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Pour être communiste, sortir de l’illusion

et reprendre la démarche à la fois scientifique et socialiste du communisme

lundi 10 septembre 2007, par Jean-Pierre Combe

- La préparation du congrès que va tenir le PCF au mois de décembre 2007 dépasse singulièrement les seuls membres de ce parti : la question du nom du PCF est en effet posée, tant par les nombreux membres de sa direction qui veulent abandonner le nom de communiste que par la secrétaire nationale qui, du bout des lèvres, dit qu’elle préfèrerait le conserver tout en se déclarant prête à accepter ce changement.
- Or, ce débat touche au sens même du mot communiste : il concerne donc tous les communistes, qu’ils adhèrent ou non au PCF, et nous savons qu’il y a davantage de communistes hors du PCF que dans le PCF.

- C’est pourquoi le discours aux militants tenu par la secrétaire nationale du PCF le 31 août 2007 lors du rendez-vous national de la vignette attirera l’attention de tous les communistes, et c’est pourquoi moi qui suis communiste, j’interviens dans ce débat.
- Le propos de Marie-George Buffet porte sur quelques points d’importance particulière :

Le dépassement du capitalisme

- Depuis une quinzaine d’années, le PCF avance le dépassement du capitalisme dans son argumentation comme un concept, mais sans l’avoir jamais défini. La secrétaire nationale n’en donne toujours aucune définition : le PCF emploie ces mots sans leur associer de sens concret dont ses militants puissent se servir dans les luttes où ils sont impliqués quotidiennement.
- Que pouvons-nous comprendre lorsque nous les entendons ?
- « Dépasser le capitalisme » est une image qui évoque un course de vitesse : mais confondre cette image avec la réalité de nos vies serait pure folie : donc, le dépassement du capitalisme est, au mieux, une métaphore.
- Lorsque la direction du PCF inscrivit pour la première fois cette métaphore dans un texte du parti, de nombreux militants dont j’étais ont aussitôt demandé quel rapport concret elle avait avec la réalité, et pour quelle raison la direction nous demandait de lui faire place en cessant de revendiquer l’abolition du capitalisme. Certains militants ont cherché comment il serait possible à des révolutionnaires d’interpréter cette métaphore sans se renier ; mais la direction du parti n’a jamais donné la moindre réponse à ces questions.
- En vérité, la direction du PCF, qui préparait la mutation, a imposé aux membres du PCF de cesser de revendiquer l’abolition du capitalisme et de se contenter de prôner son dépassement. Elle a donc substitué une métaphore vide de sens à la revendication politique concrète essentielle au communisme. A peu de semaines de là, nous l’avons vue substituer la visée communiste à l’objectif concret de socialiser les entreprises capitalistes de l’industrie, du commerce, de la finance et de l’agronomie.

La gauche et la droite

- Ce sont les éléments d’une métaphore entrée depuis un demi-siècle dans l’usage journalistique, et que depuis lors, le PCF a progressivement admis dans son propre discours. La métaphore fait de l’image de la session parlementaire, telle que la voit le président de séance, une représentation de la vie politique.
- Mais cette image, est-elle une représentation conforme de la vie politique réelle ? Certainement pas : il y manque en effet le mouvement essentiel de la vie politique : la lutte des classes. C’est pourquoi les communistes se sont toujours efforcés de résister à la facilité d’en user eux-mêmes.
- Il manque d’abord à cette métaphore la lutte économique des classes : c’est l’affrontement qui oppose la bourgeoisie, avide de prélever toujours plus de profit sur les biens et richesses que produit le travail, aux travailleurs, qui, au moyen du travail de leurs mains et de l’application de leur intelligence, produisent tous les biens et richesses, et qui doivent encore lutter âprement contre le prélèvement du profit pour porter leur salaire au niveau nécessaire à leur vie de chaque jour.
- Il manque ensuite à cette métaphore la lutte politique des classes : elle confronte la direction bourgeoise de l’économie, dont le seul objet est que la bourgeoisie s’approprie le profit maximal, avec le mouvement des travailleurs, dont la bourgeoisie rogne sans cesse les salaires en s’appropriant le profit ; dans la lutte politique des classes, la bourgeoisie se sert de l’appareil d’état pour assurer, garantir, maintenir et perfectionner le prélèvement du profit ; donc, les travailleurs ne peuvent espérer s’assurer un salaire durablement juste que s’ils font cesser la direction bourgeoise de l’économie en démantelant l’état capitaliste, qui est l’état de la bourgeoisie.
- A partir de 1920, les travailleurs de France ont formé, au sein de la classe ouvrière, un puissant parti communiste grâce auquel ils ont entrepris de disputer aux capitalistes la direction de l’économie : en 1936, puis de 1944 à 1947, enfin en mai et juin 1968, ils ont fait trembler l’édifice de l’exploitation capitaliste sur ses bases.
- Mais la dérive social-démocrate qui s’est emparée du PCF a privé les travailleurs de l’outil nécessaire pour poursuivre cette lutte politique, dont le développement était seul capable de chasser du gouvernement les hommes du grand capital et des trusts, et de donner à notre pays les lois démocratiques qui auraient privé ces hommes de leur pouvoir politique en confisquant leurs entreprises industrielles, commerciales, financières et agraires, en les remettant à la nation et en les soumettant à une propriété sociale dont l’exercice sera laïc, collectif et démocratique !
- La mutation du PCF a fait que ce parti a renoncé à prendre en considération la lutte des classes, a renoncé à prendre le parti ouvrier dans la lutte des classes, a même cessé de dénoncer la malfaisante dictature à laquelle la bourgeoisie soumet la France comme tous les pays qu’elle domine.

Le PCF et la société

- Marie-George Buffet, qui n’est qu’un des dirigeants mutants du PCF, ne pense ce parti qu’encadré par « la gauche », et le place aux côtés des parents d’élèves ; pour elle, ce parti n’a qu’à être utile face aux injustices. Elle lui assigne les tâches de reconstruire la gauche et de construire un avenir à la visée communiste. Elle exige que ses militants acceptent de dire que le PCF a compté mais que son image renvoie au passé.
- Elle s’efforce de surmonter les effets de l’échec du socialisme dit réel sans donner le moindre commencement d’analyse ni du « socialisme dit réel » ni de ses échecs, et d’ailleurs, le PCF, même alors qu’il était possible et souhaitable de poser les premières questions et les premiers jalons d’une telle analyse, ne l’a jamais amorcée.
- Ce que propose Marie-George Buffet, c’est de donner à voir le projet que dessinent programme et propositions du PCF. Le caractère essentiellement utopiste de cette démarche ne lui échappe pas : elle essaie de le faire passer en disant qu’il s’agit de rendre l’utopie palpable. Donc, elle propose aux militants du PCF de s’engager dans une politique utopiste ; elle cherche à inventer un ciment idéologique et des perspectives d’avenir qui pourraient devenir le socle de nouvelles solidarités de classe : ayant abandonné la démarche à la fois socialiste et scientifique des communistes, dont Marx et Engels ont commencé la théorie, elle entraine son parti dans ses propres illusions.
- Marx et Engels montraient dès 1848, dans le Manifeste du Parti communiste, que les démarches utopistes sont illusoires, et que la seule démarche ouverte aux communistes consiste dans l’étude concrète du monde réel aboutissant à agir réellement dans la réalité : c’est la démarche scientifique ; un communiste qui adopte une démarche utopiste cesse d’être communiste. Le socialisme scientifique montre que la défense des salaires des travailleurs et la lutte contre l’exploitation conduisent les exploités à s’unir contre les classes qui prélèvent, sous une forme ou sous une autre, leur richesse sur le produit du travail : défense des salaires des travailleurs et lutte contre l’exploitation sont les deux mouvements fondateurs de la solidarité de classe des exploités. L’abolition du capitalisme ne peut résulter que de la socialisation des entreprises possédées à titre privé par des capitalistes, par leurs sociétés et par leurs trusts ; c’est l’abolition du capitalisme qui mettra fin au prélèvement du profit, qui mettra fin à l’exploitation capitaliste, et qui nécessitera que les humains réorganisent la société en la fondant sur la propriété sociale des moyens de production et d’échange : ainsi réorganisée, la société méritera d’être qualifiée de socialiste ; la perspective de l’action pour laquelle les exploités peuvent et doivent se mobiliser n’est pas autre chose que l’abolition du capitalisme.
- Les mutants qui dirigent le PCF ne sont pas communistes.

L’action du PCF

- Pour Marie-George Buffet, le PCF est un corps constitué hors du peuple et que le peuple utilise comme un instrument destiné à relayer les attentes et revendications populaires ; dans ce cadre, elle assigne aux militants du PCF la tâche de convaincre les salariés victimes des fermetures d’usines qu’un gouvernement et que l’Europe ont les marges de manœuvre nécessaires pour contrer la mondialisation et la course au profit capitalistes, ce qui permettrait au PCF, s’il parvenait au pouvoir, de mener une politique de justice sociale et d’efficacité économique et écologique.
- En développant cette conception instrumentale et utilitaire du PCF, Marie-George Buffet ne fait que le réduire à un appareil et condamne sa direction à quémander des idées dans le public en promettant de s’y conformer : pour elle, le PCF est devenu un parti sans idées !
- Mais avant de muter, comment le parti communiste français agissait-il ?
- La conception du parti qui présidait à la décision prise en congrès en décembre 1920 à Tours, et qui permit au jeune parti communiste de mettre fin aux errements de ses premières directions, définissait l’action communiste comme une action de masse réfléchie : ses militants étaient des travailleurs agissant comme tels pour leurs revendications, en entraînant avec eux le plus grand nombre possible d’autres travailleurs, sans jamais leur laisser ignorer l’objectif d’exproprier capitalistes et trusts ; c’est aussi l’ensemble des militants communistes qui, tout en agissant, critiquaient leur propre action, la justesse des revendications formulées, l’opportunité des mots d’ordre, la qualité de la mobilisation, les réactions des autorités, celles de la bourgeoisie et tout particulièrement celles du patronat capitaliste : l’action était conduite et éventuellement corrigée au moyen de cette critique, et c’est ainsi qu’elle progressait. Car l’élaboration de la politique du PCF commençait par cette critique, faite en cellules par les militants eux-mêmes, et toute l’activité des sections, des rayons ( fédérations ) et de l’organisation centrale avait pour but de mettre chacun de ses membres à même de mieux intervenir dans les prochaines luttes économiques et politiques, même lorsque la répression l’isolerait de l’organisation communiste.
- En vérité, le parti communiste n’a pas été formé pour être un instrument, un appareil extérieurs au peuple travailleur, mais pour être un mouvement populaire d’organisation en vue de la lutte économique et politique, et cela supposait que le parti veille avec le plus grand soin au progrès de la conscience de chacun de ses membres.
- C’est ce qui lui a permis d’affronter avec honneur les circonstances extrêmes de la guerre antifasciste, qui n’ont laissé au PCF aucune trêve de 1936 à mai 1945.
- Le fait est que la mutation du PCF n’a pas été préparée par une telle discussion critique, au contraire : ce fut une décision amenée très discrètement, et qui fut formellement adoptée par un congrès soigneusement ficelé. Ce qui a préparé et rendu possible cette décision, c’est le long processus commencé dans la deuxième moitié du vingtième siècle, qui a progressivement affaibli la reproduction du mode d’action de masse réfléchie propre au parti communiste. Ce processus s’est accéléré après la fin du mouvement de mai et juin 1968, chassant du parti de nombreux communistes et portant préjudice à l’autonomie de pensée des membres du parti : au bout de quelques années de ce processus accéléré, les conditions sont devenues propices pour que la mutation mette fin au communisme du PCF et le réduise à n’être plus qu’un instrument.

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