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Pour l’unité des communistes

L’unité de tous les communistes est possible si tous les communistes rompent sans aucune ambigüité avec le réformisme.

Lettre ouverte à un communiste qui croit devoir suivre la direction réformiste du PCF

vendredi 23 mai 2008, par Jean-Pierre Combe

- Cher camarade,
- Depuis maintenant un demi-siècle, je participe consciemment au communisme dans notre pays. C’est dans le parti communiste français que je t’ai rencontré, et nous avons vécu ensemble bien des moments de son histoire.
- Mais voilà : depuis trop longtemps, la discussion entre nous piétine.

- Le contenu de l’Assemblée générale tenue par le PCF en décembre 2007, les élections du printemps 2008 et la perspective du congrès de décembre 2008 me conduisent à m’adresser à toi encore une fois. Il s’agit pour moi de tenter, encore une fois, de sortir notre discussion du piétinement. Je le fais en mon nom personnel et à mon initiative ; sache pourtant je ne suis pas le seul communiste de mon avis.
- Le fait est que nous sommes quelques communistes à ne pas supporter que la direction du PCF impose à ce parti une politique réformiste tout en lui maintenant le nom de communiste.
- Quelques communistes, oui, mais les élections municipales de ce printemps ont montré, dans le Pas de Calais, que notre groupe de militants n’est plus négligeable : j’y vois un signe de ce que les résultats désastreux qui sont ceux du PCF depuis des années ont quelque lien avec le piétinement de notre discussion.
- Ce n’est pas la première fois que je tente d’en sortir : le fait est que tu as rejeté toutes mes autres tentatives, presque toujours en me reprochant d’attaquer la direction du PCF comme si le patronat capitaliste n’était plus mon ennemi.
- Je m’interroge sur cet emploi du mot « attaquer ». J’ai toujours regretté que tu ne me dises jamais en quoi consistait ce que tu appelais des « attaques » : cela n’a jamais rien eu d’évident, car les propos que tu désignais de ce mot n’étaient rien d’autre que des informations et des raisonnements par lesquels je démontrais que le réformisme avait pris une place de plus en plus grande, jusqu’à devenir le caractère dominant, puis exclusif de la politique du PCF ; aujourd’hui, ces informations et ces raisonnements démontrent, selon moi, que la direction du PCF elle-même est réformiste.
- Dans le parti communiste, j’ai appris à écouter les informations, les raisonnements, les arguments, et j’ai appris à discuter en confrontant les arguments ; je te rappelle que de cette manière, nos discussions nous permettaient autrefois de poser ensemble les bonnes questions, d’approcher de la vérité, et parfois, ce n’était pas vraiment rare, de la faire éclater.
- Lorsque je mettais en cause les mauvais aspects, les aspects réformistes qui encombraient déjà la politique du parti, c’est cette démarche que je te proposais ; mais toi, tu qualifiais d’« attaques » les propos que je tenais : de cette manière, tu te débarrassais des faits et des arguments que je te présentais : en fait, tu t’interdisais d’en prendre connaissance. Etait-ce pour t’épargner l’effort d’y répondre ? Je connaissais bien mes arguments, mes raisonnements et les faits sur lesquels je les fondais : tu me donnais à penser que tu redoutais d’apprendre ce que l’effort de discuter t’aurait appris. Comprends bien que quant à moi, je n’ai jamais refusé de discuter avec toi !...
- « Attaquer », ce terme militaire désigne une manière d’engager un combat : nous savons que la guerre est un moment de la vie des sociétés au cours duquel la force prime toute espèce de droit : faire la guerre, c’est, pour l’agresseur, renier le droit en cessant d’écouter les arguments de l’autre, et pour le défenseur, constater que le droit ne vaut plus, les deux concluant à la confrontation violente de leurs forces.
- En m’accusant, en nous accusant d’attaquer la direction du PCF, tu rejettes sur nous la responsabilité d’avoir arrêté la discussion : il m’en reste l’évidence de l’injustice de ce jugement que vous portez sur nous, toi et les autres communistes qui suivez la direction du PCF.
- Il m’en reste aussi quelques questions auxquelles tu n’as jamais répondu, auxquelles tu ne me répondras peut-être pas avant longtemps, mais auxquelles tu ne pourras pas éviter de répondre en conscience :

  • Crois-tu vraiment qu’il n’y a rien de vrai dans notre démonstration que la direction du PCF est réformiste ?
    - Crois-tu vraiment qu’un parti communiste puisse être réformiste ?
    - Crois-tu vraiment qu’un parti réformiste puisse contribuer à abolir l’exploitation capitaliste des travailleurs ?
    - Crois-tu vraiment qu’un parti communiste qui borne sa politique de telle manière qu’elle s’inscrit dans le réformisme, en évitant toujours de mettre en cause la propriété privée du capital et l’appropriation privative du profit, crois-tu vraiment que ce parti puisse rester communiste ?

- Ce sont les évolutions que connaît le PCF depuis trois ou quatre décennies qui posent ces questions ; pour jalonner ces évolutions, je mentionnerai les évènements suivants :

  • quelques mois après le mouvement populaire de mai et juin 1968, la direction du PCF se ralliait aux « revendications qualitatives », ce qui affaiblit considérablement la revendication de meilleurs salaires, jusqu’alors première revendication du syndicalisme révolutionnaire (la CGT) en France ;
    - dès le lendemain de l’élection présidentielle de 1981, elle renonçait à la revendication d’exproprier les capitalistes, acceptant que les socialistes, qui dominaient largement le gouvernement, réduisent les nationalisations promises à de simples étatisations ;
    - depuis plus longtemps encore, elle a déserté la lutte quotidienne pour la laïcité et la démocratie en France ;
    - dans la ligne de cette désertion, elle oublie de rappeler à propos du Tibet que la théocratie est incompatible avec l’exercice des Droits de l’Homme et du Citoyen ;
    - à propos de Cuba et des mouvements progressistes qui animent plusieurs peuples de différentes parties du monde, elle renonce à produire une politique communiste, et se satisfait de suivre le consensus réactionnaire de la bourgeoisie « de centre-gauche » ;
    - elle a rompu toutes les relations qu’entretenait autrefois le parti communiste français avec les autres partis communistes, renonçant ainsi à l’internationalisme et isolant le PCF des luttes progressistes mondiales.

- Chacun de ces évènements est un pas fait par le PCF dans le réformisme. Que lui reste-t-il aujourd’hui de révolutionnaire ? Rien d’essentiel en tous cas !
- C’est cette histoire qui m’apporte la preuve qu’aujourd’hui, la direction du PCF est réformiste.
- C’est pour son réformisme que je la condamne. Est-ce que cette condamnation de la direction condamne chacun de ses membres ? Non : je reconnais l’existence possible, d’ailleurs fréquente, de différences, en général variables, entre les positions individuelles des membres d’un collectif dirigeant et les décisions que prend ce collectif pour remplir sa mission de direction.
- Mais peut-on imaginer qu’un révolutionnaire reste longtemps membre de la direction du parti si cette direction oriente le parti dans le réformisme et l’y maintient ? La part de l’individu dans une direction collective est grande, mais ne va pas jusque là !
- Tu fais une différence entre Marie-George Buffet et les autres membres de la direction actuelle du PCF, et cette différence te fait espérer que les communistes qui sont actuellement « dans la nature » vont bientôt reprendre leur carte du PCF : il est vrai que depuis plusieurs mois, Marie-George Buffet s’attache à composer ses discours avec davantage de mots et d’idées qui nous semblent propres au communisme.
- Mais elle n’a pas annoncé la moindre volonté de rester dans le PCF pour y engager la lutte contre le réformisme ; mais encore, elle ne fait rien pour renouer avec l’internationalisme communiste, elle reste fidèle au parti de la Gauche européenne, qui est statutairement un parti réformiste droitier, et elle reste fidèle à l’Union européenne, qui est une construction capitaliste et ne peut être autre chose !...
- En vérité, elle ne pourra pas participer à la future organisation communiste si elle ne fait pas sur elle-même un très gros travail pour rompre avec tout ce que le réformisme a fait d’elle, et pour replacer dans l’essence de sa politique les deux revendications principales du mouvement ouvrier communiste : la revendication de salaires qui permettent aux salariés de vivre dignement, et celle d’exproprier les domaines terriens, les mines, les usines, les maisons de commerce et les banques appartenant à la bourgeoisie capitaliste, et de les soumettre à un régime social (ou national, c’est la même chose) de propriété tel que chaque travailleur aujourd’hui prolétaire participera concrètement à l’exercice de la propriété sur ces biens : je ne sais pas si Marie-George Buffet le veut, et je doute qu’elle en soit capable ; mais si elle le fait, j’aurai plaisir à le constater !...
- Voilà les arguments principaux et essentiels que j’oppose à la direction du PCF. Je m’étonne qu’ils puissent te donner l’impression, comme tu me l’as dit, que j’ai changé d’ennemi, que pour combattre le réformisme dans le PCF, je ne combats plus le patronat capitaliste.
- Je dois te rappeler un proverbe qui décrit très bien la logique élémentaire de l’amitié et de l’inimitié : il tient en quatre propositions : « les amis de nos amis sont nos amis ; les amis de nos ennemis sont nos ennemis ; les ennemis de nos amis sont nos ennemis ; les ennemis de nos ennemis sont nos amis ! »
- Comment pourrions-nous combattre le patronat capitaliste si nous ne combattons pas en même temps ceux qui le servent ? Car la politique réformiste du PCF fait bien plus que de retirer le parti de la lutte contre le capitalisme ; la politique réformiste consiste à aménager le capitalisme : l’aménager, cela lui permet de fonctionner encore ou de fonctionner un peu mieux, c’est-à-dire de prélever encore un peu plus de profit ; mais les travailleurs, ont-ils intérêt à de tels aménagements, qui les épuisent en les appauvrissant encore, et qui obscurcissent la perspective de la révolution ? Non, n’est-ce pas ? La direction du PCF, devenant réformiste, s’est faite la servante de la bourgeoisie capitaliste, et à plusieurs occasions, nous l’avons vue entraver le développement des luttes revendicatives les plus évidemment légitimes : peut-on combattre le système capitaliste sans combattre cette servante avec les autres valets et avec les maîtres ?
- Oui c’est vrai, d’autres communistes et moi-même, nous combattons le réformisme au sein du PCF, et pour cela, nous combattons la direction, devenue réformiste, du PCF : c’est une partie nécessaire de la lutte révolutionnaire pour abolir le capitalisme. Je te rappelle que lorsqu’elle a viré réformiste, la direction du PCF nous a imposé de cesser de revendiquer l’abolition du capitalisme : elle venait de découvrir qu’il suffit au réformisme de se proposer de le dépasser...
- Non, ni moi, ni les autres camarades qui nous efforçons de rendre à notre peuple un véritable parti communiste n’avons cessé de combattre le système capitaliste d’exploitation de l’être humain par les plus riches !
- Je me pose une question, et c’est elle qui me fait t’écrire cette lettre : qu’est-ce qui nous sépare encore, qu’est-ce qui fait encore obstacle à notre discussion ?
- En répondant l’autre jour au rappel que je faisais de la nécessité de la révolution, tu m’as dit que le monde avait changé, qu’il fallait en tenir compte, et tu me l’as dit comme si mes arguments ne tenaient pas compte des changements du monde ! Mais crois-tu que les changements du monde aient rendu ou soient en train de rendre la révolution sans objet ?
- Il faudrait pour cela que le capitalisme change de telle manière que désormais, il assure une alimentation suffisante, saine et équilibrée, un habitat salubre et des habits bien conçus, bien coupés et protecteurs à chacun des habitants de notre planète, et qu’il cesse d’orienter, d’encadrer et de limiter leur accès à la culture : mais pour cela, il faudrait qu’il diminue la part de la plus-value du travail dont il fait son profit !
- Où as-tu observé de telles évolutions du système économico-politique qu’est le capitalisme ? Il n’y en a pas ! Ce qui change depuis toujours dans le capitalisme, c’est qu’il approfondit l’exploitation de l’être humain par les plus riches membres des classes bourgeoises, qu’il la perfectionne et qu’il l’étend à toute la Terre (c’est cette extension, commencée dès avant le dix-neuvième siècle au moyen du colonialisme, que les idéologues bourgeois appellent aujourd’hui la mondialisation). Nous en voyons tous les jours les preuves concrètes et matérielles dans la misère à chaque heure plus profonde et plus étendue, et dans le refus populaire de la misère qui se radicalise en maints endroits pour devenir une lutte politique que les membres des classes pauvres engagent tant bien que mal contre l’empire capitaliste.
- Est-ce parce que nous maintenons notre parti pris pour ces luttes populaires contre l’exploitation capitaliste que tu crois voir en nous des soldats obéïssants et obstinés, campés droits dans leurs bottes et si bien tenus par le garde-à-vous qu’ils ne bougent même pas le petit doigt ? Et bien je te le dis, nous réfutons cette caricature absurde.
- Nous la réfutons d’abord parce que les exploités, où qu’ils soient dans le monde, n’ont rien à faire de tels soldats !
- Nous la réfutons ensuite parce que cette caricature a été dessinée par la bourgeoisie et diffusée dans la presse à ses ordres, et que si tu me l’opposes aujourd’hui, c’est parce que les réformistes l’ont reprise et en ont fait un argument au service de leur prise de pouvoir sur le PCF.
- Nous la réfutons encore parce que chaque jour, chaque heure de notre histoire militante dément qu’elle puisse nous être appliquée : la vérité est que nous, les communistes combattus par les réformistes, n’avons jamais cessé d’analyser le monde et ses changements pour en élaborer une représentation matériellement fiable, et que c’est dans cette représentation matériellement fiable que nous fondons notre politique.
- En résumé, nous réfutons cette caricature parce que la vie la dément depuis toujours !
- Pourquoi donc toi et les autres communistes qui suivez la direction réformiste du PCF persistez-vous à croire à ces mensonges de la vieille bourgeoisie ? A croire à ce vieux bobard réactionnaire lancé comme un coup bas contre les communistes impliqués dans la lutte des classes ?
- Pendant toute la durée du processus qui a préparé et réalisé la mutation social-démocrate du PCF, les communistes respectaient tous les camarades régulièrement élus aux fonctions de responsabilités, aux bureaux et aux secrétariats des sections et des fédérations du parti, même les réformistes ; mais parmi ceux-ci, il s’en est trouvé pour relancer ce vieux bobard réactionnaire : les communistes le recevaient comme un coup bas qui s’ajoutait aux coups souvent matériels que nous portaient le patronat capitaliste et les hautes directions administratives de l’Etat bourgeois !
- Les réformistes qui portaient ce coup bas ont fait carrière : aujourd’hui, ils dirigent le PCF. Quant aux communistes, de recevoir de leurs dirigeants élus un tel coup bas les a conduits à se mettre en marge du parti ou à l’écart de ses directions.
- Mais ils voyaient alors le PCF abandonner la lutte sur les trois plans de la lutte des classes : celui de l’économie, celui de la politique et celui de la culture ; beaucoup de ces communistes mis à l’écart ont tenu à poursuivre cette lutte : ils se sont efforcés de relancer un mouvement d’organisation et de continuer la théorie.
- Le mouvement, cela consiste à continuer l’œuvre révolutionnaire comme le font les communistes.
- Se retirer de la lutte et rallier le réformisme, voilà l’immobilisme !
- La vérité, c’est que le bobard que nous adressent les réformistes du PCF (après l’avoir repris de la bourgeoisie exploiteuse) est un coup porté personnellement aux communistes, en même temps qu’une insulte qui leur est adressée : ce n’est rien d’autre qu’une arme dont se servent les carriéristes pour défendre leur plaçou !
- Dans ces conditions, que vaut ton attente que les communistes réadhèrent au PCF ?
- Je t’ai bien entendu : les évolutions récentes du discours de Marie-George Buffet te donnent le sentiment que « tout va mieux » ; mais comment peux-tu croire, en plus, que ces évolutions sont de nature à entraîner les communistes qui sont aujourd’hui « dans la nature », pour qu’ils réadhèrent au PCF ?
- Crois-tu donc que les seules différences entre un parti réformiste et un parti communiste soient dans le discours ? Et crois-tu que les communistes qui sont aujourd’hui « dans la nature » ou qui ont formé des ébauches d’organisation communistes n’aient rien à vous dire, à toi et aux autres communistes qui suivez la direction réformiste du PCF, au moment de faire le premier pas d’un rapprochement ?
- En vérité, beaucoup d’entre nous souhaitons reprendre contact avec vous : mais je sais aussi que ce contact ne pourra entrer dans la réalité que si vous acceptez d’entendre ce que nous avons à vous dire, et pour ma part, je n’accepterai pas de passer l’éponge sur le réformisme de la direction du PCF, ni sur la présence d’une tendance réformiste dans le parti communiste.
- L’unité des communistes est possible dès aujourd’hui, et la forme que prendra le processus d’unification communiste n’est déterminée nulle part ; ce qui est déterminé, c’est une condition nécessaire et indiscutable : que tous les communistes rompent avec le réformisme, et j’insiste, avec toute espèce de réformisme !
- J’ai gardé pour la fin les deux questions dont les porte-plumes et les porte-voix de l’idéologie bourgeoise font l’usage le plus constant et depuis le plus long temps : toi, et les autres communistes qui suivez la direction réformiste du PCF, croyez-vous vraiment que les évènements qui se sont produits dans l’ancien empire des Tsars, le détruisant, créant la Russie des Soviets, puis l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), marquant son histoire et conduisant à sa dissolution, croyez-vous vraiment que ces évènements puissent porter condamnation des actes dont la décision fut prise à Tours en décembre 1920 par le congrès du parti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière, et condamnation de leur exécution par les militants ouvriers français ?
- La décision prise à Tours par le congrès du Parti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière tenu à la fin de décembre 1920 fut d’adhérer à l’Internationale communiste, de donner au parti le nom de Parti communiste français Section française de l’Internationale communiste, et de lui assigner pour objet de porter au plan politique la revendication des prolétaires de ne plus subir l’exploitation, de revendiquer l’expropriation des bourgeois qui détiennent les plus gros capitaux de la terre, de l’industrie, du commerce et de la finance, et de soumettre ces capitaux à la propriété nationale afin que tous les travailleurs de ce pays en deviennent propriétaires de plein droit.
- Personne ne m’a encore donné une raison de croire que des évènements qui se sont produits après 1920 et à l’autre bout de l’Europe portent condamnation de cette décision : je considère comme nécessaire, indispensable, de mettre ensemble cette décision avec ses raisons, et de mettre en face les arguments avancés par ceux qui prononcent la condamnation ; au regard de la science historique, ne pas le faire est véritablement une faute méthodique.
- Quelles étaient ces raisons ? J’en citerai trois, dont les deux premières sont essentielles, et dont la troisième est circonstancielle.
- La première raison pour que le parti ouvrier adhère à l’Internationale communiste est essentielle : c’est la tradition des luttes sociales, des luttes revendicatives ouvrières et paysannes, qui, dans les villes et les campagnes de France, opposaient à la bourgeoisie française les travailleurs conscients de leurs intérêts. Plus d’un siècle durant, ces luttes avaient ravivé et renouvelé les traditions populaires d’Ancien Régime des luttes contre la misère et pour la liberté, et celles des luttes révolutionnaires des Sans-Culottes pour la République, de 1789 à 1794.
- Pendant le dix-neuvième siècle, les luttes populaires associaient la revendication économique à la revendication politique ; la revendication économique est première chez les prolétaires, ceux qui ne possèdent que leurs bras, que leurs corps ; quant à la revendication politique, ce fut d’abord, et pendant longtemps, le souvenir de l’espoir conçu par les membres du peuple lorsqu’ils discutèrent la constitution de l’an un de la République et qu’ils l’approuvèrent, et de la répression que la bourgeoisie appliqua à cet espoir, mettant cette constitution aux oubliettes avant même la fin de la consultation populaire et imposant à la France neuf décennies d’empires et de royaumes, avant d’accepter une république de pure forme (la « troisième République »).
- Ce furent quatre-vingt-dix ans de luttes par lesquelles la classe ouvrière a pris conscience de la valeur politique de la revendication salariale ; elle l’a fait d’abord en prenant en mains, en formulant et en développant la revendication communiste, celle énoncée en 1848 par Marx et Engels dans le « Manifeste du Parti communiste », de mettre fin à la propriété capitaliste en expropriant la grande bourgeoisie et en soumettant domaines terriens, mines, usines, maisons de commerce et banques à un mode collectif, social, de propriété, grâce auquel les salariés exerceraient enfin la propriété sur les entreprises. Ceux qui, dans le peuple de France, maintenaient la tradition des Sans-Culottes reconnaissaient facilement dans cette revendication une généralisation nécessaire de la revendication de nationalisation de la propriété terrienne formulée pendant la Révolution française par Gracchus Babeuf.
- Ce fut ensuite, à la fin du dix-neuvième siècle, de comprendre la nécessité de créer un parti politique de la classe ouvrière, grâce auquel la revendication communiste pourrait prendre toute son ampleur et embrasser non seulement le plan économique, mais le plan politique avec lui : le Parti ouvrier français, puis une série de petites formations politiques, enfin le parti socialiste Section française de l’Internationale ouvrière furent les premiers résultats des efforts nés de cette nécessité.
- La deuxième raison pour que le parti ouvrier adhère à l’Internationale communiste elle aussi est essentielle : fondée dans ces traditions des luttes sociales, la critique ouvrière, prolétarienne, des guerres s’est appliquée à la monstrueuse marche à la monstrueuse guerre impérialiste et à la monstrueuse guerre impérialiste elle-même, qui a éclaté à l’été de 1914.
- Les ouvriers et les autres membres du peuple mobilisés et envoyés dans les tranchées ont continué cette critique ; le peuple de France, et parmi ses membres les militants ouvriers, l’ont intégrée à la confirmation cruelle apportée par l’expérience de la guerre impérialiste, et ont confronté tout cela à la trahison des intérêts populaires et ouvriers commise par l’Internationale ouvrière en 1914, lorsque ses principaux dirigeants ont rallié les politiques impérialistes des bourgeoisies qui dominaient leurs pays : c’est là la deuxième raison de décider que le parti socialiste section française de l’Internationale ouvrière quitte l’Internationale ouvrière et adhère à l’Internationale communiste.
- La troisième raison est circonstantielle : c’est que l’appel à former l’Internationale communiste avait été lancé par le parti ouvrier qui venait de renverser le gouvernement de l’empire tsariste, connu pour tenir une société dans des cadres à peine sortis du Moyen Age, et dont, quatre décennies plus tôt, le peuple n’était sorti du servage que par une aggravation de sa misère. Que les Bolchéviks aient pu tirer le bénéfice de l’affaiblissement de l’empire, directement provoqué par la guerre contre les Empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie), et prendre le pouvoir dans les deux capitales de cet empire (Pétrograd et Moscou), et qu’ils soient les auteurs de l’appel à former l’Internationale communiste était pour les militants ouvriers de France comme de nombreux autres pays d’Europe, une circonstance heureuse et stimulante.
- Quelles raisons peut-on trouver dans les évènements qui se sont produits depuis 1917 dans l’ancien empire des Tsars, qui réduirait à néant les raisons que je viens d’évoquer, ce qui permettrait de condamner la décision du congrès de Tours ?
- Le seul argument que les réformistes qui dirigent le PCF aient jamais énoncé devant moi est : « Tout cela a échoué en URSS ! » Ils n’ont jamais fait le moindre effort pour éclairer la réalité dont ils parlaient ainsi, ni pour définir en termes intelligibles ce qui a échoué en URSS : donner à cette seule affirmation le statut d’un argument définitif n’est pas vraiment un signe d’intelligence de leur part. Il est vrai que leur objectif était de prendre le pouvoir, pas de découvrir la vérité historique !...
- Je suis sévère, c’est vrai : mais cela fait un bon quart de siècle qu’avec d’autres communistes, nous les talonnons pour avoir enfin avec eux, dans le parti, publiquement, un échange d’arguments : ils s’y sont toujours refusés et s’y refusent encore ; le seul argument dont ils nous aient gratifiés, c’est, à ma connaissance, celui-là !
- « Tout cela »... quoi, cela ? L’œuvre de Jaurès, la CGT, la Commune de Paris ? Quoi, cela ? faut-il continuer à admettre contre toute vraisemblance historique qu’à partir du 7 novembre 1917, Lénine ait toujours obtenu du Conseil des Commissaires du peuple (ainsi se nommaient les premiers gouvernements soviétiques) les décisions exactes qu’il aurait élaborées par avance dans l’intimité de sa théorie personnelle ?...
- « A échoué en URSS »... Mais grands dieux : qu’est-ce que Jaurès a fait en URSS, et qui aurait échoué ? La CGT aurait eu des ramifications actives en URSS ? Et la Commune de Paris, quel décret a-t-elle pu édicter qui aurait été mis en vigueur à la lettre en URSS, et qui aurait échoué là-bas ? Et l’œuvre des bolchéviks est-elle seule cause des drames et des échecs de l’histoire de l’URSS ? Et la lutte des classes, qui faisait la politique de l’ancien empire des tsars, et qui, à l’évidence, sévit actuellement sur ce territoire, avait-t-elle cessé le 7 novembre 1917 ?
- Mais grands dieux : libérés de l’empire des Tsars, les peuples soviétiques ont fait de leurs pays une puissance industrielle de premier plan : est-ce un échec du communisme ?
- Mais grands dieux : l’Armée rouge des Ouvriers et des Paysans a réussi à rejeter les armées des racismes européens, les armées nazies et fascistes, des abords de Léningrad, de Moscou, de Stalingrad, des vallées du Caucase ; est-ce un échec du communisme ? L’Armée soviétique, qui l’a remplacée en février 1943, a repoussé les armées de l’empire raciste jusqu’à Berlin où elle a écrasé les dernières légions de SS et détruit les derniers pans de l’empire raciste : est-ce un échec du communisme ?
- Et le voyage de Youri Gagarine autour de la Terre, est-ce un échec du communisme ?
- Encore une question : toi et les autres communistes qui suivez encore les réformistes qui dirigent le PCF, estimez-vous que certains des crimes qui se sont produits en URSS puissent être imputés au communisme ? Les réformistes n’ont pas posé cette question dans le parti : je te la pose ici parce qu’en lançant le mot d’ordre : « franchement communistes », nous avons proposé aux communistes de combattre immédiatement la criminalisation du communisme, c’est-à-dire la propagande par laquelle la bourgeoisie s’efforce de faire passer le communisme lui-même pour un crime. Plusieurs années ont passé depuis, et nous pouvons constater que la lutte contre la criminalisation du communisme nous sépare radicalement d’avec les réformistes : c’est pure tactique s’ils n’en parlent jamais ; mais lorsque cette question se pose devant eux, ils se détournent ; ils sont prêts à qualifier le communisme de crime et d’ailleurs, Robert Hue et d’autres ont publiquement qualifié l’URSS de monstruosité. Sans jamais faire le moindre geste qui aurait incité les historiens à étudier de plus près leurs documents et ceux que les évènements de la fin du vingtième siècle rendaient accessibles. Que font-ils aujourd’hui contre les menées racistes, fascistes, nazies qui montent en Europe, dans le monde et en France même ? Rien !
- Oui, tout nous appelle à faire preuve d’une grande sévérité à l’égard des réformistes qui dirigent le PCF ; ils ont tout fait pour que ces questions ne soient pas posées : leur soif d’exercer le pouvoir, même de l’exercer partiellement et petitement, leur a fait perdre tout souci de vérité historique !... Ils n’ont plus rien de communiste : il faut rompre avec eux !...
- Rompre avec le réformisme, avec toute espèce de réformisme, c’est la condition nécessaire : c’est elle qui permettra aux communistes de se retrouver dans l’action revendicative et de rendre au peuple de France le véritable parti communiste qui lui manque aujourd’hui cruellement !

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