ces mensonges tendent à effacer de l’histoire les quelque quarante ans écoulés de 1947 à 1989 ; à enraciner dans les mentalités françaises l’idée de l’absence de tout facteur de paix hors de l’édification d’un supra-gouvernement européen et d’un hyper-gouvernement mondial ; à détourner l’attention de la laïcité concrète et à la faire oublier ; à libérer en France aussi l’action des processus destructeurs de la laïcité.
- Pourquoi donc certains mobilisent-ils tant de moyens pour détruire la laïcité ? Pourquoi lui préfèrent-ils le risque de guerre, et la guerre elle-même ? En France, la laïcité a d’abord été érigée en valeur fondamentale de la République : elle est en effet l’apport par lequel la Révolution a pu, de 1789 à 1794, mettre un terme définitif aux guerres de religion en France. Car d’interdiction de la pratique religieuse en dragonnades et en procès truqués, les troubles interreligieux n’avaient pas cessé en France du quinzième au dix-huitième siècle. C’est cela qui a conduit la Révolution à réorganiser la vie publique, sociale et économique selon des concepts nouveaux : la Nation, définie comme l’ensemble des personnes qui vivent sur un territoire donné, en exploitant ses ressources et selon une loi commune ; la Patrie, qui est le territoire où la loi nationale prend vigueur ; la Démocratie, qui est le processus qui forme la loi à partir de chacun des membres de la Nation s’exprimant explicitement, contradictoirement, sans exception ni intermédiaire, et fait d’elle la seule contrainte sociale qu’ils doivent respecter ; la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen, érigée alors en processus constituant essentiel et permanent ; la formation de la décision collective par conjonction des décisions que prennent individuellement les membres du peuple, indépendamment des gouvernements, de la religion et de la langue que parle chacun ; la République, définie alors comme le mode de vie politique résultant de tout cela.
- Il en est résulté que chaque citoyen est à la source de la formation de toute loi, et que les représentations philosophiques, religieuses ou autres ne peuvent valoir dans la loi que dans la mesure des traits explicites que les citoyens en auront tirés en conscience, pour en faire des contraintes collectives : l’activité du citoyen dans la formation de la loi et dans la vie publique ne dépend que de sa propre décision, individuelle ou collective ; que la loi lui plaise ou non, une autorité religieuse ou gouvernementale est contrainte par elle et nulle autorité ne peut contraindre le corps civique dans la formation de la loi. C’est cela, la laïcité. Les lois laïques de la neuvième décennie du dix-neuvième siècle n’avaient plus à la définir : elles n’ont fait que lui donner son nom.
- Il faut reconnaître que la laïcité n’a pas longtemps été vraiment libre de ses effets, recouverte qu’elle a été dès le coup d’état de Thermidor an deux (27 juillet 1794), par des sédiments massifs de devoirs, de codes et de règlements. Mais la fécondité du concept n’a pas pu être totalement étouffée : c’est ainsi que pendant la neuvième décennie du dix-neuvième siècle, c’est précisément l’intervention individuelle d’un grand nombre de citoyens contre l’opinion des autorités religieuses et gouvernementales qui a conduit à la juste conclusion de l’affaire Dreyfus. Il en reste aujourd’hui que lorsque la laïcité et la démarche des droits de l’homme et du citoyen fondent et constituent la République, elles trouvent la garantie de la démocratie et de la paix civile dans l’habitude des citoyens de prendre parti et dans leur refus de subir. Dans les cas les plus graves, c’est cette garantie, et nulle autre, qui a sauvé la démocratie et la paix civile en France. Alors pourquoi semble-t-elle avoir été si facile à détruire, la structure laïque élaborée par les peuples de Yougoslavie à partir de 1945 ? Les institutions de diffusion massive de l’information choisie n’ont à peu près rien laissé passer qui réponde à cette question. Elles ont fonctionné comme si la laïcité n’existait pas. Je dois donc penser de nouveau aux conversations que j’ai pu avoir avec des femmes et des hommes acteurs et témoins des évènements qui se déroulent à l’ouest du mont Balkan. Que m’ont-ils dit ?
- Depuis 1945, la Yougoslavie n’a pas connu de mouvement pacifiste, ni même en général de réelle revendication civique : la constitution de l’état yougoslave avait fortement promu de réelles orientations pacifistes et démocratiques, mais bientôt, les institutions se sont mises à fonctionner comme si cela avait définitivement résolu les problèmes du pacifisme et de la vie civique. La pression populaire dans ces domaines n’était plus jugée nécessaire ; cela me conduit à formuler une hypothèse : les hauts fonctionnaires de l’état se sont alors permis de dire que la pression populaire ne pourrait que nuire à son propre objet, et ont obtenu qu’elle n’ait pas lieu ; il en est résulté que les citoyens yougoslaves ont cessé toute activité autonome et donc toute prise de connaissance dans le domaine de la souveraineté comme aussi dans celui de la démarche des droits humains et civiques. L’impuissance dont les citoyens de l’ouest balkanique semblent aujourd’hui saisis devant la guerre criminelle pourrait bien être le résultat direct de ce processus. Dans ces mêmes domaines, les restes des classes dirigeantes d’avant-guerre, qui réussissaient malgré le progrès de la démocratie à faire valoir au sein de l’état leurs savoir-faire en administration, se sont nourries de la connaissance civique ainsi confisquée aux citoyens, reconstituant une caste qui a finalement engendré les factions aujourd’hui belligérantes en leur transmettant les pires rivalités ethniques d’avant-guerre. Cette hypothèse vraisemblable me conduit à confirmer la conclusion d’autres réflexions : nul gouvernement, nulle administration d’état ou para-étatique, nul président fût-il de la République ne peuvent être ni isolément, ni ensemble, la garantie de la paix civile et de la démocratie.
- Mes entretiens avec des acteurs et témoins de la tragédie m’ont encore appris d’autres choses importantes : les va-t-en-guerre sont minoritaires dans toutes les catégories ethniques, religieuses, linguistiques, ..., de la population des territoires qui furent yougoslaves. Ces va-t-en-guerre ont saisi l’occasion d’une crise pour usurper la souveraineté et imposer l’obéïssance à la population ; pour tromper la majorité de la population, les usurpateurs ont provoqué les réflexes ethniques conditionnés par les coutumes de la filiation dite par le sang, par les hiérarchies religieuses, par les simplismes linguistiques, par les faux raisonnements de l’autorité en place, et déclenché ainsi des automatismes mentaux qui évitent la réflexion raisonnée du citoyen ; faute de l’habitude de penser et d’exprimer sa pensée librement, faute de tradition d’un mouvement populaire autonome, la population n’a pas pu se défendre contre ce mensonge ; dans toutes les régions de l’ancienne Yougoslavie, des citoyens ont pourtant dénoncé la guerre dès avant qu’elle n’éclate : ils ont montré qu’elle opposait des chefs, manipulateurs de l’opinion et usurpateurs de la souveraineté, parce que ces chefs poursuivent des rêves de grandeur dérisoires, absurdes et incompatibles : celui de la Grande Croatie contre celui de la Grande Serbie, et parce que ces chefs ont pu soumettre les peuples au service guerrier de leur rêve, au nom du nationalisme qu’aucun d’entre eux ne craint de pousser jusqu’au fascisme ; ces mêmes citoyens ont commencé de se fédérer en noyaux pacifistes, dans le but de développer l’action civique pacifiste, indépendamment des gouvernements et des hiérarchies religieuses. L’action pacifiste consiste à leurs yeux à prévenir les guerres autant qu’à arrêter les combats en cours, et ils la jugent possible à condition qu’elle réunisse les citoyens en tant que tels, quelle que soit leur identité ethnique (leur identité nationale), quelle que soit leur confession religieuse, indépendamment de l’action des gouvernements, et avec la citoyenneté de chacun pour seule autorité. Les pacifistes de l’ancienne Yougoslavie prennent le parti de la paix pour rester des citoyens ; ils l’ont fait concrètement dès le début pour dénoncer l’action de l’armée fédérale yougoslave, qui ne défendait pas les citoyens ; ils l’ont fait ensuite contre les gouvernements belligérants, qui font le tri des non-citoyens, des mauvais citoyens et des bons citoyens ; ils le font en outre maintenant contre la guerre qui porte à chacun une mort insensée, inutile et injuste. Ils le font malgré l’accusation de trahison dont les belligérants les accablent parce qu’ils n’obéïssent pas aux ordres du jour de mort et de suicide. Pour rester des citoyens, ils développent la révolte de la Raison contre l’usage banal de la guerre : ils démontrent que l’action légitime et nécessaire des citoyens dans tous les domaines ne dépend pas des gouvernements.
- Quant à moi, les résultats tragiques qu’ont produits les actions des gouvernements d’Europe, du quasi-gouvernement qui les coiffe déjà en Europe, du gouvernement des Etats-unis et de l’ébauche de gouvernement que certains commencent d’assembler sous le drapeau de l’Organisation des Nations unies, me conduisent à dire : non ! aucun gouvernement ne peut garantir la paix ! Je ne contribuerai certainement pas à la paix dans l’ouest balkanique si je me contente de soutenir l’action d’un gouvernement, fût-il celui de mon pays, fût-il le plus démocratique des gouvernements de la planète.
- L’ouest balkanique voit s’affronter deux représentations des sociétés humaines. La première est organisée par une logique d’état, caractérisée par les faits qu’elle donne de chaque groupe humain en présence une définition approximative au moyen de quelques caractères ethniques tels que religion, langue, dynastie, règle de filiation coutumière notamment celle dite par le sang, rapport à un ci-devant empire,.. qu’elle évite soigneusement que cette définition soit discutée, même par les premiers concernés, qu’elle utilise cette définition comme si c’était une identification pertinente du groupe, de manière à transformer ce groupe en un acteur obéïssant à une volonté unique, que ce faisant elle nie complètement l’homme et la femme, l’humain et le citoyen, que par conséquent elle réprime dans l’opinion publique toute tentative d’en appeler à la démarche des droits de l’homme et du citoyen.
- La guerre en cours est profondément liée à ce type de représentation des sociétés : le nationalisme et son prolongement, le fascisme, sont des pratiques sociales que gouverne une logique où le citoyen n’existe pas, où l’humain n’est qu’un sujet dont la seule qualité est l’obéïssance. Trois nationalismes s’affrontent en Bosnie-Herzégovine, en Croatie et en Serbie, en niant toute société humaine qui ne serait pas organisée par la logique d’état. Les trois belligérants de Bosnie-Herzégovine, de Croatie et de Serbie ont pris le parti de la logique d’état. Ils ont rassemblé ceux qui renonçaient à penser par eux-même : aucun des trois ne défend la paix ni le droit humain et civique. Les institutions de diffusion massive de l’information et de l’intoxication ne connaissant pas d’autre logique, les trois belligérants yougoslaves sont les seuls acteurs de la politique qu’elles connaissent à l’ouest du mont Balkan.
- La seconde représentation est organisée par une logique dont la prémisse essentielle est l’activité libre de chaque citoyen, son droit de penser lui-même librement et de communiquer avec les autres citoyens pour résoudre les problèmes de la société. Cette logique se fonde donc sur la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen, en lui reconnaissant sa pleine valeur dans l’élaboration de la solution des problèmes humains tant à l’intérieur d’une nation que de nation à nation.
- La guerre en cours constitue une répression directe et systématique de cette seconde logique, et les trois gouvernants belligérants sont en parfait accord pour accomplir cette répression quels que soient le nombre, la nationalité et la religion des victimes.
- Par contre, les citoyens qui prennent le parti de la paix et se fédèrent en un mouvement pacifiste, développant la révolte de la Raison contre la mort pour rester des citoyens, ceux-là fondent leur mouvement sur la logique des citoyens. Ce sont eux qui donnent une réalité concrète à la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen dans les conditions dramatiquement paradoxales de cette guerre. Aujourd’hui dans l’ouest balkanique, le vrai courage n’est pas d’aller au combat dans les rangs de l’une des trois armées factieuses en action, mais de prendre le parti de la paix. La gloire des armes n’est qu’une illusion mesquine où l’âme humaine se perd.
- Je sais maintenant que des forces de paix existent dans l’ensemble des territoires autrefois yougoslaves. Mieux, des militants pacifistes que j’ai rencontrés m’ont fait comprendre qu’ils fondent leur action sur la réalité indépendante des gouvernements et des religions, que la langue française nomme laïcité, et que pour agir, ils font simplement usage des droits que chacun détient parce qu’il est un être humain et que la légitimité de tout être humain est d’être un citoyen : la démarche des droits de l’homme et du citoyen est le processus constituant de leur mouvement. En agissant de cette manière, chacun d’eux reste libre de sa religion, de sa langue, de sa culture, et cette liberté n’est pas possible autrement : ni les catholiques embrigadés par la faction qui se dit croate, ni les orthodoxes embrigadés par la faction qui se dit serbe, ni les musulmans embrigadés par la faction qui se dit bosniaque, ne jouissent de la liberté religieuse la plus élémentaire. Car l’état confisque et censure toute tradition dont il se réclame : le croyant cesse d’être libre de croire lorsque sa religion se met à servir l’état ; la femme ni l’homme ne parlent librement une langue devenue moyen du pouvoir d’état.
- Pour contribuer à la paix à l’ouest du Balkan, il faut initier et renforcer les processus pacifistes de la société : développer la revendication populaire, amplifier la conjonction cohérente de l’activité des femmes et des hommes qui prennent le parti de revendiquer leurs droits humains et civiques. En somme, faire vivre la Démarche des droits de l’Homme et du Citoyen ; il faut pour cela dire sans cesse quels droits civiques et humains sont violés, où sont les victimes, toutes les victimes ; montrer comment mentent ceux qui se font défenseurs des Droits de l’Homme et du Citoyen pour accaparer le pouvoir ; enfin montrer sans cesse où est réellement la garantie des Droits de l’Homme et du Citoyen ; ériger cette pratique en base de légitimité et développer à partir d’elle la critique populaire de quiconque prétend gouverner le peuple, celle qui montre où s’arrête la légitimité du gouvernement et pourquoi : réaliser concrètement cette critique dans le développement d’un processus populaire d’association laïque pour agir, qui se constituera lui-même en réalisant la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen ; poursuivre au moyen de ces associations tout objet par lequel sera satisfait un besoin populaire lié au retour de la paix, dont le besoin d’information ; maintenir fermement ces associations hors de la tutelle de toute religion, de tout parti politique, de tout gouvernement, de toute grammaire.
- Contribuer à la paix, c’est faire vivre la souveraineté que le peuple ne délègue jamais, celle que Rousseau reconnaissait lorsqu’il parlait du peuple en disant le prince, et lorsqu’il insistait pour dénier l’existence de tout autre prince, dénonçant comme usurpateurs les porteurs de couronne. Mais le citoyen français que je suis s’interroge : comment se fait-il que le gouvernement français inscrive sa politique extérieure réelle depuis si longtemps aussi totalement hors des principes que je viens de développer, alors que, je l’ai montré aussi, c’est le mouvement du peuple français qui les a produits !

    • Quoi ! Peuple contre peuple ! Ô nations trompées !
    • De quel droit avez-vous les mains pleines d’épées ?
    • ...
    • C’est parce que trois rois, trois spectres, trois vampires,
    • Parce que trois néants s’arrachent trois empires !

d’après Victor Hugo, un champ de bataille

Jolies femmes, sonnet pour album

    • On leur fait des sonnets, passables quelquefois ;
    • On baise cette main qu’elles daignent vous tendre ;
    • On les suit à l’église, on les admire au bois ;
    • On redevient Damis, on redevient Clitandre ;
    • Le bal est leur triomphe, et l’on brigue leur choix ;
    • On danse, on rit, on cause, et vous pouvez entendre,
    • Tout en valsant, parmi les luths et les hautbois,
    • Ces belles gazouiller de leur voix la plus tendre :
    • -La force est tout ; la guerre est sainte ; l’échafaud
    • Est bon ; il ne faut pas trop de lumière ; il faut
    • Bâtir plus de prisons et bâtir moins d’écoles ;
    • Si Paris bouge, il faut des canons plein les forts-,
    • Et ces colombes-là vous disent des paroles
    • A faire remuer d’horreur les os des morts.

Juillet 1876 ; Victor Hugo, Les quatre vents de l’esprit

chapitre 3 : Tragédie rwandaise

- C’est après que la destruction d’un avion eut provoqué la mort des présidents du Rwanda et du Burundi que l’information m’est parvenue. D’abord pendant plusieurs semaines, l’Humanité m’a informé jour après jour du développement systématique de massacres au Rwanda. Pendant la même période, les institutions de diffusion massive de l’information et de l’ignorance faisaient le silence à ce sujet. Ensuite, pendant quelques jours, l’Humanité continuait à m’informer, avec une insistance que j’ai estimée à la mesure du drame, tandis que des informations de même nature publiées dans la presse étrangère, et dont certaines mettaient en cause des milieux honteux agissant dans l’ombre commode du gouvernement français, étaient évoquées par les institutions de diffusion massive de l’information et de protection des pouvoirs, lesquelles ne pouvaient plus s’en tenir au silence : pendant ces quelques jours, ces institutions m’ont donné le sentiment qu’une brèche s’était ouverte dans une digue et qu’une marée commençait à y déverser un ruisseau de quelque importance. Enfin, les institutions de diffusion massive de l’information et des préjugés ont entrepris de relater ces évènements très différemment de ce que continuait de faire l’Humanité. Que disait toute cette information ?
- D’abord, la première arrivée, celle que donnait l’Humanité : les massacres sont exécutés par des forces organisées liées à la dictature établie sur le Rwanda, agissant sous les ordres du gouvernement, en coordination avec l’armée et la police ; ils visent des familles entières, du doyen au dernier né ; ce sont les familles d’une minorité ethnique et celles dont au moins un membre participe de près ou de loin à un mouvement politique, syndical ou social n’obéïssant pas à la dictature, ou qui s’organise en vue des évolutions démocratiques récemment promises, qui sont condamnées à être massacrées.
- La deuxième information m’est parvenue lorsqu’il a bien fallu reprendre ce que l’étranger rendait public : des services politiques se réclamant à mi-voix de la France seraient mouillés dans le déclenchement des massacres.
- La troisième information est d’origine universitaire : Tutsis et Hutus n’étaient pas réellement deux ethnies différentes avant la colonisation par les puissances européennes ; c’étaient bien plutôt deux catégories sociales définies par la richesse et rendues stables par les modalités des échanges économiques ; cent cinquante ans de colonisation par les européens ont mis l’activité de cette division sociale au service de la domination colonialiste ; les affrontements des deux dernières décennies résultent de toute cette histoire. Ils n’ont finalement rien à voir avec des guerres inter-ethniques ; l’héritage du colonialisme est le facteur actif de ces affrontements et du génocide par lequel la dictature rwandaise a cru pouvoir se procurer un répit. Les services extérieurs du gouvernement français ont déployé une grande activité pour empêcher que l’héritage du colonialisme soit liquidé, pour perpétuer la soumission du Rwanda aux puissances de l’Europe occidentale, et dans les dernières années, pour la transformer en une soumission à l’empire dont ces puissances organisent le gouvernement grâce au traité de Maastricht. Par cette activité, ils ont trempé les armes de la République dans le sang d’un peuple frère. Et ils viennent aujourd’hui donner des leçons à leurs victimes...
- Quatrième information, celle que répandent les institutions de diffusion massive de l’information et de la désinformation : elles persistent à organiser totalement leur discours selon la thèse de la guerre ethnique, malgré les démentis auxquels elles sont parfois obligées ; selon cette représentation, une ethnie de loin minoritaire serait entrée en révolte contre l’ethnie majoritaire afin de reconquérir l’empire qu’elle aurait exercé autrefois sur le Rwanda et sur le Burundi ; le gouvernement formé à partir de l’ethnie majoritaire aurait réprimé cette révolte peut-être un peu trop brutalement ; le cycle révolte-répression aurait enclenché un mécanisme irrépressible de vengeance aboutissant au génocide, qui résulterait du massacre réciproque des deux ethnies : donc le Front patriotique rwandais aurait massacré autant que la dictature, et la dictature étant devenue impuissante, la seule solution consisterait à établir sur le Rwanda l’autorité d’un supra-gouvernement, sous le drapeau de l’Organisation des Nations unies et avec les moyens de commandement constitués par la Communauté économique européenne en exécution du traité de Maastricht ; faute d’apporter la preuve de massacres commis systématiquement par les Tutsis ou par le Front patriotique rwandais, nos institutions de diffusion massive de l’information et de la désinformation mettent un accent emphatique sur l’exode de la population, dont elles attribuent la cause unique à la peur éprouvée par les populations devant le Front patriotique rwandais lui-même ; en effet, elles travaillent intensément à justifier le déploiement des moyens militaires français, et à créer l’inquiétude devant le danger que la progression du Front patriotique rwandais ferait courir à ce déploiement.
- Les contradictions qui se créent dans l’ensemble des informations que j’ai reçues sur le Rwanda me laissent l’impression que les institutions de diffusion massive de l’information et de la désinformation travaillent énormément l’information qu’elles-même reçoivent pour confirmer la représentation des évènements qu’elles veulent en donner : cette représentation est menteuse.
- Le premier mensonge, c’est la persistance en son sein de l’interprétation ethnique des évènements. Le second mensonge, c’est la représentation des massacres comme résultant des combats imposés aux forces armées gouvernementales par la progression de celles du Front patriotique rwandais, alors que ces massacres ont commencé avant que celui-ci n’engage ses forces armées, et qu’ils ont pris leur plus grande ampleur dans des territoires où le Front patriotique rwandais n’avait pas accès.
- Par ces mensonges, la représentation que développent les institutions de diffusion massive de l’information et des comportements programmés d’avance tend à produire les effets suivants :

  • effacer dans l’opinion des Français toute idée qu’il pourrait y avoir une relation entre les populations rwandaises et les forces qui provoquent les changements en cours ;
  • effacer toute relation de cause à effet entre les dominations que subit le Rwanda et la tragédie actuelle et donc, escamoter trois forfaitures : la forfaiture de la dictature rwandaise, qui a préparé, organisé et ordonné les massacres ; la forfaiture du néocolonialisme, qui a mis en place la dictature et l’a soutenue jusqu’au bout ; la forfaiture des puissances qui dominent l’Europe aujourd’hui, qui, depuis un siècle et demi, interviennent en Afrique pour y établir durablement leur domination en vue de piller ses ressources, ce qui réduit les Africains à la servitude et à la misère ;
  • inhiber toute tentative de poser la question de l’exercice par les Rwandais, donc aussi par tous les Africains, de leurs droits légitimes d’humains et de citoyens : ces femmes et ces hommes sont-ils des êtres humains ? La question ne sera pas posée !
  • ayant ainsi éliminé la base même d’une solution démocratique au problème social de l’Afrique, orienter les mentalités françaises vers la fausse solution impériale sous l’autorité d’un supra-gouvernement européen et d’un hyper-gouvernement mondial.

- J’ai constaté tout cela ; et maintenant, je dis que l’autorité qui utilise les institutions de diffusion massive de l’information et des mentalités programmées asservit l’information à un effort par lequel elle prétend éviter que soit posée la question du rapport de la population à la souveraineté : pour cette autorité, la souveraineté est et doit rester extérieure au peuple ; la souveraineté doit s’imposer au peuple de l’extérieur. Et pour qu’il en soit ainsi, il faut que les candidats à l’exercice de la souveraineté mentent aux peuples. L’effort qu’ils exercent sur moi consiste en ceci qu’ils tentent d’inhiber ma conscience de ce que la souveraineté rwandaise ne peut pas être différente de la française : si elle existe, elle appartient en propre au peuple rwandais qui ne la délègue pas. Pour eux, la souveraineté rwandaise n’existe pas plus que la française ne devrait exister. Ils prétendent exercer la souveraineté sur moi et sur tous les autres citoyens français, et à l’abri de notre contrôle : pour cela, il leur faut me mentir, et mentir à tous les autres citoyens français.
- Le mécanisme de la solution que ces notables du néocolonialisme appliquent au problème rwandais est maintenant visible : c’est, comme hier, d’imposer au Rwanda une force militaire étrangère d’intervention dans la vie des Rwandais. Ils tentent de justifier à mes yeux cette intervention par le prétexte humanitaire : ils spéculent ainsi sur la difficulté que j’éprouve à étudier en profondeur les contradictions dans lesquelles je suis plongé. Si je suis incapable de quitter l’apparence superficielle des choses, si je ne peux pas prendre conscience du mouvement profond qui les anime réellement, je serai obligé d’approuver sans critique et de soutenir leur intervention telle qu’ils la présentent, et donc de contribuer à ce qu’ils atteignent les objectifs qu’ils ont dérobés à ma vue. Quels sont ces objectifs ? Ils les ont déterminés dans la représentation qu’ils ont du monde et par conséquent, l’information qu’ils diffusent de l’évènement les laisse apparaître.
- Leur objectif est d’imposer au Rwanda une solution préfabriquée de l’extérieur, à laquelle le peuple n’aura plus rien à apporter, à laquelle il n’aura même plus à adhérer. Ils doivent pour cela inhiber au Rwanda tout mouvement social ou populaire susceptible d’ébaucher une décision politique, quelle qu’elle soit. En somme, ils interviennent au Rwanda pour substituer à la souveraineté rwandaise les mécanismes politiques inscrits dans l’essence de l’accord de Maastricht. S’il leur faut déployer dans ce but tous ces moyens, c’est bien qu’ils ne peuvent contrôler la souveraineté nationale, et que s’ils laissaient sa dynamique se développer, ils ne seraient sûrs que d’une chose : ils ne seraient plus les maîtres du Rwanda. Mais de quoi est faite la souveraineté nationale ? La nation n’existe pas en dehors du parti-pris des femmes et des hommes qui habitent un certain territoire de vivre des ressources de ce territoire en les travaillant ensemble et selon une loi commune pour rendre possible la vie de chacun d’entre eux sur ce territoire. La nation est démocratique si la loi commune procède de chacun des nationaux. Dans une nation démocratique, la souveraineté appartient au peuple, de telle sorte qu’elle se partage entre les membres du peuple : la citoyenneté est la part de souveraineté que détient en propre chacun des membres du peuple.
- La citoyenneté, c’est donc, tout comme la souveraineté, le droit de faire certaines choses sans demander la permission de quiconque, sans en rendre compte à quiconque, car nulle autorité n’a de compétence pour les contrôler. Ce droit concerne deux modes de l’action de l’être humain : le mode individuel et le mode collectif.
- Dans le mode individuel, le droit d’agir librement peut être décrit action par action. En France, c’est en principe la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui définit les droits de chaque membre du peuple, donc le mode individuel de la citoyenneté.
- Dans le mode collectif, la citoyenneté est le droit qu’ont ensemble tous les membres du peuple d’élaborer la loi, de l’exécuter, de la juger et de la corriger. Cela ne se délègue pas, et cela donne aux citoyens le droit d’assigner la mission du gouvernement, de le nommer, de le contrôler, de le juger et de le démettre. Ce qui ne se délègue pas non plus et cela, rien de ce qui est démocratique ne le limite. Ce droit de citoyenneté collective est la souveraineté nationale. Il est lui aussi inscrit dans les droits humains et civiques : il est le résultat des droits qu’ont les individus de penser librement et d’exprimer leur pensée, de s’associer pour délibérer et décider des affaires communes et pour agir en économie.
- Fondamentalement, la fécondité de la souveraineté nationale résulte de ce que la nation se constitue de femmes et d’hommes qui exercent simplement et librement leurs droits humains et civiques : Le processus constituant essentiel de la nation démocratique, qui produit la souveraineté nationale, c’est l’exercice par les femmes et par les hommes de leurs droits humains et civiques.
- Lorsque je lis et que j’entends les déclarations par lesquelles les ministres de mon gouvernement définissent l’intervention des armes françaises au Rwanda, je comprends que cette intervention fait suite à une longue période au cours de laquelle leurs prédécesseurs ont refusé de reconnaître aux Rwandais tout droit d’homme et de citoyen, et qu’elle prolonge cette période en tentant d’imposer une solution au sein de laquelle les membres du peuple rwandais seront incités à ne pas exercer leurs droits humains et civiques. La démocratie pourrait-elle attendre ? Le Rwanda futur, ils le veulent maastrichtien ; s’ils font barrage à toute prise de conscience de leurs droits humains et civiques par les membres du peuple rwandais, c’est afin que le Rwanda ne soit pas constitué au moyen de l’exercice des Droits de l’Homme et du Citoyen par les femmes et les hommes du Rwanda. Et pour y parvenir, ils usurpent et dévoient les armes de la République ! Cette usurpation a elle aussi une histoire.
- Je me souviens de ce que mon grand-père, vieux militant socialiste qui avait beaucoup fait entre les deux guerres mondiales pour le Parti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière, condamnait en principe le colonialisme français tout en disant que, malgré tout, les militaires, les administrateurs et surtout les instituteurs français avaient apporté la civilisation aux indigènes des colonies, et notamment d’Afrique. Cette bonne conscience de gauche était en quelque sorte confirmée par les militants indigènes de la lutte anticoloniale, par les résistants au colonialisme lorsqu’ils fondaient leur lutte contre le racisme et l’oppression terribles qu’ils subissaient sur l’héritage de la Révolution française, sur la revendication universelle de liberté, d’égalité en droits et de fraternité, que nulle différence de religion, nul héritage de civilisation traditionnelle ne saurait limiter, et sur le droit d’accéder à la science, à tous ses développements et à toutes ses applications, qui en procédait pour tous les indigènes de toutes les colonies. Quant à moi, j’ai accueilli la fin du colonialisme comme une victoire de l’humanité sur les structures sociales qui, entravant sa liberté et subvertissant l’euvre de la Révolution française, avaient conduit à la première guerre mondiale, puis par voie de conséquence, à la seconde. Je pense qu’en véhiculant la revendication universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen, le colonialisme français avait introduit dans les territoires qu’il dominait certains des germes actifs de sa propre défaite.
- Or, les forces sociales dont procédait le colonialisme ont produit un nouveau système, assez vite désigné sous le nom de néocolonialisme, pour reproduire leur domination sur les anciennes colonies : l’histoire du Rwanda d’après la décolonisation participe de l’histoire africaine du néocolonialisme, cela ne fait pas de doute. Mais ici, je dois constater que les anciennes institutions du colonialisme français n’ont pas disparu, qu’au contraire, elles ont été réorganisées et mises au service du néocolonialisme ; nous le savions déjà, mais la confirmation rwandaise me conduit à mettre en évidence deux caractères importants : d’abord, les anciennes limites des zones de colonisation en Afrique ont été effacées : le néocolonialisme est européen depuis l’origine ; son développement a très vraisemblablement servi l’élaboration du traité de Maastricht ; ensuite, le néocolonialisme a tiré les leçons de la défaite du colonialisme : il a désormais banni explicitement de son concept toute référence à l’héritage du Siècle des Lumières et à l’euvre de la Révolution française, et plus généralement tout humanisme ; il s’est ainsi réduit à l’oppression économique brutale et à la négation politique totalitaire des opprimés. La tragédie rwandaise en résulte. Je me pose alors une double question : comment les autorités et les entrepreneurs qui se sont constitués en néocolonialisme ont-ils pu agir dans l’ombre du drapeau de la République française et extirper aussi totalement de l’action qu’ils obtenaient des institutions de l’état le concept même des Droits de l’Homme et du Citoyen, vidant ainsi de leur sens les mots de citoyen et de citoyenneté eux-même ?
- Un autre souvenir me revient des années qui ont suivi la défaite du colonialisme : une campagne d’opinion discrète et persistante s’est alors développée dans les milieux intellectuels et les couches moyennes de la société française. L’occasion en était un nouvel afflux d’immigration provenant d’Afrique. Le contenu de cette campagne consistait à expliquer qu’il ne fallait pas même tenter d’enseigner à ces Africains débarquant en France que, du simple fait qu’ils étaient des êtres humains, ils avaient des droits d’êtres humains et de citoyens. Il ne fallait pas commencer ces explications et encore moins enseigner quels sont ces droits. C’est cette campagne qui a développé l’idée que les valeurs des Droits de l’Homme et du Citoyen étant occidentales, on ne pourrait les transmettre aux immigrés sans violer leur identité.
- A grand renfort de discours d’ethnologues et de sociologues, cette campagne a donc développé l’idée absurde que les valeurs des Droits de l’Homme et du Citoyen seraient occidentales, donc ne seraient pas universelles, et que par conséquent la France devrait admettre que, sur son territoire, certains en bénéficient et d’autres en soient privés. Avec pour exemple l’excision des fillettes : pour respecter l’identité des Africains concernés, il faudrait seulement leur permettre d’exciser, de mutiler en milieu hospitalier... Des discussions qui ont eu lieu en 1990 ont montré que cette campagne avait produit des effets durables : il y a en France des intellectuels capables de justifier que l’on mutile un être humain, soit pour le punir, soit pour marquer sa chair d’une identité conventionelle, et si la lutte contre les mutilations rituelles se poursuit, elle n’est plus guère animée que par des femmes d’Afrique qui savent de quoi il s’agit !... Au pays des Droits de l’Homme, ce sont des femmes immigrées, dont certaines sont en situation irrégulière, qui maintiennent l’humanisme en vie. Aujourd’hui, la réaction obscurantiste a organisé son combat contre l’humanisme autour d’un ensemble de théories qui utilisent l’identité pour morceler l’humanité au point de la nier, qui donnent au point de vue ethnologique la priorité absolue dans l’étude des civilisations afin de persuader les profanes que des individus participant de civilisations diverses ne peuvent pas communiquer entre eux, qui jettent le tabou sur l’ensemble des mouvements philosophiques du dix-huitième siècle, afin d’en éteindre les Lumières, et qui vont jusqu’à diffamer les philosophes promoteurs des Lumières en les accusant d’avoir été antisémites(!), qui présentent l’esprit de laïcité comme une cause redoutable de malheur humain, alors qu’il a toujours permis de résoudre pacifiquement les conflits interethniques ; qui présentent les intégrismes religieux, linguistiques, traditionnels ou autres comme l’expression même de la spiritualité humaine, alors qu’ils ne sont que des chaînes enferrant la civilisation. Le Rwanda souffre concrètement de l’obscurantisme libre.

    • Si ce coeur est glacé, c’est qu’on éteint son feu ;
    • Si cette aile est cassée et si cet esprit boîte,
    • C’est qu’on l’a comprimé dans une cage étroite ;
    • Si cet homme est affreux c’est qu’on nous l’a jeté
    • Dans un moule de crime et de difformité.

Victor Hugo, La pitié suprême

chapitre 4 : Autour du golfe arabo-persique

- Je ne développerai pas ici les différences qui se sont manifestées entre les institutions de diffusion massive de l’information et du théâtre idéologique d’une part, et d’autre part la presse qui ne dépend pas de ces institutions, s’agissant de la guerre du golfe arabo-persique. Ces différences étaient tout aussi nettes que dans le cas du Rwanda, mais beaucoup moins spectaculaires. Par ces différentes voies, j’ai été informé successivement de la tension qui montait entre l’Irak et le Koweit, puis de l’invasion du Koweit par l’armée irakienne ; ensuite, j’ai suivi à quelque chose près les discussions qui ont conduit le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations unies à placer sous embargo le commerce à destination de l’Irak, puis à transformer cet embargo en un blocus assorti d’un ultimatum ; au cours de ces discussions, mon attention a été fortement attirée par la pression que certains exerçaient pour que l’on ne parle pas d’embargo, mais de blocus, puis après que l’embargo eut été décidé, pour que l’on confonde embargo et blocus, enfin, après que l’on eut substitué le blocus à l’embargo, pour que l’on adresse à l’Irak un ultimatum, pour que son échéance soit proche, et pour qu’elle ne soit jamais reportée. Cette pression de va-t-en-guerre assoifés de sang m’est apparue suspecte : ils s’agitaient un peu comme pour capter toute l’attention, comme s’ils avaient peur que l’on découvre d’autres solutions que la guerre et la mort des hommes en grand nombre. Pendant la même période, l’activité du Président de la République que j’avais élu m’a scandalisé : un jour, il a proclamé que l’on était entré dans une logique de guerre ; il a ainsi fait un choix pour lequel je ne l’avais jamais mandaté ; il a de plus décidé seul d’engager les armes de la République dans une guerre lointaine pour des intérêts plus que douteux, étrangers en tous cas aux intérêts de l’humanité. Le scandale que j’éprouve doit autant au viol de mes prérogatives de citoyen par les institutions qui tiennent leur pouvoir des votes que j’émets, que de l’usage fait alors de la guerre. Pouvait-on faire autrement ?
- Assurément. Voyons un peu ce qui s’est passé : Le premier acte fut l’invasion du Koweit par l’armée de l’Irak. Les milieux officiels m’ont adressé par les institutions de diffusion massive à leur disposition une analyse de cette invasion organisée autour d’un concept de sujet du droit international, posé en axiome, ce qui veut dire qu’il ne faudrait pas en analyser le contenu. J’ai subi une considérable pression dont le but était de me faire admettre que je devais considérer les deux sujets du droit international que seraient l’Irak et le Koweit comme deux personnes, que leur conflit devait être arbitré de la manière dont nous usons d’habitude pour les conflits de voisinages si courants dans la gestion de la propriété personnelle, et que donc, dès lors que le tribunal aurait dit y avoir lieu à l’usage de la force, je devrais considérer comme justes l’usage prochain de la force et toutes ses conséquences. En somme, que l’Irak soit un sujet du droit international devrait m’obliger à considérer comme juste que la dictature qui pèse sur l’Irak soit châtiée dans la personne des femmes et des hommes qu’elle opprime depuis des décennies, même si le châtiment ne touche que les opprimés. Je devrais de même considérer comme juste que la dictature qui pèse sur le Koweit obtienne réparation du préjudice que l’invasion lui a fait subir, même si la part de cette réparation réservée aux femmes et aux hommes que cette dictature opprime et qui souffrent réellement de l’invasion se résume à une oppression accrue. Et dans le même mouvement, je devrais effacer de ma mémoire les marchandages maffieux qui ont présidé au tracé des frontières des nouveaux états constitués sur les ruines de l’ancien empire ottoman. Si ce concept de sujet du droit international devait entrer dans nos valeurs morales, alors nous serions condamnés à la cécité sur tout ce qui fait la vie du peuple, partout où un conflit se noue. Ce concept de sujet du droit international exclut toute démocratie des rapports entre nations. Il exprime les intérêts que défendent les milieux officiels et rappelle le sens du mot de sujet que la Révolution française a remplacé par le mot citoyen pour désigner les membres du peuple, lorsqu’elle a créé la démo­cratie et mis fin aux affrontements interreligieux de l’ancien royaume de France. Qu’est-ce que cela pourrait être, que des citoyens du droit international ? Une nation démocratique collectivement assujettie reste-t-elle démocratique ? Mon parti pris pacifiste exige de moi que je pose ces questions : les moyens de la paix dépendent des réponses que l’humanité leur apportera.
- Le deuxième acte fut d’isoler l’Irak afin d’obtenir que son gouvernement retire son armée du Koweit. Quel moyen d’isolement fallait-il choisir, l’embargo ou le blocus ? Le Conseil de sécurité a d’abord placé sous embargo le commerce avec l’Irak. En même temps que cette décision était prise, je subissais une campagne d’intoxication qui combinait deux idées : selon la première, l’embargo ne serait pas un moyen de pression efficace ; ce qu’il faudrait, c’est bloquer les frontières de l’Irak, et ajouter au blocus une menace d’intervention militaire avec ultimatum ; selon l’autre idée, la différence entre embargo et blocus ne serait pas si grande ; se contenter de parler d’embargo relèverait de l’hypocrisie, surtout parce que la menace d’une intervention n’aurait pas de sens sans l’ultimatum, et que sans ultimatum, le prince souverain du Koweit se retrouverait privé de sa souveraineté. La pression de cette campagne a fait céder l’Organisation des Nations unies, qui a bientôt décrété le blocus avec ultimatum et est ainsi entrée dans le jeu des dictatures.
- Pouvait-on faire autrement ? Il faut ici examiner deux choses distinctes : d’une part le but de l’action de l’Organisation des Nations unies, et d’autre part, les moyens mis en euvre, dont nous savons que le but ne les justifie jamais, sauf dans les discours et dans la pratique des dictateurs. L’Organisation des Nations unies a donné pour but à son action la restauration de la souveraineté du Koweit, c’est-à-dire la réintégration dans ses fonctions d’un sujet du droit international. Mais elle n’a pas pris connaissance une seule seconde de la situation des habitants du Koweit du point de vue de leurs droits humains et civiques. Jouissent-ils de leurs droits légitimes, ou n’en jouissent-ils pas ? La question n’a pas été posée pour les Koweïtiens, et elle n’a pas été posée non plus pour les Irakiens. Il a seulement été admis sans examen que les Irakiens étaient privés de leurs droits légitimes humains et civiques. Cette question a été occultée par celle des sujets du droit international, un peu comme si l’examen du point de vue de leurs droits humains et civiques de la situation des habitants d’une contrée donnée devait être mise en attente aussi longtemps que le fondé de pouvoir suprême de l’un des états de cette contrée, inscrit (par exemple, mais qui tient la liste à jour ?) à l’Organisation des Nations unies sur une liste dite des sujets du droit international, était privé de l’exercice de la souveraineté. Peu importe que ce fondé de pouvoir suprême soit un dictateur comme le sont ceux de l’Irak, du Koweit et de l’Arabie Séoudite, entre autres... Si cette pratique imposée à l’Organisation des Nations unies lors de la guerre du Golfe arabo-persique devient la règle première du droit des Nations unies, alors la démocratie sera refoulée dans l’antichambre et devra y attendre jusqu’à ce que soit réalisée une condition impossible. Cela fera de l’Organisation des Nations unies le plus fiable soutien international des dictatures !
- Or que signifie ce concept de sujet du droit international ? Il transforme concrètement les Etats en atomes (insécables) de la structure de l’Organisation des Nations unies et par cet effet, il interpose les états membres entre l’Organisation elle-même et les citoyens, de telle manière précisément que la situation de l’individu devienne inaccessible, et au bout du compte, il fait du principe des droits humains et civiques une perpétuelle utopie. Ainsi, l’Organisation des Nations unies viole le principe fondateur que sa propre charte proclame, qui prétendait servir le progrès démocratique de toute l’humanité : elle transforme la Déclaration universelle des Droits de l’Homme qu’elle a adoptée en 1947 en un chiffon de papier. Lorsqu’une nation jusque là démocratique s’assujettit, fût-ce au droit international, les membres de son peuple peuvent-ils rester des citoyens ? Cela revient à demander en d’autres termes si cette nation reste démocratique. Donc, je constate que le but que l’Organisation des Nations unies a assigné à l’intervention militaire au Koweit était de rétablir la souveraineté d’un sujet du droit international, et je doute de la cohérence de ce but avec le principe de démocratie proclamé pour fonder l’Organisation : ce but est en contradiction avec le principe de démocratie. Seul, le progrès réel et concret de la démocratie dans la région pouvait rendre légitime une action de l’Organisation des Nations unies ! De ce point de vue, quelle différence distingue l’embargo et le blocus ? Pendant quelques jours, l’Organisation des Nations unies ne bloquait pas l’Irak, mais plaçait son commerce sous embargo, sans fixer d’échéance ultime. Ceux qui ont obtenu que l’embargo soit remplacé par le blocus avec ultimatum avaient pour argument qu’il fallait contraindre l’Irak à obéïr à l’injonction que l’Organisation des Nations unies avait signée ; qu’il fallait imposer à l’Irak une loi étrangère à l’Irak : un tel but est le but de toute guerre et c’est précisément ce but qui fait qu’une guerre est une guerre ; le blocus décidé, l’injonction formulée, l’échéance fixée et l’ultimatum signifié, plus personne en Irak n’avait plus rien à penser, plus rien à discuter, plus rien à décider. Du vieillard chargé d’ans et de sagesse à la jeune mère, en passant par l’artisan aux mains habiles, par la sage-femme et par l’homme aux livres, chacun était traité en enfant capricieux qu’il faudrait gourmander dans son propre intérêt sur lequel il s’obstinerait à fermer les yeux. Chacun de ceux-là a compris que l’Organisation des Nations unies lui enjoignait de se taire et d’obéïr : c’est le dictateur, c’est la dictature qui a reçu tout le bénéfice du mutisme et de l’obéïssance. Par ce qu’ils ont substitué le blocus à l’embargo, puis assorti le blocus d’un ultimatum, les va-t-en-guerre ont renforcé le pouvoir de la dictature irakienne ; ils lui ont conféré de l’étranger une légitimité nouvelle et glorieuse ! Car l’embargo ne conduisait pas à ce résultat.
- En quoi consiste un embargo ? Placer sous embargo le commerce avec un pays, cela consiste à retirer toute valeur juridique aux actes commerciaux réalisés avec ce pays, afin que cesse le commerce régulier avec lui. Lorsque l’embargo prend vigueur, tous les contrats commerciaux qu’il concerne sont transformés en projets de contrebande, qui ne pourront être exécutés que si leurs partenaires décident de passer outre la légalité et d’agir désormais clandestinement. Or, la plupart des partenaires du commerce international n’ont pas les moyens de pratiquer la contrebande : la décision d’embargo les dégage des contrats qu’elle concerne. De ce fait, l’embargo crée une crise grave dans le pays qu’il vise. S’y ajoutent les effets politiques : le doute mis sur la capacité du gouvernement du pays placé sous embargo à participer aux discussions intergouvernementales : l’embargo nie la valeur de sa parole, sa respectabilité. Politiquement, le gouvernement du pays que vise l’embargo cesse de trouver confirmation de sa légitimité dans les relations extérieures. Sa légitimité se trouve alors réduite à celle que lui confèrent les rapports qu’il entretient avec le peuple qu’il gouverne. Il est en quelque sorte laissé seul en face du peuple, seul dans l’arène. En économie, le pays est isolé de telle manière que la vérité de l’économie nationale est mise à nu et que la réalité politique, sociale et morale de l’action du gouvernement sur l’économie est mise en évidence. L’embargo retire les prétextes et les masques que le gouvernement pouvait bâtir sur le commerce extérieur pour camoufler derrière eux l’économie réelle aux yeux des membres du peuple. Les gouvernés sont alors mis en situation de juger leurs gouvernants et d’exécuter leur jugement : ils peuvent changer leur gouvernement et réorganiser leur économie s’ils le jugent nécessaire.
- L’histoire a montré maintes fois que lorsqu’il gouverne au contraire des intérêts du peuple, un gouvernement n’a que l’avenir que lui assurent ses soutiens extérieurs. Lorsqu’une dictature est isolée de la manière que définit l’embargo, la contradiction qui l’oppose au peuple qu’elle opprime évolue généralement en sa défaveur, pouvant aller jusqu’à se résoudre par un progrès de la démocratie. Au cours des six dernières décennies, toutes les dictatures qui ont réussi à gagner du temps l’on fait en puisant largement de quoi ravaler leur légitimité dans le soutien qu’elles trouvaient hors de leur territoire, et notamment auprès de tel ou tel membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU : je dois à la vérité de reconnaître que le gouvernement de mon pays a largement prodigué les ressources qu’il prélevait sur mon travail pour soutenir de trop nombreuses dictatures, contrairement au mandat que je lui confiais.
- Il reste aujourd’hui quelques leçons qu’il faut tirer de l’Histoire : au cours de l’évolution d’un conflit, placer sous embargo le commerce extérieur d’un pays crée une situation compatible avec l’intervention populaire sur les termes du conflit ; l’embargo est encore compatible avec une évolution démocratique de certains facteurs importants du conflit, c’est-à-dire en fin de compte, avec une résolution pacifique du conflit, et avec un progrès global de la démocratie. Au contraire, bloquer le territoire de ce pays, fermer ses frontières, les rendre hermétiques par l’usage des armes, est un acte de guerre retrouvé dans une tradition médiévale, née au temps où le siège des villes était une méthode banale de la guerre. C’est un acte de guerre parce que son but est toujours de plier le pays que l’on bloque à une loi édictée hors de ce pays, étrangère à ce pays. Il en est ainsi de toutes façons : aussi bien si la loi que l’on veut imposer au pays bloqué est formulée sous la forme d’une condition de levée du blocus, que si elle est formulée sous la forme d’un ultimatum. Le blocus tend à rendre impossible toute autre solution du conflit que lui-même, c’est-à-dire la guerre, et de plus, l’effet de ses mécanismes aggrave toutes les pertes en vies humaines et en valeurs de civilisation que l’évolution ultérieure du conflit provoquera. L’essence du blocus, c’est le refus de toute démocratie. Décréter le blocus, c’est déclarer la démocratie hors-la-loi.
- La décision de substituer le blocus à l’embargo signifiait que la démocratie était écartée de toute solution aux problèmes du golfe arabo-persique ; ceux qui ont pris cette décision ont commis un acte de guerre et démontré par là qu’ils prétendent maintenir la guerre parmi les moyens ordinaires de la politique. En même temps qu’ils mettaient la démocratie de côté, ceux qui ont substitué le blocus à l’embargo ont mis fin à la paix : le blocus était le premier acte de la guerre. Oui, il était possible de faire autrement. C’est la substitution du blocus à l’embargo qui a rendu fatale la mise en euvre des armes.
- Pour autant, la campagne de pression idéologique que je subissais n’a pas cessé. Les institutions de diffusion massive de l’information et des erreurs voulues ont bientôt commencé de développer l’idée que cette guerre serait la guerre du droit contre la violence. Que contenait cette tentative de séduction ? Le sens de l’expression de guerre du droit est contradictoire. En effet, pendant la guerre, tout rapport de droit est balayé par le rapport des forces en présence. Tous les efforts déployés depuis des lustres pour établir des règles qui limiteraient l’horreur de la guerre, soit en bannissant certaines armes, soit en protégeant certaines parties de la population, tous ces efforts ont échoué, et par exemple de 1939 à 1945, seul le rapport des forces en présence sur les champs de bataille a fait que les gaz de combat restent dans les arsenaux. Les conventions signées à Genève n’y ont servi en rien !...
- La guerre du droit est aussi impensable que le cercle carré et pour les mêmes raisons. Tenter de faire admettre la guerre du droit est une escroquerie : le seul sens qu’il me soit possible d’associer à l’expression de guerre du droit est celui dans lequel des guerriers pourraient dire : nous faisons la guerre pour défendre le droit selon lequel nous vivons dans notre pays, contre un parti armé qui fait usage de la violence pour détruire ce droit et donc pour nous empêcher de vivre notre mode de vie dans notre pays. Il est évident que pas un seul des soldats que l’ONU avait mandatés dans la région du golfe arabo-persique en les casquant de bleu ne pouvait dire cela. Le sens hypothétique précédent doit donc être écarté. Le sens le plus proche de celui-là que je pourrais envisager d’appliquer consisterait à qualifier de guerre du droit l’action de violence armée conduite par un parti armé (en l’occurrence les troupes casquées de bleu) pour établir sur un territoire donné une société fondée sur un jeu de rapports juridiques, à la place d’une société fondée sur un jeu de rapports de forces au point que sa structure tout entière n’est qu’un réseau de dominations et de soumissions. Le cas de la dictature irakienne, entre autres, doit nous faire admettre le fait patent qu’un réseau de dominations et de soumissions organisant entièrement une société humaine peut être lui-même entièrement décrit par un système juridique cohérent et constitué. Que dois-je penser d’une telle guerre ? Elle vise à étendre le territoire où prend vigueur un certain système juridique, une certaine loi. C’est-à-dire qu’elle tend à imposer aux peuples des territoires visés une loi qui leur est étrangère. En quoi une telle guerre serait-elle légitime ? En rien ! Ce ne serait qu’une guerre de conquêtes dont le seul effet possible serait d’inhiber l’évolution propre aux sociétés qu’elle concerne. Donc de violer les droits humains et civiques des membres des peuples de ces sociétés.
- La guerre ouverte par le blocus, les opérations militaires ont ravagé les pays du Tigre et de l’Euphrate. Je retiendrai de ces opérations la préparation de la base d’opérations en Arabie séoudite, les bombardements par les B-52, la reconquête du Koweit, ainsi que les bombardements par missiles de croisière et par projectiles guidés en fin de trajectoire, publicitairement qualifiés de chirurgicaux. Quels en ont été les effets ? La base nécessaire aux opérations a d’abord été installée en Arabie séoudite : cela a fortement confirmé la légitimité internationale de la dictature de ce pays. Ensuite, les B-52 ont bombardé les troupes irakiennes retranchées au Koweit, que les armes de mêlée casquées de bleu, infanterie, mécanisés, blindés, artillerie, ont ensuite reconquis. Quelles étaient ces troupes irakiennes ? Elles étaient formées des civils, artisans, boutiquiers, ouvriers ou paysans mobilisés par la dictature et envoyés au Koweit. On a appris ensuite que les officiers qui les y avaient conduits les y avaient abandonnés deux jours avant que les B-52 ne larguent leurs bombes. Par contre, la garde militaire professionnelle, qui est à proprement parler la garde prétorienne du dictateur, s’est facilement, trop facilement, maintenue à l’écart des bombes et des armes de mêlée. Ni les bombardements par B-52, ni l’action des armes de mêlée n’ont causé de dégât à l’appareil de violence collective dont se sert la dictature irakienne. Par contre, l’action de toutes ces armes a tué de nombreux artisans, boutiquiers, ouvriers, paysans et autres civils mobilisés et envoyés au feu, et qui n’avaient aucune responsabilité dans les actes de la dictature. Et pendant ce temps, les bombardements que la publicité qualifiait de chirurgicaux faisaient eux aussi de nombreux morts dans les villes. Pour le peuple d’Irak, l’action des armées casquées de bleu a ajouté le deuil à la misère que produisent toujours les dictatures... La reconquête du Koweit a rendu un émirat à une troisième dictature ; au passage, elle a laissé passer un peu d’information sur ce pays : la dictature qui l’opprime semble si raffinée que les seuls Koweitiens seraient les propriétaires et les gens de la haute administration, et que tous les travailleurs de ce pays seraient des étrangers.
- Les opérations militaires conduites sous le drapeau de l’Organisation des Nations unies ont eu des conséquences sur la vie sociale en Irak : la population kurde s’est soulevée et a tenté de conquérir la souveraineté sur le territoire qu’elle occupe depuis des millénaires, la population du sud de l’Irak s’est soulevée elle aussi pour desserrer une oppression particulièrement lourde, et certaines villes du centre ont été le siège d’émeutes contre la dictature. Il est clair qu’on avait cru dans les promesses claironnées par nos va-t-en-guerre et dans le principe de démocratie posé dans la Charte des Nations unies : on croyait que les armées casquées de bleu aideraient à briser l’oppression. Que tant d’Irakiens aient encore pu agir comme ils l’ont fait malgré le renforcement que la dictature avait su trouver dans les conditions du blocus et dans la mobilisation des civils actifs, cela montre combien est profonde la faute dans laquelle nos va-t-en-guerre nous ont entraînés : il était possible de briser une dictature. Il était possible de créer un foyer de démocratie. C’est pire qu’une faute : au regard de l’humanité, c’est une forfaiture. Les maîtres du capitalisme pétrolier ne voulaient pas de l’intervention populaire ; nos va-t-en-guerre ont préféré la facilité de leur obéïr. La démocratie attendra.
- Mais il y a pire : les officiers de la dictature ne sont pas restés avec la troupe dans les sables du désert : les bombes sont tombées sur les membres des catégories populaires qui ont intérêt à la démocratie, qui souffrent particulièrement des dictatures, et dont le mode de vie comporte les conditions d’une indépendance d’esprit certaine ; quant aux bombardements chirurgicaux, ils ont ravagé autant de structures civiles que de ressources militaires. Le raz de marée publicitaire organisé autour de la guerre du Golfe arabo-persique a prétendu nous faire accepter que ce serait au nom du droit que l’on allait lancer des bombes qu’il fallait considérer comme démocratiques. En vérité, les bombes prétendues démocratiques de la guerre prétendue du droit ont écrasé en Irak les forces sociales susceptibles d’animer un mouvement démocratique puissant, certainement capable de renverser une dictature qui ne trouverait plus de légitimité dans ses relations extérieures. Et penser qu’après cet écrasement, des insurrections populaires ont eu lieu malgré tout ! Et penser encore que l’appareil militaire et policier du dictateur était intact, et qu’il a eu les mains libres pour réprimer les insurrections ! En Irak, les forces de la démocratie sont les principales victimes de l’action militaire imposée à l’Organisation des Nations unies par nos va-t-en-guerre et que l’escroquerie publicitaire a baptisée guerre du droit. Elles ont été écrasées pour longtemps. Tout compte fait, cette guerre semble avoir été le moyen cynique d’un gentleman agreement entre la dictature irakienne et les lobbies économico-politiques états-uniens sur le dos des peuples du Moyen-orient.
- Aujourd’hui, les résultats de la guerre du golfe arabo-persique sont établis, et fondent une critique sévère de l’action de ceux qui l’ont faite. Par leur action et par leurs promesses, ils posaient des questions anciennes : ils juraient leurs grands dieux qu’ils voulaient seulement châtier un dictateur et leur discours laissait entendre qu’inspirée par eux, la voix des armes ferait progresser la démocratie. Mais la démocratie peut-elle être exportée ? Ils protestaient de leur loyauté à l’égard de l’Organisation des Nations unies et proclamaient qu’ils avaient dorénavant la vocation de mettre leurs armes au service du Conseil de Sécurité afin qu’il ait enfin les moyens de sa politique et la capacité de faire appliquer ses résolutions, ce qui allait permettre de résoudre les conflits. Mais d’ajouter aux gouvernements des états un supergouvernement mondial, cela fait-il avancer la paix si peu que ce soit ? Et peut-il exister un caractère démocratique dans une structure d’encadrement de la société à plusieurs niveaux d’autorité ? Pour ramener la paix, il fallait suivre leur conseil et faire parler les armes, car personne là-bas n’était capable de comprendre ce que c’est que de négocier. Le blocus, l’ultimatum, il n’y avait que ça. On allait voir ce qu’on allait voir !
- Nous avons vu : les deux premières victimes des opérations militaires des casques bleus dans la région du Golfe arabo-persique sont, pour longtemps, la paix et la démocratie elles-même. La paix, parce qu’on a interdit aux citoyens de parler en citoyens et puni ceux qui avaient osé parler. Les bourreaux ont tué librement. La parole mutilée sera difficile à guérir... La démocratie, par le baillon imposé aux citoyens, par le massacre du peuple, et par tous les moyens que l’on a fournis à trois dictateurs, qui leur ont permis de réorganiser leur dictature en perfectionnant l’oppression de leur peuple et en mettant à jour leurs relations extérieures. Et d’identifier ces deux victimes principales de la guerre conduit à répondre aux questions posées par l’évènement : non, la démocratie ne peut pas être exportée par l’action des armes. Car le seul résultat que l’action des armes permette d’obtenir, c’est le but de toute guerre : c’est de soumettre autrui à une loi dont il ne veut pas, en brisant ses moyens de la refuser. S’agissant d’une société établie sur son territoire et éventuellement organisée en état, aucune loi qui lui serait imposée par l’action des armes ne peut être considérée comme démocratique. Le progrès de la démocratie dans cette société ne peut résulter que d’une prise de parti de ses membres, qui aboutirait à la formation d’une nouvelle loi impliquant chaque femme et chaque homme dans les décisions sociales et économiques. Jamais la guerre n’a apporté ni n’apportera un tel progrès dans une société, fût-elle la plus férocement encadrée par une autorité violente et policière.
- Il ne faut pas céder à l’illusion de croire le contraire. S’il est arrivé parfois qu’une dictature s’effondre au lendemain d’une guerre et que s’ensuive un progrès démocratique, ce progrès démocratique n’a jamais été la conséquence de la guerre. La seule conséquence de la guerre était l’effondrement d’un état autoritaire et policier. Mais sans la prise de parti populaire de mieux participer à la formation de la loi, le résultat de la défaite militaire de la dictature est normalement son remplacement par une autre dictature. Lorsque le peuple prend le parti de mieux participer à la formation de la loi, ce n’est jamais à la suite d’une intervention extérieure, même militaire. C’est au contraire à la suite de sa propre prise de conscience de ce que le mode autoritaire de formation de la loi, qui caractérise les dictatures, est mauvais et porte préjudice à la vie de la société. Jean Jaurès le disait :

  • Donner la liberté aux peuples par la force des armes est une étrange entreprise pleine de chances mauvaises !

- Décidément non, la démocratie ni la liberté ne s’exportent par la force des armes ! Nous avons vu !
- L’hyper-gouvernement mondial a imposé à toute une région une loi étrangère aux peuples qui l’habitent. Il a ainsi violé le principe de démocratie inscrit dans la charte de l’Organisation des Nations unies. C’est ici le jeu des étages des institutions du pouvoir qui a trompé les citoyens. Non. Une démocratie étagée, cela n’existe pas. Il n’y a de démocratie dans une société que si tous les pouvoirs sans exception procèdent directement et sans intermédiaire des citoyens eux-même. Un supra-gouvernement encadrant plusieurs états, auquel seraient assujettis des gouvernements, non plus qu’un hyper-gouvernement mondial, ne peuvent en aucun cas être démocratiques ! La raison en est simple : l’histoire nous montre déjà avec quelle facilité dictateurs, potentats et notables en tous genres confisquent les droits dont est faite la citoyenneté et en usent pour usurper la souveraineté populaire, dès le premier étage des structures de pouvoir. Au second étage, les citoyens n’ont plus même l’espoir d’un accès occasionnel : l’histoire de la construction des supra-structures européennes de pouvoir, et malheureusement aussi, celle de l’Organisation des Nations unies en donnent l’exemple quotidien.
- Il faut répéter cette simple et profonde vérité : la démocratie se juge à l’exercice quotidien réel et concret par chaque femme et par chaque homme de ses droits d’humain et de citoyen. La démocratie n’est pas un dogme dont des prêtres auraient la garde. Il est impossible d’exporter la démocratie par la force des armes parce que la violence guerrière brise les droits humains et civiques et ne peut les rétablir. Il est impossible de concevoir la démocratie dans une structure de gouvernements étagés parce qu’un gouvernement démocratique est celui qui procède de l’exercice illimité de ses droits humains et civiques par chaque membre du peuple, parce qu’un peuple constitué en démocratie ne délègue pas sa souveraineté, et parce que la constitution d’un second étage de pouvoirs suppose que les gouvernements du premier étage exercent pleinement la souveraineté sur la société qu’il gouverne, à la place du peuple des gouvernés. Il n’y a de hiérarchie de pouvoirs que dans une société autoritaire, dans laquelle les membres du peuple ne jouissent d’aucun des droits qui font la citoyenneté, dans laquelle tout gouvernement usurpe la souveraineté populaire. Ceux qui ont imposé à l’Organisation des Nations unies de substituer le blocus à l’embargo conçoivent ainsi la politique. Devons-nous les laisser faire ?
- Pour chaque étage d’autorité supplémentaire qu’ils veulent construire, ils commencent par confisquer à la libre communication des citoyens toute l’information qu’ils veulent réserver à ce nouvel étage. Pour cela, ils usent et abusent de chacun des conflits qui se font jour, qu’ils ont le plus souvent eux-même créé par l’exercice illégitime des pouvoirs qu’ils se sont déjà arrogés, notamment sur l’économie ; dans chacun de ces conflits, ils maneuvrent de manière à en occulter les données pour que les peuples n’en perçoivent rien, et c’est précisément l’information ainsi cachée dont ils prétendent faire la compétence du nouvel étage d’autorité. La dernière en date de leurs inventions est la forme arbitrale qu’ils développent pour y couler l’action des supra- et hyper-gouvernements. Ils ont choisi cette forme parce que l’arbitre est conçu par les peuples comme neutre dans les conflits de sa compétence. Mais c’est un faux-semblant, car leurs supra-gouvernements édictent eux-même, sans que les peuples puissent intervenir, les normes selon lesquelles ils arbitrent : c’est donc réellement des pouvoirs gouvernementaux, définis et agissant hors et à l’abri de toute démocratie, qu’ils prétendent conférer à ces supra-institutions à forme arbitrale. Mais du même coup, la communication des citoyens se trouve entravée, placée sous le contrôle nécessaire à la sauvegarde de ces nouvelles autorités. Ces entraves mettent la paix en danger, parce qu’elles enferment l’information et qu’elles laissent le champ libre aux préjugés que chaque crise transforme en racisme, en fanatisme religieux, en toute autre sorte de fanatisme ethnique dont la violence est le mode d’existence : elles créent alors les conditions du développement des fascismes, dont l’essence est belligène, comme l’histoire le montre sans jamais faire d’exception. Au fond, ceux qui agissent si constamment avec autant de moyens pour assujettir l’humanité entière à une unique hiérarchie gouvernementale à sommet unique, ceux-là mettent en euvre une bien pauvre idée de l’humain. Il leur faut un être humain passif, sans intelligence et sans volonté ; un idiot seulement sensible aux coups qu’il reçoit et aux menaces, à condition qu’elles soient toujours suivies d’effet. L’être humain pour eux, c’est le mal inguérissable. Mais afin d’en apporter la preuve, ils s’attachent à arrêter, à éteindre tout processus de connaissance accessible à la personne humaine. L’obscurantisme leur est indispensable. Il est affligeant et dangereux que ces gens-là gouvernent le monde !

    • A vous en croire, l’homme au fond est sur la terre
    • Juste autant que le boeuf, l’onagre et la panthère ;
    • Dans le premier venu des tigres l’homme est né ;
    • L’homme est un léopard, mais perfectionné ;
    • L’homme est parmi les ours la brute aristocrate !

Victor Hugo, la légende des siècles

chapitre 5 : La pêche dans le golfe de Gascogne

- Les institutions de diffusion massive de l’information et du scandale m’ont d’abord appris que des bateaux de pêche français avaient été agressés par une flottille de pêche espagnole, qui avait pris à l’abordage, puis emmené en Espagne un bateau français. Selon leur rapport, le conflit consisterait en une contestation par les marins pêcheurs espagnols de la conformité du matériel de pêche embarqué par leurs collègues français aux normes édictées par les commissions européennes ; nos présentateurs de journaux audio-visuels posaient en principe que cette contestation était mal fondée. Puis, ils m’ont appris que les marins pêcheurs de l’île d’Yeu avaient fait une concession à leurs collègues espagnols, en acceptant de ne pas embarquer de second filet pour leurs campagnes de pêche ; ils soulignaient la disponibilité de la marine nationale, qu’ils s’obstinent curieusement à appeler la royale comme s’ils voulaient créer une tradition, dans l’assistance aux marins pêcheurs français : le second filet serait désormais embarqué à bord d’un bateau d’assistance. Enfin, ils m’ont complaisamment montré comment un bateau de guerre français avait aidé un bateau de pêche français à forcer le barrage installé par les marins pêcheurs espagnols pour fermer le port de Hendaye. Toutes ces informations s’organisent pour me faire attribuer la cause du conflit au caractère des marins pêcheurs espagnols, trop anarchistes, refusant la discipline de la Communauté économique européenne, et arc-boutés sur une économie de pêcherie archaïque : leur refus de l’économie du grand marché européen rendrait fatales ces rixes navales. Mon attention de pacifiste a été attirée par le danger mortel que crée la rixe, amplifié lorsqu’elle a lieu en mer, et par le caractère collectif des actions et du problème : c’est dans le sang versé collectivement que certains cherchent à résoudre le conflit ! Il s’agit de ces actes belliqueux par lesquels souvent commencent les guerres. Peut-on arrêter cela et comment ? Tenter de répondre à cette question, c’est nier la fatalité de ces évènements. Les informations qui ont suivi tendaient pourtant à la confirmer. Les institutions de diffusion massive de l’information et des jugements préfabriqués ont en effet diffusé des opinions, exprimées par des notables de la pêcherie, mais les attribuant aux marins pêcheurs français en général : selon ces opinions, l’action des marins pêcheurs espagnols serait infondée et irrationnelle car leur misère aurait pour seule cause le défaut de rentabilité de leurs bateaux, ce qui mettrait hors de cause toute la pêcherie française, et tout ce qui l’exploite.
- Aujourd’hui, le fait est que les bateaux de pêche français rapportent à terre cinq fois plus de poisson par homme que les bateaux espagnols. Il ne serait pas possible de rétablir le déséquilibre qui en résulte par un retour aux techniques de pêche d’il y a quinze ans, car les investissements faits imposent aux marins pêcheurs français des dépenses d’amortissement excessives qui les rendent marginaux. Pour les marins pêcheurs français, c’est ça ou la faillite. Ils sont coincés. La diversité des conditions de rentabilité impose donc un déséquilibre. Mais est-ce qu’elle le justifie ? Est-ce que réellement la rentabilité mesure la fatalité qui pèserait sur l’humanité au point de détruire sa liberté ? S’il en est ainsi, alors la guerre du Golfe de Gascogne aura lieu.
- De quoi est-il donc fait, ce déséquilibre de la rentabilité ? Le hasard de la programmation des émissions télévisées a fait passer hors des émissions dites de l’information un entretien avec un artisan marin pêcheur français, enregistré depuis un an, au cours duquel celui-ci expliquait dans quelles conditions économiques il faisait son métier. De ses explications ressortaient principalement deux choses : d’abord, ces conditions économiques sont conformes aux règles qu’édicte la Communauté économique européenne, la conformité s’établissant depuis quelques années au bout de délais très courts. Ensuite, ces conditions imposent aux marins de pêcher au moyen de très gros bateaux, très chers et dont l’amortissement grève lourdement l’économie de la pêche, en imposant qu’à la fin de chaque campagne le total des parts de pêche attribuées à l’armement (l’armateur d’un bateau est celui qui l’exploite au sens économique de ce mot : il peut en être propriétaire ou locataire ; il ne faut pas le confondre avec le patron, qui est le marin chargé de conduire le bateau et le travail de l’équipage) soit désormais beaucoup accru au détriment du total des parts de pêche attribuées aux marins (et dans la pêche artisanale française, le patron du bateau est un marin comme les autres : rien de ce qui va à l’armement ne lui revient, sa rémunération est proportionnelle à celle des matelots et parfaitement connue d’eux). Il en résulte qu’une mauvaise campagne de pêche crée pour le bateau un déficit beaucoup plus difficile à étaler que ce n’était le cas il y a quinze ans : chaque bateau de la pêche artisanale est devenu économiquement marginal. Si, il y a quinze ans, les marins pêcheurs français pêchaient comme leurs collègues espagnols, aujourd’hui, ils rapportent cinq fois plus de poisson par homme, mais ils sont pris à la gorge par l’armement, par la finance et par le mareyage (le commerce de la marée). Que s’est-il passé ? Les mareyeurs se sont appropriés de l’argent en diminuant le prix du poisson payé aux pêcheurs ; les armateurs se sont appropriés de l’argent en diminuant le nombre des bateaux mis en euvre à la pêche ; les financiers se sont appropriés de l’argent en diminuant le nombre des marins occupés à la pêche. Ces opérateurs ont réussi ces véritables détournements en renforçant, en concentrant puis en financiarisant leurs capitaux, enfin en les intégrant au système capitaliste européen en cours de constitution ; ce faisant, ils ont jeté les marins pêcheurs français producteurs de poisson dans une situation d’extrême dépendance économique. C’est l’ensemble de cette situation, dont l’assujettissement des producteurs est le caractère essentiel, qui est conforme aux conditions édictées par la Communauté économique européenne. Le cadre de cette situation, c’est l’intégration capitaliste de la pêcherie française.
- Quelle est la situation économique de la pêche en Espagne ? La seule information que j’ai reçue à ce sujet par nos institutions de diffusion massive de l’information et du silence est qu’il y aurait des tensions résultant d’une opposition entre les marins pêcheurs basques et le ministre espagnol des pê­ches. Les autres informations dont je dispose par ailleurs me conduisent à considérer comme vraisemblable que les conditions économiques de la pêcherie espagnole ressemblent à celles que connaissait la pêcherie française il y a quinze ans, et notamment : la pêche artisanale y survivrait ; la pêche emploierait des effectifs significatifs, qui suffiraient encore pour donner un caractère particulier aux quartiers où habitent les pêcheurs, ce qui n’est plus le cas en France ; les conditions économiques faites à la pêche se resserrent progressivement sous l’effet des progrès de l’intégration capitaliste de l’économie espagnole au marché capitaliste européen, et notamment le prix de la part de pêche tendrait à diminuer parce que les mareyeurs s’approprient l’argent du commerce des marées, le total des parts de pêche attribuées à l’armement tendrait à augmenter au détriment de celui des parts de pêche attribuées aux marins parce que les armateurs s’approprient l’argent de la maintenance de la flotte, le nombre des marins pêcheurs tendrait à diminuer parce que les financiers s’approprient l’argent du crédit aux pêcheries.
- La vérité, c’est que les institutions de diffusion massive de l’information et de la désinformation ont menti en présentant le conflit de la pêche dans le golfe de Gascogne comme résultant d’un défaut de discipline manifesté par les pêcheurs espagnols devant les règles de la Communauté économique européenne. Elles ont menti parce qu’elles expriment les intérêts de gens qui prétendent cacher au public les tensions créées par un problème fondamental de l’économie européenne, dont ce conflit n’est que la manifestation. Elles ont menti dans l’intérêt d’une partie à ce conflit.
- Quelles sont les parties au conflit de la pêche du Golfe de Gascogne ? Pour ma part, j’en recense cinq : en premier lieu, le système capitaliste des pêcheries qui s’est constitué sur le plan et au moyen de la Communauté économique européenne par intégration et financiarisation des capitaux de l’armement, du mareyage et du crédit aux pêcheries. Les capitalistes de ce système ont d’ores et déjà pris le pouvoir sur la pêcherie française, et prétendent le prendre aussi sur les pêcheries espagnoles. Parmi ces grands de la mer, les Français et les Espagnols sont intégrés et n’ont plus d’autre patrie que le capital financier. En deuxième lieu, les marins pêcheurs français. Ils sont aujourd’hui isolés et n’ont presque plus aucun moyen d’adopter et de faire valoir une position professionnelle autonome et significative. Ils sont devenus de la chair à conflits que les armateurs, les mareyeurs et les financiers du système capitaliste européen peuvent dilapider à discrétion, soit par l’effet du salariat, soit par la contrainte que fait peser l’encadrement économique sur les artisans que l’on croit indépendants. En troisième lieu, mais seulement pour mémoire, les armateurs et mareyeurs français non capitalistes, qui existent peut-être encore sur le papier, mais qui n’ont plus la parole depuis des lustres. En quatrième lieu, les quelques armateurs, mareyeurs et financiers espagnols non capitalistes ou attachés au terroir qui résistent à l’intégration au capitalisme européen. En cinquième lieu, les marins pêcheurs espagnols. Eux et leurs collègues français sont les producteurs de la mer. Ce qui s’est passé en France au cours des quinze dernières années montre que si l’intégration européenne des pêcheries espagnoles réussit, elle fera disparaître au moins quatre marins pêcheurs espagnols sur cinq, jetés au chômage ou pour les plus chanceux, admis à la retraite. Nous savons de plus que la disparition des emplois de pêcherie (salariés ou non) ne rencontre quelques créations d’emploi que sous l’effet d’un hasard exceptionnel, car aucune activité industrielle ou de service ne peut se substituer à la pêche qui disparaît, et parce que l’agriculture est en butte au même assaut que la pêche, qui tend aux mêmes effets : les marins pêcheurs espagnols défendent leur propre vie. La disposition des forces en présence que je viens d’indiquer est le résultat direct du fonctionnement d’une économie dont tous les acteurs prétendent accroître le taux de leur profit, qui est la rentabilité de leur capital, au cours de chaque opération.
- Il est visible aussi que l’essence de cette évolution a toujours fait violence aux droits humains et civiques des marins pêcheurs français, et que sous l’effet de cette violence, ils ont été réduits à l’état d’extrême dépendance économique qui est le leur actuellement : cette dépendance économique extrême est une confiscation de leur citoyenneté. L’essence de cette évolution s’exprime en faisant de la rentabilité du capital la mesure de la fatalité. Mais c’est une décision des sociétés humaines européennes : politiquement organisées comme elles le sont, elles ont délibérément choisi la rentabilité du capital comme mesure de la fatalité à laquelle elles se soumettent. Or la rentabilité n’est pas une condition que la nature nous impose : c’est un nombre que l’on calcule au moyen d’une méthode conventionnelle et à partir de données que l’économie humaine produit dans des conditions parfaitement conventionnelles. Or chacune des conventions qui constituent ces conditions est le résultat de décisions politiques prises par les sociétés humaines. Le rapport de ces décisions aux lois de la nature est très lointain, très ténu, et cinq siècles d’histoire de la science humaine nous enseignent précisément que le doute imprègne chacun des termes de ces rapports. Par conséquent, la contrainte que fonde la rentabilité du capital n’est pas une contrainte laïque, mais ethnique. Pour cette raison précisément, le conflit de la pêche qui résulte de cette contrainte n’a pas de solution hors de la violence faite aux humains, et nous savons de longue expérience que les victimes de la violence sont les personnes que le profit ne nourrit pas. Si la fatalité qui se mesure à l’aune de la rentabilité du capital continue de dominer l’action des humains, alors ou bien le chômage, la misère et le désespoir ravageront toutes les pêcheries espagnoles, n’épargnant ni mareyage ni construction navale, ou bien la guerre du golfe de Gascogne aura lieu : ce sera une révolte des marins pêcheurs espagnols contre la misère que ceux qui nous gouvernent leur imposent au nom de l’économie générale, car depuis un quart de siècle, les gouvernants ont décidé dans l’ombre de ne plus avouer que l’économie est politique. La révolte des marins pêcheurs espagnols sera réprimée dans le sang et dans les larmes au nom de la modernité, par une force de police terrestre et maritime prétendue européenne qui comprendra des unités navales françaises et espagnoles, des unités terrestres françaises, espagnoles, basques, catalanes, etc..., et qui aura le soutien des services états-uniens du renseignement. Qui en sortira vainqueur ? Dans les deux cas, ce sera le système capitaliste européen !
- Le véritable intérêt des marins pêcheurs, aussi bien espagnols que français, est donc bien d’en finir avec les rixes navales, c’est-à-dire de mettre un terme à la guerre que certains fomentent entre eux. Comment faut-il faire ? Les marins pêcheurs doivent-ils s’en remettre à ce qu’il est convenu d’appeler l’arbitrage international ? En l’occurrence, l’arbitre est bien connu : c’est une commission mise à la disposition du système capitaliste européen par ce que l’on appelle l’Europe communautaire. Son arbitrage est connu d’avance : il sera rendu dans le sens de l’accomplissement de l’intégration capitaliste de toutes les pêcheries espagnoles et de toutes les activités qu’elles induisent, avec l’acceptation de ce que l’on mette au musée toutes les particularités locales et territoriales. S’en remettre à l’arbitrage international ne résoudrait donc rien.
- De 1901 à 1914, Jean Jaurès avait beaucoup travaillé sur l’idée que le recours à l’arbitrage international devrait permettre d’éviter le recours à la guerre. Militant pour la paix lors de chacune des crises qui ont jalonné la marche à la guerre de 1914, il avait mesuré à chaque pas toute l’illusion, toute la vanité que véhicule l’assimilation des relations internationales aux relations interpersonnelles : l’une après l’autre, toutes les institutions arbitrales possibles ont été submergées par les forces de guerre, sans aucune exception. Cela avait conduit Jaurès à conclure que le seul arbitre qui vaille en cas de menace de guerre, ce sont les peuples eux-même ; et que le seul danger susceptible de faire reculer les forces de guerre, c’est celui de voir les peuples exproprier leurs principaux acteurs des entreprises qu’ils dirigent, des capitaux qu’ils y investissent, les privant ainsi des moyens de leur pouvoir ; que donc tel devait être l’arbitrage que les peuples devaient rendre. Peu de temps après qu’il eût formulé cette conclusion, et le soir même du jour où il avait résolu de publier sa dénonciation des forfaitures commises par les va-t-en-guerre, sa mise en accusation des coupables, français et autres qui s’efforçaient à déclencher la guerre, et son appel aux peuples à ne pas laisser faire, il était assassiné ! Je ne peux pas rendre à Jaurès meilleur hommage, ni plus mérité, que de reprendre sa conclusion avec mes mots :

  • Une guerre va commencer : il n’existe donc plus, au-dessus des belligérants, aucune institution susceptible d’arbitrer le conflit et d’imposer qu’il soit résolu sans violence. Il reste pourtant un arbitre possible : ce sont les peuples impliqués dans le conflit.
    - Si ce conflit produit une guerre, c’est d’abord parce que les membres de ces peuples, les femmes et les hommes, ont été privés de leur droit de connaître l’économie, d’exprimer et d’échanger leurs idées, de former et de confronter des analyses de la situation indépendantes de celles qui expriment la domination des va-t-en-guerre. C’est en somme parce que les droits humains et civiques des membres des peuples concernés ont été violés.
    - Eviter la guerre est encore possible si les peuples revendiquent leurs droits humains et civiques avec assez de vigueur pour les faire aboutir.

- Cela me conduit à penser et à dire que la recherche d’une véritable solution au conflit de la pêche dans le Golfe de Gascogne commence par la mise en présence des citoyens impliqués dans le conflit, en commençant par ceux qui sont impliqués dans les rixes navales : ce sont les marins-pêcheurs. La solution durable du conflit est dans leurs mains. Qu’ils se rappellent que si le vaincu d’une rixe peut y perdre la vie, le vainqueur n’y gagnera rien, et surtout que dans le conflit présent, la disposition des forces est telle que les rixes accélèreront l’anéantissement des droits humains et civiques dont l’exercice confère aux marins pêcheurs d’Espagne et de France la citoyenneté. Le seul vainqueur en fin de compte, le seul bénéficiaire sera le système européen du capitalisme. Que les marins pêcheurs prennent conscience de ce que le premier de leurs droits humains et civiques, celui de vivre, est menacé ; qu’ils revendiquent leurs droits d’hommes et de citoyens, qu’ils les mettent en valeur dans la recherche d’une solution au conflit. Il leur faut pour cela faire valoir eux-mê-me et concrètement plusieurs de leurs droits : celui de connaître, pour étudier la situation et décider de l’action nécessaire ; celui de se réunir, pour échanger les informations et les idées, comparer les diverses conditions économiques des pêcheries françaises et espagnoles, et comparer les conditions qui en résultent pour la vie des hommes, des femmes et des enfants ; celui de s’associer, pour élaborer ensemble leur revendication commune de conditions économiques humainement acceptables pour la pêcherie ; celui de se syndiquer, pour organiser et conduire la revendication ; leur droit au travail, pour prolonger la revendication par l’action économique à laquelle elle conduit, y compris si elle porte sur les divers marchés de la pêche en mer.
- Il est clair que les marins pêcheurs du golfe de Gascogne sont aujourd’hui enfermés dans une contradiction qui peut les conduire à s’entre-déchirer pour le plus grand profit des armateurs, mareyeurs et financiers que le capitalisme européen a ou va intégrer. Leur seul moyen de sortir pacifiquement de cette contradiction est de faire valoir leurs droits d’hommes et de citoyens. Mais cela les conduira à s’affronter collectivement au capital européen intégré. Jetés dans un conflit où ils sont engagés à combattre pour les intérêts des grands capitalistes, les marins pêcheurs sont dans une contradiction essentielle de l’humanité : ou bien ils se comportent conformément aux valeurs ethniques qui dominent notre société, lesquelles mesurent la fatalité par la rentabilité du capital, faisant taire la raison pour mieux soumettre les humains, et la misère s’étendra ; ou bien ils s’engagent dans un effort pacifiste consistant dans la mise en valeur de leurs droits humains et civiques pour résoudre le conflit en niant la fatalité que l’on veut leur imposer : ils initieront alors un processus laïc et raisonné par lequel l’humanité progressera de quelques pas. N’est-ce pas en niant la fatalité que l’humain est sorti de l’animal ?

    • C’est à coups de canon qu’on rend le peuple heureux.
    • Nous sommes revenus de tous ces grands mots creux :
    • - Progrès, fraternité, mission de la France,
    • Droits de l’homme, raison, liberté, tolérance.-
    • Socrate est fou ; lisez Lélut qui le confond ;
    • Christ, fort socialiste et démagogue au fond,
    • Est une renommée en somme très surfaite.
    • Terre ! l’obus est Dieu, Paixhans est son prophète.
    • Vrai but du genre humain : tuer correctement.
    • Les hommes, dont le sabre est l’unique calmant,
    • Ont le boulet rayé pour chef-d’oeuvre ; leur astre,
    • C’est la clarté qui sort d’une bombe Lancastre,
    • Et l’admiration de tout peuple poli
    • Va du mortier Armstrong au canon Cavalli.
    • Dieu s’est trompé ; César plus haut que lui s’élance ;
    • Jéhovah fit le verbe et César le silence.
    • Parler, c’est abuser ; penser, c’est usurper.
    • La voix sert à se taire et l’esprit à ramper.
    • Le monde est à plat ventre, et l’homme, altier naguère,
    • Doux et souple aujourd’hui, tremble. - Paix ! dit la guerre !

Victor Hugo, les quatre vents de l’esprit

  • Note : Paixhans est l’inventeur d’un des premiers systèmes d’artillerie à canon rayé : les projectiles de ce système étaient des obus particuliers appelés "obus Paixhans"

chapitre 6 : Le moyen de construire la paix : le pacifisme

- La guerre est un scandale horrible ; si je peux comprendre que l’humain n’en ait pas triomphé encore, je ne peux pas admettre que le pacifisme soit aussi totalement banni des débats publics et de l’information diffusée à l’attention de la population. En vérité, je ne suis pas plus satisfait des différents discours que par moments les institutions de diffusion massive de l’information et du folklore me présentent comme le pacifisme, qui se bornent à la protestation, à la malédiction, et qui expriment dans de rares cas le désespoir des victimes ; comme par hasard, ou par l’effet de la programmation des éditions à l’antenne, ils soulignent ce qui ressemble fort à de l’indifférence, et par le fait, en font un caractère principal de l’attitude des gens. Lorsque, par exception, les institutions de diffusion massive de l’information contrôlée présentent le pacifisme, il est toujours restreint aux utopies emphatiquement séparées de la réalité ; la seule concession faite aux pacifistes est de reconnaître en paroles la générosité de leur intention ; car les maîtres de l’information tentent aussi de faire admettre qu’une utopie n’a aucune source dans la réalité, que sa seule source est dans l’arbitraire fantaisiste de son auteur...
- Le discours pacifiste ainsi choisi à l’intention du public, pour les cas où il ne serait pas possible de faire autrement que de parler du pacifisme, est donc caractérisé par un idéalisme le plus éthéré possible... à tel point qu’il provoque lui-même le renoncement des profanes qui n’ont pas d’autre information : c’est bien joli, tout ça, mais qu’est-ce que j’y peux, moi ? à tel point qu’il est facilement balayé par les grands de ce monde : un président de la République française, quelque peu goguenard sous son masque de sphynx officiel, expliquait que les pacifistes sont bien compris des pacifiques, mais que les belliqueux ne les entendent pas ; sous ce prétexte, il considère que la guerre est un moyen banal de la politique telle qu’il la conçoit ; ce qu’ils présentent comme le pacifisme en détourne un grand nombre de militants qui savent que quand la guerre est là, c’est trop tard pour l’empêcher, et croient qu’il n’y a plus qu’à choisir son camp et à la faire le mieux possible ! Ce discours pacifiste, qui ne fait pas progresser la paix, domine l’opinion publique française au point que trop de mes camarades, trompés par l’apparence des cinquante dernières années écoulées, confondent aujourd’hui la paix avec l’équilibre de la terreur...
- Comment concevoir un pacifisme concret, qui prend connaissance de la réalité qu’il veut transformer afin d’y trouver les objectifs et les moyens de la transformation, les moyens et les raisons que chacune et chacun peut trouver de prendre concrètement le parti de la paix, et d’agir enfin dans la réalité ? Il faut d’abord que ses moyens soient cohérents avec sa fin : c’est la paix elle-même qu’il faut inscrire dans l’action pacifiste. N’oublions rien des efforts qu’avait développés Jean Jaurès pour maintenir la paix en Europe, pour empêcher les puissances européennes de recourir à la guerre, qui a finalement éclaté pendant l’été 1914 ; si les chefs des factions européennes ont commencé leur guerre par son assassinat, c’est bien parce que Jaurès avait fait faire à la vérité un progrès décisif. Parvenu à la conscience de ce que les peuples sont le seul arbitre des conflits capable de mettre les fauteurs de guerre hors d’état de nuire, Jaurès avait pris le parti de faire jouer son rôle à cet arbitre : il avait entrepris de faire du pacifisme un mouvement populaire. Tous les évènements que je puis connaître de la politique mondiale qui s’est inscrite dans l’histoire depuis le 31 juillet 1914 confirment à mes yeux la justesse de ce jugement de Jaurès, et la profondeur de la vérité qu’il contient. Oui, il faut faire du pacifisme un grand mouvement populaire.
- Pour cela, il faut lui donner le sens d’une revendication populaire de justice : par le pacifisme, les peuples demandent justice du crime que constitue la guerre, et dont ils sont les victimes ; et comme ils sont eux-même les seuls arbitres possibles en la matière, ils font aussi, et encore par le pacifisme, justice des fauteurs de guerre, en les expropriant des moyens qu’ils utilisent pour fomenter les guerres. Ces moyens, ce sont les entreprises qu’ils détiennent, qu’ils contrôlent, au moyen desquelles ils orientent les politiques des états ; ce sont aussi les valeurs ethniques au moyen desquelles ils manipulent les opinions publiques. Jaurès avait raison, il faut faire ce qu’il a dit !... Car aussi bien la guerre de l’ouest balkanique, que la tragédie du Rwanda, que la guerre du golfe arabo-persique, que les affrontements meurtriers du golfe de Gascogne, tous ces évènements confirment la justesse de ce projet auquel Jaurès était parvenu, et leur analyse ne fait qu’en préciser les conditions concrètes.
- Le chapitre deux du présent essai montre que deux conceptions de l’humanité sont affrontées dans les territoires de l’ouest du mont Balkan, qui furent yougoslaves de 1919 à 1989 : l’une réduit toute politique à la logique des états ; elle se fonde sur la carence des sociétés en droits humains et civiques ; le manque de liberté de penser et d’exprimer sa pensée lui donne une apparence de légitimité ; elle naît dans la surexcitation des traditions ethniques ; elle se nourrit de l’obéïssance à l’institution administrative et se perpétue en faisant de cette obéïssance une vertu cardinale. Cette conception de l’humanité donne à toutes les institutions de la société une essence maffieuse, souvent atténuée ou masquée en temps normal par les vernis de civilisation ; mais chaque crise décape les vernis et donne libre cours aux dynamiques factieuses qui expriment cette essence. Les trois factions qui se font la guerre dans les territoires de l’ouest balkanique se sont toutes trois définies et organisées selon cette conception de l’humanité et mettent en euvre des logiques d’état. Que chacune de ces factions ait veillé à se doter d’un parlement dans lequel on vote ne doit pas nous tromper : chacune d’entre elles a composé son parlement à partir d’une définition ethnique excluant des parties de la population dont les aïeux habitent le territoire depuis de nombreuses générations ; la composition du parlement de la faction dite croate, celle du parlement de la faction dite bosniaque, celle des deux parlements de la faction dite serbe font de ces quatre parlements quatre preuves de ce que chacune de ces factions est étrangère à toute démocratie : par chacun de ces parlements, une ethnie prétend imposer sa loi à l’ensemble de la population habitant le territoire que contrôle la faction armée. Pour l’autre conception de l’humanité, toute politique est une activité populaire fondée en laïcité ; c’est-à-dire qu’elle est indépendante des gouvernements, des religions, de toutes les valeurs ethniques, qu’elle est constituée par la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen et qu’elle est animée par une réflexion raisonnée aboutissant à la prise de parti des citoyens en politique ; c’est-à-dire que son essence est démocratique et garantit la liberté de toutes les valeurs de civilisation ; c’est-à-dire qu’en donnant valeur de fondement à la conscience personnelle du citoyen, elle garantit la liberté des valeurs ethniques que sont les langues, les religions, les traditions populaires... Pour cette conception de l’humanité, la liberté consiste à exprimer toute politique en une logique civile, dont les citoyens sont les maîtres.
- Les femmes et les hommes qui se réclament de cette conception de l’humanité s’opposent à toutes les factions belligérantes ; ils n’ont pas d’armes, pas d’armées, peu de moyens de se faire entendre et nos institutions de diffusion massive de l’information et des drames ne parlent jamais d’eux. Ils existent pourtant dans toutes les ethnies habitant les territoires de l’ouest balkanique, et deux raisons leur donnent une importance de premier plan : eux seuls développent une action humainement légitime, et eux seuls tendent à maintenir et à créer les conditions de la paix future. Ce sont les pacifistes ; leur action est une révolte de la Raison contre la violence et contre l’oppression : déjà, leur expérience a montré que la paix est possible et déjà, ils travaillent à dire et à libérer la logique civile dans la politique ; chacun des modestes succès qu’ils ont obtenus valide la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen et confirme que cette démarche est un processus essentiel de la paix humaine.
- Le chapitre trois de cet essai montre que dans la tragédie rwandaise tout particulièrement, l’étatisme manipule l’information qui me parvient, afin de prédéterminer mon comportement ; il met sur les préjugés de l’ethnicité une emphase par laquelle il tente d’inhiber toute euvre de raison : ici, l’étatisme prolonge l’action par laquelle il a dérivé le néocolonialisme du colonialisme ; il confirme l’interdiction alors prononcée de toute référence aux Droits de l’Homme et du Citoyen ; il perfectionne l’obscurantisme dont il se sert depuis toujours afin que les hommes et les femmes, oubliant définitivement leurs propres droits humains et civiques, subissent désormais leur vie sociale sans raisonner ; il tente d’imposer aux mentalités populaires le besoin d’une autorité mondiale, afin de permettre aux castes étatistes de prendre le pouvoir sur la planète entière, et ainsi de prendre possession de ses richesses. Il est pourtant possible que la politique au Rwanda se développe désormais selon une logique civile : il faut pour cela que toutes ethnies confondues, les Rwandais se constituent en peuple en conquérant la souveraineté, et que le peuple rwandais ne la délègue plus jamais : la souveraineté nationale, c’est cela, et c’est une valeur universelle ! Mais l’histoire du Rwanda, pose à tous les citoyens français la même question grave que pose aussi l’histoire de toute la partie de l’Afrique qui fut colonie française : l’état qui s’est développé sur le territoire de l’ancien royaume de France à partir du neuf thermidor de l’an deux de la République, et qui a fini par prendre le nom de République française, par quel processus est-il arrivé à combattre les Droits de l’Homme et du Citoyen dans tous les territoires qui subissent son influence, au point d’appeler officiellement du nom de démocratie des régimes politiques qui ne sont en vérité que des ethnocraties dont certaines sont franchement fascistes ?
- Le chapitre quatre de cet essai, tente, à l’occasion de la crise du golfe arabo-persique, de mieux poser la question du début de la guerre : dans son essence, la guerre est un conflit d’intérêt dans le règlement duquel les parties affrontées mettent en jeu l’épanchement collectif du sang ; dans sa consistance, c’est une tentative d’une ou de chacune des parties d’imposer par la violence sa propre loi aux autres. Cela me conduit à analyser la crise du Golfe arabo-persique comme la succession de deux guerres : celle par laquelle la dictature irakienne a conquis le territoire du Koweït a commencé avec l’invasion du territoire koweïtien par les armées irakiennes et s’est achevée par leur victoire, l’administration de la dictature koweïtienne ayant quitté le Koweït ; ensuite, celle par laquelle les forces armées casquées de bleu ont reconquis le Koweït et rendu son territoire à la dictature koweïtienne a commencé le jour où le Conseil de sécurité a transformé en blocus de l’Irak l’embargo sous lequel il avait d’abord placé le commerce des Nations unies avec lui. Le blocus fut le premier acte de cette seconde guerre.
- Le présent chapitre expose les rapports de l’embargo à la guerre et de la guerre au blocus, ainsi que ceux qui relient la démocratie à l’embargo d’une part, et à la guerre d’autre part : à tous points de vue, le blocus est bien un acte de guerre ; il en a toutes les caractéristiques, la mise en euvre de la violence collective pour mettre en cause la vie de la population, la loi que le bloqueur prétend imposer à celui qu’il bloque, tout cela exprimant que le rapport de forces s’est substitué au rapport de droit, sans en laisser subsister autre chose que l’injonction du bloqueur faite au bloqué de se soumettre à sa loi. Les conséquences du blocus sont importantes sur le parti bloqué : aussi longtemps qu’il ne cède pas à l’injonction du bloqueur, le bloqué est contraint par le blocus d’organiser ses forces selon ce qui est devenu la seule caractéristique de la situation qui lui est faite : le rapport de forces ; de ce fait, il est conduit dans tous les départements de son organisation sociale à mettre sur l’administration une emphase telle que l’administration étouffe bientôt toute expression populaire et démocratique : dans la structure politique du bloqué, le blocus tend à renforcer l’appareil de violence collective et la centralisation autoritaire de l’administration. L’armée, la police et l’administration centrale de l’état prennent une importance telle que la démocratie est paralysée. Au fond, si la loi du bloqueur est simplement d’imposer que le bloqué abandonne toute démocratie et adopte la dictature pour mode de vie politique, le blocus est un acte de guerre qui peut suffire. Le long blocus imposé à Cuba par les Etats-unis en est un bon exemple : malgré ses déclarations variables, le gouvernement des Etats-Unis impose un blocus à Cuba, et non un embargo : sa volonté d’imposer à Cuba une loi étrangère à la population de l’île est patente depuis le départ du dictateur Battista, et surtout depuis que les biens des sociétés pétrolières états-uniennes ont été nationalisés ; le refus de toute discussion avec Cuba est explicite depuis lors, et le projet de faire cesser toute les relations extérieures économiques et politiques de cette île a été lui aussi formulé de longue date : la tentative d’invasion repoussée dans les combats de la Baie des Cochons n’en fut qu’une confirmation de plus. Ce blocus a obligé Cuba à consacrer à sa défense des ressources importantes qui ont manqué à tous les secteurs civils de l’économie, et un tel manque ne peut pas durer vraiment sans la subsistance dans la vie politique d’une contrainte de quelque importance. Les problèmes que le peuple cubain doit affronter du fait du blocus de l’île ne sont pas seulement économiques ; ce blocus contraint tout aussi directement la vie politique de la société cubaine : par lui, l’administration des USA maintient à Cuba un fort conservatisme de la structure administrative centrale et de l’appareil de violence collective que constituent l’armée et la police.

  • Note d’avril 2007 : les lignes précédentes ont été écrites en 1994 : les informations en ma possession étaient que Cuba subissait depuis trente-cinq ans le poids considérable du blocus états-unien et que son lâchage par les pays membres du camp socialiste était imminent ou déjà commencé ; le peuple cubain allait devoir faire front à un véritable raz-de-marée de nouvelles difficultés : il était clair pour chacun que les capitalistes qui mondialisaient leur système d’exploitation de l’humain, construisaient l’Europe supranationale et gouvernaient les Etats-unis et les autres grands pays capitalistes avaient un grand espoir de voir le socialisme cubain brisé et emporté par ce raz-de-marée ; Cuba ne pouvait pas attendre des Etats-unis d’Amérique un quelconque allègement du blocus ; Cuba ne pouvait attendre de son grand voisin du nord qu’une vague de coups fourrés susceptibles de précipiter la catastrophe.
    - Aujourd’hui, treize ans se sont passés depuis cette aggravation de la situation économique de l’île caraïbe : Cuba est toujours là, et toujours socialiste. Mieux, elle s’offre en point d’appui fiable au développement de mouvements populaires et démocratiques dans toute l’Amérique centrale. Les lignes qui précèdent cette note montrent qu’il y a dix ans, les Etats-unis d’amérique bloquaient Cuba parce que le blocus est un moyen de guerre tout-à-fait approprié pour réduire et pour détruire la démocratie dans le pays bloqué : pour tenir, Cuba devait y faire face avec ses propres moyens, qui sont avant tout ceux du peuple mobilisé ; la résistance opposée au blocus par Cuba et la fermeté de l’appui qu’elle apporte aux mouvements populaires de ses pays voisins sont tout-à-fait remarquables et devront être étudiés : une telle résistance est en tous cas impossible si elle ne se fonde pas sur un ferme engagement populaire ! Nous pouvons déjà poser la question : peut-on obtenir un engagement populaire de cette sorte et de cette ampleur par la contrainte policière ? Nous avons dans l’histoire de notre pays de nombreuses raisons d’en douter très sérieusement !

- L’embargo, lui, est tout-à-fait différent. Son but n’est pas d’imposer à une nation étrangère une certaine loi, mais seulement de retirer à son gouvernement la possibilité de dérober sa responsabilité aux yeux du peuple en la faisant disparaître dans le contexte des relations extérieures. Du fait qu’elle est pleinement maîtresse de son gouvernement, une nation démocratique résiste très bien à la pression que fait peser sur elle un embargo : il lui suffit pour cela de réorganiser son économie pour que la saine exploitation des ressources naturelles de la patrie, qui n’est rien d’autre que le territoire national, procure au peuple les moyens de vivre. Si le gouvernement en place ne sait pas faire cela, le peuple change ses membres et sa structure administrative pour mettre à sa place une équipe capable de mobiliser les ressources humaines que le peuple détient, et qui permettront de faire face. Le contrôle populaire, qui est le premier processus de la démocratie, veillera à ce que nulle misère ne soit acceptée, à ce que la charge de l’embargo soit supportée aussi bien par les chefs que par les exécutants, et par ce moyen, garantira que l’adaptation de l’économie aux conditions créées par l’embargo sera menée à bien, même si pour cela quelques privilèges doivent être révélés et anéantis. Il faut pour cela du temps, beaucoup d’efforts et une confiance dans le peuple encore rarement attestée, mais quoi qu’il en soit, ce sont les atouts de la démocratie, et une dictature n’a pas cette capacité d’adaptation.
- Lors de la crise qui a conduit à la guerre du golfe arabo-persique, l’usage que certains ont fait de la question du délai est bien celui-ci : ils ont spéculé sur l’impatience née de l’inquiétude qu’ils alimentaient eux-même, pour faire de l’impatience collective un masque derrière lequel ils ont caché la différence entre embargo et blocus et créé l’illusion que le blocus serait plus efficace que l’embargo. Ce faisant, ils ont commis une forfaiture : ils ont jeté le monde dans la guerre et empêché que soit élaborée une solution démocratique et pacifique. Il est vrai que les solutions pacifiques et démocratiques demandent toujours du temps : ne serait-ce pas le temps nécessaire à la formation du droit ? La spéculation sur l’impatience s’oppose à la formation du droit et à l’évolution démocratique, et l’expérience montre qu’elle conduit à la guerre. Tout cela est lié, et je dois encore le relier à cette constatation d’une pratique souvent observée par tous ceux qui ont eu à enseigner : celui qui délègue la solution d’un problème à autrui le fait bien souvent parce qu’il ne veut simplement pas consacrer à le résoudre le temps nécessaire. Tout cela est lié, et souvent, la guerre elle-même éclate parce que l’un des partenaires de la crise refuse de consacrer à sa solution le temps que cette solution exigerait !
- Le rapport de la guerre au droit aussi donne lieu à des mystifications d’importance : les propagandes politiques ont présenté la guerre du golfe arabo-persique comme une guerre du droit ; elles ont largement utilisé le concept de sujet du droit international pour justifier l’intervention des armées casquées de bleu, et pour propager la tendance à centraliser les pouvoirs politiques au niveau mondial en organisant le monde sous la forme d’un empire. Mais ce concept de sujet du droit international est trompeur en ce qu’il incite à transposer dès l’abord aux rapports entre états souverains les rapports habituellement attestés entre les personnes. Du fait qu’elle se substitue à l’euvre de raison, une telle transposition pose de multiples questions ; le moins que je puisse dire ici est qu’il serait bien hasardeux de s’engager sur sa validité, et que pour cette raison, il serait criminel de fonder sur elle l’avenir de l’humanité. Fonder sur cette transposition les relations entre états et entre nations, c’est faire obstacle au recours à la raison, c’est nier la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen elle-même, sans jamais avoir rencontré de problème que cette démarche ne puisse pas résoudre ! C’est une puissante raison de la refuser. Je dis que l’idée de transposer aux relations entre états et entre nations les règles qui président aux relations entre les hommes vient naturellement aux personnes qui jouent l’obscurantisme contre la raison, et qui sont habituées à tenir les Droits de l’Homme et du Citoyen pour nuls et non avenus. Les mêmes personnes jugent couramment en cas de guerre que la démocratie peut attendre et qu’il faut la faire attendre : mais faire attendre la démocratie, c’est se priver du moyen concret de chercher et de trouver une solution véritable et durable aux conflits et aux guerres. Faire attendre la démocratie est une forfaiture qui conduit à la guerre, à aggraver la guerre, et qui libère la voie aux génocides les plus divers. Ce sont les dictatures qu’il faut faire attendre, et lorsqu’une dictature meurt d’avoir trop attendu, ce n’est pas un malheur pour l’humanité !
- A la question d’exporter la démocratie, il faut alors répondre : en aucun cas, la démocratie ne peut être exportée, parce qu’il est impossible de créer de l’étranger un lien entre la population d’un territoire donné et une loi énoncée hors de ce territoire. La loi décrit explicitement la relation délibérée entre les femmes et les hommes d’un territoire donné et les ressources que ces femmes et ces hommes trouvent sur ce territoire et d’où ils tirent les moyens et les conditions de leur vie. La démocratie, c’est très exactement le fait que la délibération qui élabore la loi a lieu dans la population du territoire, à son initiative et sous sa propre direction : les champions de la démocratie exportée n’ont jamais expliqué comment y parvenir de l’extérieur, et ils ne le peuvent pas ! S’il est possible de propager dans les populations les plus diverses une démarche qui mette en euvre activement les Droits de l’Homme et du Citoyen, ce n’est certainement pas en suivant leurs conseils ! Non, on n’exporte ni la liberté, ni la démocratie ! Au demeurant, ce sont bien souvent les mêmes qui conçoivent les projets de gouvernement mondial en choisissant pour sujets de leur empire les états, membres ou non de l’Organisation des Nations unies, sans égard aux divers statuts qu’y connaît la démocratie. Leurs tentatives aboutissent logiquement, comme chacun peut s’en rendre compte lui-même, à assujettir ces états au futur empire ; je dis bien : à faire de chacun de ces états un sujet du futur empire mondial. Ce que devient alors la démocratie qui existerait éventuellement auparavant dans ces états, c’est une question qu’ils évitent soigneusement de poser : sans doute est-elle dangereuse pour leurs véritables projets ! Mais cela pose la question fondamentale et essentielle du progrès : pour que l’organisation humaine constitue un progrès, doit-elle consister à assujettir l’être humain, ou à le libérer ? Les conditions concrètes de la paix font que le pacifisme n’a pas d’autre voie que la libération de l’être humain, de chaque femme et de chaque homme. Tout assujettissement de l’homme crée des conflits, donc des dangers de guerre. Tout assujettissement de l’humain limite le recours de chacun à la raison : c’est un carcan qui nie les Droits de l’Homme et du Citoyen, et rend inopérant le principal moyen de solution des conflits. C’est à juste titre que la tradition française née de la Révolution qui s’est déroulée de 1789 à 1794 établit une étroite corrélation entre liberté et démocratie. Je répèterai ici la remarque de Jaurès à propos de la liberté :

  • Donner la liberté aux peuples par la force des armes est une étrange entreprise pleine de chances mauvaises !

- Le chapitre cinq de cet essai montre que le conflit de la pêche au thon dans le golfe de Gascogne pose le problème du rapport qui s’établit entre la laïcité et la règle selon laquelle l’humanité organise la production de ses moyens de vivre : un facteur de ce conflit est la règlementation élaborée par les instances de la Communauté économique européenne et imposée aux pêcheurs par voie d’administration étatique et d’autorité patronale. La question que pose ce conflit à propos de ce facteur est celle de sa laïcité ; conçue, élaborée et décidée hors de la pratique de la pêche maritime, dans un processus excluant toute participation véritable des marins-pêcheurs ; mise en application et imposée aux marins-pêcheurs à partir de l’accord du grand patronat et des instances de coordination du grand capital, par des méthodes administratives et par voie de règlements de police, elle ne relève pas d’une connaissance qui commencerait au travail et dont l’aboutissement serait le progrès du travail lui-même. La règlementation européenne des pêcheries n’est pas d’essence laïque, mais ethnique. Les processus dont elle relève ont traité les producteurs de poisson comme s’ils étaient des sujets, et non pas en citoyens. Rien dans cette règlementation n’évoque la démocratie. La réalité du conflit des pêcheries du golfe de Gascogne met en évidence que le capital lui-même agit dans l’économie de l’Europe comme un facteur belligène, simplement du fait qu’il a imposé aux sociétés de l’Europe qu’il domine de prendre pour mesure de la fatalité la rentabilité financière du capital. Mais y a-t-il eu progrès dans la pêcherie française depuis quinze ans ? Les modifications qui ont affecté les conditions du travail des marins-pêcheurs étaient-elles les seules possibles ? Et dans la mesure où elles seraient de bonnes modifications, ce dont la contrainte qui entrave les marins-pêcheurs français me conduit à douter, étaient-elles les seules bonnes ? Ce qui est sûr, c’est que les marins-pêcheurs français ont été tenus à l’écart de la possibilité de dire ce qu’ils en pensaient eux-même, et de dire comment ils voulaient travailler. Et ce qui s’avère dans le développement du conflit de la pêche au thon du golfe de Gascogne, c’est que le système capitaliste européen des pêcheries crée un danger de guerre par le fait que sa recherche permanente de la rentabilité du capital le conduit à s’opposer à tout progrès de la force de travail.
- Le pacifisme prend donc parti pour le progrès humain des techniques, contre l’enfermement de ce progrès dans un perfectionnement dont le but est d’accroître la rentabilité du capital. Etre pacifiste, c’est entreprendre concrètement de détruire les obstacles de toutes natures qui s’opposent à la vie des femmes et des hommes, qui les empêchent de jouir de leurs droits civiques et humains ; c’est agir ainsi malgré et contre toute idée reçue selon laquelle de tels obstacles seraient fatals ou l’effet de valeurs qui, transcendant l’homme, l’obligeraient à se soumettre au malheur. Le pacifisme, c’est le courage de nier la fatalité et la transcendance du malheur.
- La période au cours de laquelle éclate une guerre est toujours caractérisée par la restriction violente de leurs droits humains et civiques opposée par au moins un gouvernement aux membres d’une ou de plusieurs sociétés humaines. Dans le même temps, la représentation de la situation politique que l’une au moins des parties au conflit tient pour vraie est faite de concepts transcendants, c’est-à-dire de concepts dont la critique est refusée aux membres du peuple, notamment sous le prétexte de l’identité collective. En fait, un noyau se sert de cette représentation pour embrigader les membres d’un groupe, le constituer en partie au conflit, et s’emparer de sa direction en interdisant à ses membres toute critique des divers intérêts en conflit, du conflit lui-même, de la guerre et des actes auxquels la guerre les conduit. Il est constant que les concepts transcendants nient toute conscience des Droits de l’Homme et du Citoyen ; c’est ainsi que leur mise en euvre, ininterrompue dans toute l’Europe depuis le neuf thermidor an deux de la République (27 juillet 1794), a fortement atténué la conscience du mode républicain de vie politique au point de le rendre presque obsolète, de permettre de nommer une forme d’état du nom de république et de nommer du nom de nation des sociétés qui n’en sont pas, leur définition étant ethnique.
- Le conflit d’intérêts se manifeste par une tension qui s’accroît d’autant plus que l’information cesse de circuler d’une partie à l’autre, de personne à personne. C’est la transcendance elle-même des concepts de représentation politique qui initie ce processus de blocage. Elle rend en effet par principe ces représentations inaccessibles au citoyen, constituant de la sorte un domaine d’incompétence du citoyen, ou tout au moins, d’impuissance. Dès la formation du conflit, c’est elle qui s’oppose aux évaluations critiques mutuelles des intérêts en conflit par les personnes membres des différentes parties en cause. Lorsqu’un gouvernement organise son activité selon de telles représentations, il aggrave tous ces blocages et pousse à la guerre le groupe qu’il gouverne : la transcendance des concepts de gouvernement lui réserve toute l’information utile sur le conflit en cours et constitue une raison suffisante pour laquelle il censure l’information rendue accessible au public pour la mettre au service de son action ; toujours au nom de la transcendance des concepts de gouvernement, il dénoncera et poursuivra comme traître tout citoyen qui se met en quête de vérité : en effet, celui qui cherche la vérité doit penser par lui-même, et donc nier la transcendance et critiquer les concepts prétendus transcendants ; la transcendance des concepts de gouvernement est le principe méthodique selon lequel le gouvernement organise la restriction des Droits de l’Homme et du Citoyen jusqu’à les anéantir si rien ne l’arrête avant. La transcendance des concepts de la représentation politique confère une liberté illimitée aux membres du groupe social qui détermine le gouvernement ; en fait, elle les rend proprement irresponsables !

- Telle est la pression qui pèse sur le citoyen tout au long de la période qui précède la guerre, et naturellement aussi après qu’elle a éclaté : là est le grave danger des intégrismes divers, et là aussi, le crime que constitue la guerre. Dans un pays dont le gouvernement a réussi à fonder son pouvoir sur une représentation politique qui transcende l’individu, le vrai courage consiste à revendiquer sa citoyenneté et à militer pour la paix.

    • Quoi ! troubler le soleil glorieux, les rosées,
    • Les parfums, les clartés, le mois de mai si beau,
    • Les fleurs, par l’ouverture affreuse du tombeau !
    • Ah ! fussiez-vous vainqueur, qu’est-ce que la victoire ?
    • Vous aurez le coeur froid, vous aurez l’âme noire.
    • A la fraternité rien ne peut suppléer.

- Victor Hugo, la guerre civile.

Chapitre 7 : Prendre le parti de la paix

- Prendre le parti de la paix est possible au sein des rapports qui unissent et opposent la guerre et la paix. Que sont ces rapports ? Ils se manifestent dans la suite de guerres et de périodes de paix qe vit l’humanité depuis qu’elle a commencé de devenir sédentaire.
- Clausewitz, que je tiens pour le plus grand théoricien de la guerre ayant écrit jusqu’à ce jour, a étudié dans cette suite la naissance de la guerre au sein de la paix et montré que la guerre est un moyen de la politique. La fécondité de son euvre est telle que les deux pages qu’il a écrites sur la guerre du peuple permettent de penser toutes les guérillas qui se sont déroulées depuis, de critiquer les euvres des anciens chefs de guérilla qui ont tenté de produire la théorie de leur action, de montrer que la cause de l’échec de certains d’entre eux est d’avoir cru pouvoir faire de la guérilla le moyen d’inverser le cours de la politique, de forcer le destin en quelque sorte : ils ont échoué parce que le moteur de la politique n’est pas la guerre mais la prise du contrôle sur l’industrie humaine qui reproduit et produit les conditions de survie de l’humanité ; parce que la guerre n’est pas autre chose qu’un moyen d’agir en politique : cette erreur les a conduits directement à l’échec sanglant que leur bravoure ne pouvait ni éviter, ni excuser. La fécondité de l’euvre de Clausewitz est telle qu’elle permet de penser la totalité du déroulement des affrontements qui ont perclus le monde depuis 1936, et notamment toute la guerre froide et toute la course aux armements nucléaires, dénouement compris. Refoulement, endiguement, équilibre de la terreur, aucun des concepts de la guerre figurée ni de la guerre des étoiles n’échappe au mouvement que Clausewitz a conféré à la théorie de la guerre. Je dis que la seule manière de dépasser Clausewitz est de répondre à la seule question qu’il n’a pas posée : comment l’humanité peut-elle maîtriser la guerre au point de s’en passer définitivement ? Seul, le pacifisme peut dépasser Clausewitz.
- Et pour ma part, j’ai trouvé dans le mouvement de pensée et d’action politique tourné tout à la fois vers le respect de l’humain, vers la démocratie, vers la recherche de solutions négociées aux conflits d’intérêts et vers l’application de cette recherche à l’inhibition des processus belligènes, j’ai trouvé dans ce mouvement que Jaurès avait marqué et illustré, auquel il avait si fort contribué, notamment par son projet de loi L’Armée nouvelle, puis par l’effort ininterrompu par lequel il a combattu la marche à la guerre, et que seul son assassinat a pu interrompre, oui, c’est dans cette tradition politique que j’ai trouvé des moments pouvant participer au dépassement de Clausewitz, et j’ai éprouvé un grand bonheur en constatant que les deux coups de pistolet tirés le 31 juillet 1914 au Café du Croissant ne l’avait pas éteinte.
- Qu’est-ce qui unit la guerre et la paix, et qu’est-ce qui les oppose ?
- Ce qui unit la guerre et la paix, c’est d’abord le temps qui passe : les périodes de guerre et de paix de chaque pays sont les moments successifs de leur chronologie. Ce qui les unit, ce sont ensuite les conflits d’intérêts collectifs : en effet, le conflit qui donne lieu à la guerre n’a pas commencé d’exister au moment où la guerre éclate : il s’est noué pendant la période de paix qui a précédé la guerre, et pendant cette période, il a évolué de telle manière que nulle transaction ne peut plus le résoudre : c’est pendant la paix que les intérêts collectifs sont entrés en conflit, puis que les sociétés concernées par eux les ont jugés incompatibles, et c’est alors que la marche à la guerre a commencé. Le conflit d’intérêts qui donne lieu à la guerre constitue un lien qui unit à la guerre la période de paix qui l’a précédée.
- De même, la guerre se termine parce que le conflit qui lui a donné lieu a évolué de telle manière qu’elle ne contribue plus à sa solution. Il peut en être ainsi dans diverses situations : celle par exemple où l’un des partis est vainqueur et impose sa loi aux vaincus ; celle aussi où l’un des partis est dissout et cesse d’être un partenaire des rapports d’intérêts collectifs ; celle encore où aucun des partis en guerre ne peut remporter la victoire, lorsque tous modifient leur représentation de leurs intérêts de telle manière que l’incompatibilité des intérêts cesse,... Quelle qu’elle soit, l’évolution qui met un terme à la guerre constitue un lien entre la guerre et la période de paix qui la suit.
- Tous ces liens imbriquent fortement la guerre dans la paix et la paix dans la guerre ; ils rendent intelligibles les conditions de conduite des intérêts collectifs économiques : leur nature est politique. Cela me conduit maintenant à dire que la guerre et la paix sont deux moments de la vie politique qui se déroule depuis que l’humanité a commencé de se sédentariser. L’unité que constituent ensemble la guerre et la paix est la vie politique.
- Constituant ensemble une unité, guerre et paix s’opposent l’une à l’autre de telle manière qu’elles n’existent pas ensemble : les peuples l’ont si profondément intégré dans leurs mentalités que, bien souvent, l’éclatement d’une guerre s’accompagne d’un changement complet de la morale qui préside aux rapports entre membres des sociétés concernées : il semble que la morale du temps de paix soit rendue caduque par la guerre et remplacée alors par une morale de guerre. Lorsqu’on est en paix, on ne fait pas la guerre ; et lorsqu’on fait la guerre, cela contraint toute vie économique et sociale au point de conférer aux chefs des pouvoirs qu’ils n’auraient jamais eus en temps de paix. Je fais la guerre ! : Clémenceau avait réduit à cette assertion tout le programme qu’il présentait à la Chambre des Députés en novembre 1917 pour devenir chef du gouvernement ; en application de ce programme, il a fait traduire en justice et condamner les pacifistes. La vie politique des sociétés humaines est une unité dont la guerre et la paix sont deux termes contradictoires : elle a la même consistance en temps de guerre et en temps de paix ; elle consiste à diviser le travail de l’humanité pour en répartir les tâches entre les différents acteurs économiques constitués en son sein. Est-ce un moment possible de la vie politique des sociétés concernées que d’appréhender les conflits d’intérêts noués entre tel et tel acteur économique pour les étudier et les dénouer ?
- Ce qui oppose la guerre à la paix, c’est que le processus visant à résoudre l’un des conflits en cours consiste en un affrontement collectif violent, et que son règlement met en jeu l’épanchement collectif du sang humain. C’est cet affrontement collectif violent que nous appelons la guerre, et nous savons de longue expérience que la guerre implique toujours toute la population des pays qu’elle ravage. C’est ce qu’exprime Clausewitz lorsqu’il énonce que la guerre est un moyen de la politique.
- C’est cela aussi qui renvoie le pacifiste dans une nouvelle contradiction : au sein de la vie politique des sociétés humaines, guerre et paix sont deux moments contradictoires, antagoniques, si fortement imbriqués l’un dans l’autre que le choix de l’un contre l’autre est un projet vain : Gloire à la paix et que la paix dure éternellement, c’est une intention louable et qui entraîne facilement l’adhésion populaire ; mais que se passe-t-il si, au sein de cette paix, se noue un conflit insoluble entre intérêts économiques incompatibles ? Il se passe qu’alors cette paix glorieuse et louable engendre la guerre ! Que reste-t-il aux pacifistes ? Leurs yeux pour pleurer, leur langue pour déplorer le triste sort de l’humanité et maudire la fatalité ? Le problème ainsi posé est insoluble et cela aussi est enseigné par une longue expérience.
- Mais rappelons-nous que depuis que l’humanité a commencé de se sédentariser et jusqu’à ce jour, la guerre et la paix constituent ensemble l’unité que nous appelons la vie politique : son déroulement consiste en une suite de guerres et de périodes de paix fortement imbriquées par le fait que la vie politique ne change pas de consistance lorsque guerre et paix se succèdent l’une à l’autre ; cela nous permet de définir autrement le problème du pacifisme : un moment constitutif de la vie politique est le processus d’émergence, de résolution et de dénouement des conflits d’intérêts collectifs. La guerre n’est rien d’autre qu’une des variantes de ce moment : c’est celle au cours de laquelle la résolution et le dénouement du conflit consistent en l’affrontement collectif par lequel l’épanchement collectif du sang des peuples est proposé et, le cas échéant, effectué. Cela rend le pacifisme intelligible et permet de penser un effort pacifiste concret et réaliste : définissons la paix comme un mode de vie politique des sociétés humaines caractérisé par ce qu’il contient des processus capables de résoudre les conflits d’intérêts sans recourir à l’affrontement violent des groupes humains, ni mettre en jeu l’épanchement du sang des peuples.
- Au fond, depuis que l’humanité a commencé de se sédentariser, elle n’a vécu qu’un mode de vie politique : celui au sein duquel le recours à la guerre est ordinaire, celui pour lequel la guerre est un moyen banal de la politique.
- Je dis maintenant que le pacifisme a

  • pour essence de nier la banalité de la guerre comme moyen politique,
  • et pour consistance,
    • au sein de chaque société humaine, sans en excepter aucune, de maintenir les processus politiques nécessaires pour que tous les conflits soient résolus sans recourir à la guerre et de créér de tels processus chaque fois qu’ils manquent ;
    • de créer au sein de chaque conflit le processus qui conduira à son règlement sans recourir à la guerre, et au sein de chaque guerre le processus visant à mettre en valeur concrète les conditions indépendantes de la guerre qui permettent le règlement du conflit.

- Le pacifisme peut-il réussir ?

    • Je veux être ici bas libre, ailleurs responsable,
    • Je suis plus qu’un brin d’herbe et plus qu’un grain de sable ;
    • Je me sens à jamais pensif, ailé, vivant.

Victor Hugo, la légende des siècles.

    • Frère, l’heure folle est passée.
    • Debout, frère ! il est peu séant
    • D’attarder l’oeil de sa pensée
    • A la figure du néant.
    • Viens, nous lirons les livres sombres
    • Des penseurs et des combattants,
    • Pendant que Dieu fera des ombres
    • Et des clartés dans le printemps.
    • Nous scruterons les maux les guerres
    • Et le creux fatal qu’a laissé
    • Le pied tragique de nos pères
    • Dans l’âpre fange du passé.
    • Nous examinerons les songes,
    • l’autel, les korans, les clergés,
    • Les sceptres mêlés aux mensonges,
    • Les dieux mêlés aux préjugés.
    • Molière, au fourbe ôtant sa guimpe,
    • Mina Bossuet comme il put ;
    • Pascal frappa ; Swift à l’Olympe
    • Offrit ce miroir, Lilliput.
    • Nous regarderons sur la terre
    • Ce tas d’erreurs que Beaumarchais,
    • Rabelais, Diderot, Voltaire,
    • Ont remué de leurs crochets.
    • Nous saluerons ces Diogènes
    • De la raison et du bon sens ;
    • Nous entendrons tomber les chaînes
    • Derrière ces divins passants.
    • O France, grâce à ces sceptiques,
    • Tu voyais le fond ; tu trouvais
    • Des ordures sous les portiques
    • Et sous les dogmes des forfaits.
    • Sur l’homme dans l’ignominie,
    • Ils jetaient leur rude gaîté,
    • Sachant que c’est à l’ironie
    • Que commence la liberté.
    • Les railleurs sous leur joug lugubre
    • Consolent les âges de fer ;
    • Leur éclat de rire salubre
    • Déconcerte l’antique enfer.
    • Ils ont fait l’interrogatoire
    • Farouche, à travers le bâillon,
    • Des religions par l’histoire,
    • De la pourpre par le haillon.
    • Leur rouge lanterne nous mène.
    • Ces contemplateurs du pavé,
    • En fouillant la guenille humaine,
    • Cherchaient le peuple, et l’ont trouvé.
    • Ils ont, dans la nuit où nous sommes,
    • Retrouvé la raison, les droits,
    • L’égalité volée aux hommes,
    • En vidant les poches des rois.
    • Ils ont fait, moqueurs nécessaires,
    • Et plus exacts que Mézeray,
    • De la torsion des misères
    • Tomber goutte à goutte le vrai.
    • Ils ont nié la vieille Bible ;
    • Ces guérisseurs, ces factieux
    • Ont fait cette chose terrible :
    • L’ouverture de tous les yeux.
    • Ils ont, sur la cime vermeille
    • Montré l’aurore au genre humain
    • Ils ont été la grande veille
    • Du formidable lendemain.
    • La révolution française
    • C’est le salut, d’horreur mêlé.
    • De la tête de Louis seize,
    • Hélas ! la lumière a coulé.

Victor Hugo, Rupture avec ce qui amoindrit

Chapitre 8 : Sur la banalité de la guerre

- La guerre est banale parce que l’humanité se sédentarise groupe par groupe : chaque groupe pense son rapport au territoire sur lequel il s’installe au moyen des valeurs sur lesquelles il fonde sa conscience collective, c’est-à-dire, dont il se sert pour se déterminer. C’est donc en tant qu’ethnies que les groupes humains se sédentarisent d’abord. Or, pour chaque groupe, ces valeurs constituent une représentation du monde indépendante des représentations des autres groupes. L’importance que chacune de ces représentations accorde à l’imaginaire est telle qu’elles sont incompatibles deux à deux. De ce fait, lorsque les intérêts de deux groupes humains entrent en conflit, qu’ils se disputent une même ressource nécessaire à leur économie, que la tension parvient à mobiliser les représentations du monde de telle manière que ces groupes expriment le conflit qui les oppose au moyen de l’incompatibilité des représentations, alors, la communication de personne à personne par-delà les différences de groupes est rompue, les chefs, qui accèdent aux représentations, acquièrent l’exclusivité de la parole qui détermine l’action, la personne est effacée devant le groupe, le conflit devient un rapport de forces violentes, et la guerre éclate. Il en fut ainsi durant quelque trente mille ans, depuis que l’humanité a commencé de se sédentariser, jusqu’à ce jour ; sauf quelques parenthèses toutes récentes, et d’autant plus importantes. Je dirai quelques mots de la première d’entre elles.
- En fondant sur les droits de l’homme et du citoyen la démarche par laquelle les hommes constituent la société, la Révolution française a introduit la personne humaine dans les rapports entre groupes : de ce fait, elle a rompu avec la banalité de la guerre, et conféré aux armées de la République une mission pacifiste et un élan irrésistible qui les a portées de Valmy à Fleurus. Ce sont les poutchistes du neuf Thermidor an deux (27 juillet 1794) qui ont fermé la parenthèse : ils ont enfermé la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dans une cage qui l’a rendue jusqu’à ce jour illisible aux membres du peuple ; du même coup, ils ont retiré à l’action des armées de la République toute valeur pacifiste et dévoyé l’élan guerrier au service de leurs projets de conquête, dont ils allaient bientôt confier la conduite à Napoléon Bonaparte. La signification de la démarche des droits humains et civiques est profonde : de Valmy à Fleurus, les armées de la République ne combattaient pas pour conquérir des territoires ni des ressources économiques, mais pour détruire l’appareil professionnel que les princes d’Europe mettaient en euvre dans la guerre banale par laquelle ils prétendaient maintenir le droit divin dans le royaume de France ; dans les pays dont les armées de la République chassaient les armées des princes, les soldats-citoyens discutaient politique afin de convaincre les populations de réorganiser leur vie sociale, de la fonder désormais sur l’exercice par chaque membre du peuple de ses droits humains et civiques.
- Par ces discussions de personne à personne, les soldats-citoyens promouvaient la pratique de rapports sociaux aboutissant à résoudre les conflits de tous niveaux au moyen de conventions explicites, écrites chaque fois que c’est nécessaire, que les personnes participant au conflit rédigent en exerçant pleinement leurs droits humains et civiques, s’interdisant seulement d’attenter directement ou indirectement aux droits humains et civiques de quiconque. Le développement de cette pratique est de nature à transformer les personnes qui y participent : elles cessent d’être des sujets pour devenir des citoyens ; il est aussi de nature à rendre ces populations de citoyens capables d’appréhender et de maîtriser des rapports sociaux toujours plus complexes ; la réticence profonde des citoyens devant le recours à la guerre pour résoudre les conflits qui les concernent s’en est accrue très logiquement. Le progrès de cette pratique civile de la vie sociale et économique a mis en doute la légitimité de la conquête territoriale, au point qu’il a d’abord fallu un Bonaparte pour conduire la conquête de l’Europe ; qu’ensuite, les bourgeoisies ont du justifier les expansions coloniales au moyen de systèmes philosophiques, tel celui qui fait de l’exploitation coloniale des ressources naturelles, de leur extraction et de leur exportation systématiquement immédiate vers les métropoles une expropriation pour cause d’intérêt général à toute l’humanité (rien de moins !), qu’elles faisaient enseigner dans les lycées.
- Pour conquérir des territoires et mettre la main sur les ressources économiques, il fallait cesser de propager la démarche des Droits humains et civiques : cette raison a déterminé les poutchistes de Thermidor lorsqu’ils ont mis un terme à l’intervention civique des soldats-citoyens des armées de la République. La guerre révolutionnaire et pacifiste des armées de la République et de leurs soldats-citoyens a ainsi été enfermée le neuf thermidor de l’an deux de la République (27 juillet 1794) dans une parenthèse de l’histoire. Cette parenthèse contient une nouveauté extrêmement importante : pour la première fois, des gens simples intervenaient dans le domaine jusque-là réservé aux princes, rois et empereurs : la souveraineté. Ce faisant, ils condamnaient la guerre à disparaître de la vie politique, et produisaient une organisation militaire dont nul gouvernement ne pouvait faire un instrument de politique quotidienne : la conscription. Le moyen de cette intervention était simplement la mise en valeur par les membres du peuple de leurs droits humains et civiques. Dans des circonstances diverses, dans divers pays et selon des modalités particulières, d’autres parenthèses ont parsemé de plus en plus fréquemment l’histoire des deux siècles qui ont suivi. Tous ces évènements ont mis en doute la légitimité de la conquête de territoires étrangers, qui fonde la banalité de la guerre ; dans chaque cas, le doute résulte d’un progrès plus ou moins explicite de la revendication populaire des Droits de l’Homme et du Citoyen. Même si toutes ont été refermées par une réaction étatiste ou bourgeoise, chacune de ces parenthèses me confirme que l’humanité est en train de produire une valeur nouvelle, qui conduit en tout premier lieu les femmes et les hommes à constituer leurs sociétés au moyen de la démarche des Droits humains et civiques, aussi bien pour en définir les structures politiques que pour régler l’application de l’industrie humaine aux ressources naturelles de l’économie. Cette valeur projette ainsi la personne de chaque femme et de chaque homme au sein des rapports établis entre les différents acteurs de la souveraineté, en lui donnant compétence pour en prendre connaissance et pour agir sur eux, c’est-à-dire pour y créer des rapports civils et devenir ainsi collectivement le souverain. En somme, cette valeur conduit l’humanité à civiliser la souveraineté.
- Car la souveraineté ethnique, que l’humanité a produite en se sédentarisant, n’admet que la guerre comme moyen de critique et d’évaluation des rapports entre souverains. Entre 1789 et 1794, la Révolution française soumettait la souveraineté à la critique populaire ; elle l’intégrait ainsi au domaine sur lequel s’exerce la citoyenneté. Cette nouveauté fut le premier effort de l’humanité pour civiliser la souveraineté. Civiliser la souveraineté, c’est soumettre les rapports de souveraineté à la critique populaire. La souveraineté civile consistera en ce que chaque citoyenne et chaque citoyen participe et contribue à la régulation des rapports de souveraineté. Civiliser la souveraineté, c’est la transformer pour qu’elle cesse d’être ethnique et devienne nationale. La paix, ce sera la souveraineté civilisée. Etre pacifiste, c’est donc s’efforcer de civiliser la souveraineté. Etre pacifiste, c’est rendre la souveraineté au citoyen, et veiller à ce que la citoyenneté ne lui échappe jamais.

Je t’aime, avec ton oeil candide et ton air mâle,

Ton fichu de siamoise et ton cou brun de hâle,

Avec ton rire et ta gaîté,

Entre la Liberté, reine aux fières prunelles,

Et la Fraternité, doux ange ouvrant ses ailes,

Ma paysanne Egalité !

Victor Hugo, Dernière gerbe.

chapitre 9 : Constituer le pacifisme

- Il s’agit de constituer le mouvement populaire qui inscrira la paix dans l’essence de l’humanité. La tradition de revendication populaire qui a prolongé la Révolution française en inscrivant un mouvement progressiste au plus profond de la société française est faite de nombreux exemples de mouvements populaires. Prenant leur expérience en compte dans mon raisonnement, je dis que le pacifisme peut se constituer en un mouvement de citoyennes et de citoyens qui font usage de l’ensemble de leurs droits humains et civiques, et notamment de leur droit de s’associer, de leur droit de connaître, de juger de la vie politique, et de leur droit de s’exprimer librement, pour prendre le parti de la paix dans la vie des nations, c’est-à-dire pour interdire le recours à la guerre, ou le cas échéant, pour interdire que se prolongent les guerres en cours.
- Pour constituer le pacifisme, les hommes et les femmes ont besoin de mettre en euvre leur droit d’association : l’individu isolé ne peut rien contre la guerre parce qu’elle le transcende. C’est en en prenant collectivement le parti de la paix que les citoyens peuvent espérer interdire réellement le recours à la guerre ; c’est-à-dire : c’est s’ils amplifient l’effet pacifiste de leurs millions de prises de parti civiques en les rendant cohérentes. Constituer concrètement le pacifisme, c’est multiplier les comités de paix, les comités pacifistes où se réunissent librement et volontairement les citoyennes et les citoyens qui prennent le parti de la paix, et faire que ces comités communiquent entre eux librement et intensément, sans égard aux frontières des états, ni aux définitions des parties dont le conflit se transforme en guerre.
- Pour constituer le pacifisme, ils ont aussi besoin de mettre en euvre leur droit de connaître et de juger de la vie politique : en effet, le pacifisme ne peut produire ses effets que s’il est une action de libres citoyennes et citoyens, et l’homme libre réfléchit toujours avant d’agir.
- Rassembler les informations dont chacun peut disposer sur les conflits qui se nouent, s’organiser pour aller s’il le faut chercher l’information que les va-t-en-guerre cachent aux citoyens, en délibérer pour critiquer ces informations, afin de faire la part de la laïcité, où les lois de la nature sont contraignantes, et celle de l’ethnicité, que nous voulons libre mais qui est essentiellement dominée par le passé des sociétés, ce qui me conduit à récuser toute contrainte qui en émane, puis mettre en évidence les conditions de ces conflits qui limitent les droits humains et civiques des personnes, ou qui les réduisent à néant, tout cela est nécessaire au pacifisme ; c’est un processus long et contradictoire, et pour lequel l’effort collectif des pacifistes est indispensable : certes, cet effort part de l’engagement personnel des pacifistes, mais pour qu’il aboutisse à une véritable connaissance des conflits, il faut que les pacifistes confrontent mutuellement les résultats de leurs efforts personnels, jusqu’à en obtenir une représentation cohérente, jusqu’à former sur chaque conflit une opinion laïque.
- Pour constituer le pacifisme, les femmes et les hommes ont encore besoin de mettre en euvre leur droit de s’exprimer librement afin que leur opinion, ainsi que la démarche critique par laquelle ils l’auront formée, parvienne au public, s’y confronte aux nébuleuses idéologiques d’essence ethnique qui sont la substance des fonds de commerce des va-t-en-guerre de tout bord ; il faut en effet que les pacifistes prennent le parti de mettre en valeur dans le peuple leur opinion, à laquelle la laïcité donne une franche clarté et une assurance ferme, afin que la démocratie décide la paix chaque fois qu’un conflit crée un danger de guerre.
- Tu le vois, cher lecteur, je peux concevoir le pacifisme comme un mouvement populaire de revendication des droits humains et civiques pour chaque femme et pour chaque homme habitant notre terre, un mouvement qui produit et reproduit lui-même les critères et les méthodes de sa pensée et de son action indépendamment de toute valeur ethnique. Je pense que le pacifisme peut durer et produire son effet s’il est et reste indépendant de toute religion, de toute langue, de tout système philosophique, de tout gouvernement, de toute filiation traditionnelle, notamment de celle dite par le sang, de toute adhésion à une personne, à sa mémoire ou à son euvre. Oui, le pacifisme doit veiller jalousement à son indépendance. En particulier, il doit rester indépendant de tout gouvernement qui serait formé et porté au pouvoir par un mouvement pacifiste de la société, même si ce gouvernement prétend être pacifiste. Le pacifisme ne peut dépendre que de l’humanité elle-même. Tout militant progressiste mesure tout à la fois la rationalité et la difficulté de cette tâche.
- Mais qui pourrait résoudre en un tournemain une contradiction qui participe à l’essence de la vie politique depuis trente mille ans ? Par contre, je crois trouver dans l’actualité politique des raisons de penser que le pacifisme l’emportera, et que la guerre sera bientôt bannie : j’ai rencontré ces raisons au cours de la recherche exposée dans les chapitres précédents. De quoi s’agit-il en effet ? Il s’agit de faire en sorte que le mouvement populaire en finisse avec la guerre, banale depuis que l’humanité a commencé de se sédentariser. Les principaux obstacles qui s’y opposent sont, sur le plan moral, la transcendance des valeurs ethniques, et sur le plan social, l’ethnocratie, c’est-à-dire la domination qu’une caste étend sur toute la société par la manipulation des valeurs ethniques. Le mouvement populaire pacifiste rencontrera l’opposition active des castes ethnocratiques dans tous les pays qu’elles dominent, c’est-à-dire à peu près partout dans le monde.
- Ces castes dominent en contrôlant les gouvernements, mais pas seulement : elles détiennent les moyens de faire varier le contenu concret des valeurs ethniques dominantes de telle manière que les comportements sociaux et individuels seront influencés dans un sens qui renforcera leur domination, en termes de profit comme en termes de pouvoir. Tout autant qu’elles contrôlent les gouvernements, elles utilisent des voies non-gouvernementales du pouvoir exercé sur les peuples dont l’efficacité, attestée tout au long de l’histoire, me conduit à dire que les gouvernements des sociétés humaines ont en général deux visages et transmettent leurs directives par deux voies : l’un de ces visages est celui des collèges ministériels dont dépendent les administrations ; l’autre est beaucoup moins visible aux membres du peuple ; ce sont des groupes de personnes qui produisent des opinions et jugements sur les évènements, qui les propagent dans le public par des moyens divers pour en faire ce que l’on appelle en France l’opinion publique, en veillant jalousement à ce que sa structure conduise le peuple à agir dans le sens des intérêts de la caste, même lorsqu’il semblerait à l’observateur naïf que ces intérêts s’opposent au développement de la liberté humaine. Ce second visage des gouvernements humains a longtemps été assumé par les religions, et c’est cette tradition qui fonde les entreprises intégristes observables dans à peu près toutes les grandes religions du monde, de l’orthodoxe à la catholique en passant par la musulmane, la protestante, la juive et l’hindoue. Ce second visage des gouvernements se manifeste encore en France, quoique le mouvement populaire y ait obtenu l’inscription de la laïcité dans la constitution : c’est ce qui pousse périodiquement les ministres des gouvernements français à subvertir la laïcité pour en faire une valeur dont ils puissent se servir, et donc à appeler du nom de laïcité une chose par laquelle ils pourraient étendre aux consciences le pouvoir qu’ils exercent sur les citoyens : mais cette chose n’a rien à voir avec la laïcité : au contraire, elle a toutes les propriétés d’une nouvelle religion du pouvoir !
- Ce qui maintient la domination de ces castes n’est pas en évidence dans les sociétés humaines. C’est une fonction économique qui articule les circuits d’échanges sans y intervenir directement. Des économistes ont étudié cette fonction et l’ont identifiée : c’est la régulation de la propriété, et la domination de caste est produite par l’exercice ainsi régulé de la propriété des moyens de production, sans lesquels aucune économie humaine n’existerait. Nul ne peut mettre en valeur une ressource de l’économie humaine, c’est-à-dire exercer son droit humain et civique de participer au travail, sans s’être plié à la discipline qu’impose ce système de régulation. Aujourd’hui par exemple, ce système permet à la caste qui domine la France d’interdire à l’agriculture française l’accès à une part importante de la terre de France, qui est pourtant sa ressource, et de plus, elle interdit aux citoyens français de discuter de cet oukaze. Il devient alors clair que la violence qui existe dans les sociétés humaines prend naissance dans les dominations de ces castes ethnocratiques, dans l’essence même de l’ethnocratie. Le rapport de l’ethnocratie au peuple est d’essence violente : il tend à établir la domination de la caste sur l’être humain dans deux domaines : dans le domaine économique, c’est l’exploitation de la force de travail par la caste dominante, et cela fait d’elle une classe exploiteuse ; dans le domaine politique, c’est l’assujettissement en vue duquel le pouvoir politique tente de nier les droits civiques de la personne, et de réduire ses droits humains à la seule survie conditionnelle.
- La représentation du monde qui fonde une ethnocratie est exclusive et incompatible avec toute autre représentation du monde : par elle, une ethnocratie nie toute autre société jusqu’à la combattre ordinairement et banalement par les armes. Le rapport de l’ethnocratie aux sociétés voisines est banalement violent. De ce rapport banalement violent naît aujourd’hui un danger mortel pour toute l’humanité : parce qu’elle est banale, la guerre peut devenir permanente et alors, elle éteindra l’humanité elle-même. Mais il y a plus : par sa représentation du monde, toute ethnocratie s’oppose aux représentations que construit la science, qui commence par jeter le doute sur les idées reçues, qui continue par observer la matière, et qui avance en vérifiant chacune de ses assertions par l’expérience réelle faite sur la matière. La violence de l’ethnocratie l’oppose à tout progrès de la connaissance scientifique, et de ce fait, toute ethnocratie contraint le progrès des modes de production jusqu’à établir avec la nature elle-même un rapport violent dont seul le besoin de durer peut conduire à atténuer la violence. De là aussi procède un danger mortel pour l’humanité : la violence exercée sur la nature peut stériliser ou empoisonner les processus qui alimentent l’humanité jusqu’à détruire les conditions de sa survie.
- Dans le domaine social, l’injustice caractéristique de l’ethnocratie et la violence du rapport de la caste au peuple sont en raison directe l’une de l’autre, et d’ailleurs directement liées. C’est avec cette injustice que le pacifisme prétend en finir, et c’est dans ce but qu’il lui faut inscrire dans son projet la civilisation des souverainetés, c’est-à-dire le passage définitif des souverainetés ethniques aux souverainetés nationales. Aujourd’hui, cette injustice règne à peu près partout à la surface de notre Terre : le grand nombre de ses victimes est une puissante raison d’espérer que le pacifisme réussira et bannira la guerre : quelle ethnocratie, quelle caste privilégiée, même dominant le monde entier, pourrait-elle résister à un mouvement de revendication populaire qui unirait toutes les victimes de l’injustice universelle ?
- Je dis qu’il s’agit de transformer partout les souverainetés pour qu’elles cessent d’être ethniques et qu’elles deviennent nationales : en effet, aucune des souverainetés qui se partagent aujourd’hui le monde n’est nationale. Même la souveraineté française, pourtant nationale le premier vendémiaire de l’an un de la République, a cessé de l’être le neuf thermidor de l’an deux. Depuis cette date et jusqu’à ce jour, il est interdit au citoyen français, comme à tous les autres habitants de la planète, d’agir dans le domaine de la souveraineté : cet interdit est caractéristique des souverainetés ethniques. Pour les pacifistes, il s’agit de rendre dans le monde entier la souveraineté au citoyen et de laïciser les rapports qui la constituent, afin d’éliminer le risque de rupture des relations qui est le premier pas de la marche à la guerre. Ce sera un changement profond des règles du jeu politique mondial, qui maintiendra les processus de règlement des conflits hors de la mise en jeu de l’épanchement du sang des peuples : les citoyens du monde entier y parviendront s’ils interviennent dans les rapports de souveraineté et dans les guerres de façon à ouvrir lorsqu’il n’existe pas, et dans tous les cas à maintenir, le colloque des citoyens sur l’objet de chaque conflit. Le moyen qu’ils ont de le faire, c’est la mise en euvre de leurs droits humains et civiques, et d’abord, de leur droit de connaître, de s’associer et de s’exprimer ; ceux qui agissent par ces moyens ne portent aucune atteinte aux droits humains et civiques d’autres personnes : cela fait que l’action des pacifistes ainsi conçue est légitime. C’est en vérité la guerre et la marche à la guerre qui sont illégitimes : c’est dès le début de la marche à la guerre que l’ethnocratie viole les droits humains et civiques, et c’est cette violation qui fait de la marche à la guerre et de la guerre deux actes illégitimes.
- L’ethnocratie crée le danger de guerre en donnant aux souverainetés qui se partagent le monde aujourd’hui leur essence ethnique. Faut-il interdire les valeurs ethniques ? Non, bien sûr, car l’humanité ne cesse jamais d’en produire ! Mais alors, comment établir le rapport des valeurs ethniques à la liberté ?
- S’agissant des religions, il est constant dans l’histoire de tous les états confessionnels et multiconfessionnels que, lorsque la religion produit les institutions du pouvoir d’état, elle met ses propres institutions, sa hiérarchie, ses prêtres au service de l’état, et que de ce fait, le croyant perd sa liberté de croire. Il en est de même pour les autres valeurs ethniques, et je ne citerai que la plus profonde : l’histoire atteste déjà que lorsqu’une langue humaine est devenue le moyen du pouvoir proprement dit, elle s’appauvrit considérablement ; et maintes observations contemporaines des langues anglaise, française et russe confirment cet appauvrissement dans tous les cas où une langue est devenue le support de relations impériales.
- L’humain n’est pas libre de vivre son ethnicité lorsque l’état exerce le pouvoir au moyen d’une valeur ethnique. La violence de l’ethnocratie procède des valeurs ethniques mises au service de l’état, et en même temps, elle s’exerce sur ces mêmes valeurs ethniques.
- Par contre, lorsque la souveraineté est nationale, les relations dont elle est faite sont civiles, c’est-à-dire qu’elles sont délibérées de citoyen à citoyen et que les droits humains et civiques des personnes y sont investis. Les valeurs ethniques peuvent alors cesser de produire des contraintes sociales : au bout de la réalisation de cette logique, toute contrainte organisée par la loi humaine trouve son origine dans les lois naturelles qu’étudient la géologie, la biologie, la physique, la chimie et l’astronomie, et ne devient une contrainte que dans la mesure essentielle où l’humanité existe en reproduisant et en produisant les conditions de sa survie. Lorsque la souveraineté est nationale, c’est-à-dire lorsqu’elle fait partie du champ d’activité du citoyen, lorsque les relations dont elle est faite sont civiles et établies en laïcité, alors le champ de la liberté humaine s’étend à toutes les valeurs ethniques.
- Pour y parvenir, une révolution est nécessaire : cette révolution peut porter le nom de révolution démocratique mondiale. Par son contenu de principes, elle sera très analogue à la révolution démocratique athénienne, par laquelle la société antique de la cité grecque d’Athènes a produit la démocratie : aujourd’hui comme autrefois en effet, il s’agit de réorganiser les principes selon lesquels les peuples entretiennent leurs relations mutuelles, en déplaçant la base de ces principes de l’ethnicité à la laïcité. Dans l’Attique de l’antiquité, la base laïque était le dème (le Démos), c’est-à-dire le lieu de la vie économique du peuple. Aujourd’hui, la base laïque de cette réorganisation n’est pas encore définie partout, mais sa définition consistera en un rapport reliant le travail humain au territoire où il puise sa ressource, dont le dème préfigure assez bien l’institution locale, et que la Révolution française avait institué dans la commune.
- La grande différence de la révolution démocratique mondiale à venir avec la révolution démocratique athénienne est que cette dernière a maintenu la soumission des femmes et l’esclavage, alors qu’aujourd’hui, une telle révolution est impensable sans l’intervention populaire qui visera à mettre un terme à toutes les inégalités en droits : au cours de la révolution démocratique mondiale à venir, toute persistance d’une infériorité personnelle en droits humains et civiques prouvera que la révolution n’est pas accomplie.
- Il faut ici remarquer que la pertinence des concepts de laïcité, de démicité et d’ethnicité inventés voici 2500 ans par les Grecs de l’Attique n’est pas éteinte : ils contribuent encore au progrès de la connaissance de l’humanité par elle-même ; ils y contribueront encore bien plus au cours de la prochaine révo­lution démocratique mondiale. Pour cette raison, je pense que la laïcité, la démicité et l’ethnicité sont des concepts proches de l’essence de l’Humanité.

    • Jacobin-la-Méanne, alias Martin Sans-Culottes, le deuxième tridi de thermidor an 205, jour de l’abricot ; (Saint-Martin-la Méanne, le 31 juillet 1997, jour de saint Ignace de Loyola).

Nous chasserons la guerre et le meurtre à coups d’aile,

Et cette frémissante et candide hirondelle

Qui vole vers l’éternité

L’espérance, adoptant notre maison amie,

Viendra faire son nid dans la gueule endormie

Du vieux monstre Fatalité.

Victor Hugo, la légende des siècles

Je connais tous les lieux où la colombe loge

Et le plus naturel est la tête de l’homme

L’amour de la justice et de la liberté

A produit un fruit merveilleux

Un fruit qui ne se gâte point

Car il a le goût du bonheur.

...

L’homme en proie à la paix se couronne d’espoir

L’homme en proie à la paix a toujours un sourire

Après tous les combats pour qui le lui demande.

...

Vaincre s’appuie sur la fraternité.

...

Chacun sera vainqueur.

Paul Eluard

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