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Ces mots de notre Révolution

quel est leur sens ?

mercredi 20 août 2008, par Jean-Pierre Combe

- D’urgence, il nous faut rendre vie aux concepts retrouvés ou inventés puis mis en vigueur par la Révolution française de 1789 à 1794, et qui avaient servi de base solide aux élaborations révolutionnaires.

L’apport de l’antiquité grecque

- Les plus profonds de ces concepts nous viennent des textes écrits par les philosophes de l’antiquité grecque, et notamment de ceux qui concernent la Révolution démocratique athénienne ; celle-ci avait chassé les rois, aboli la signification politique du système antérieur des tribus et des clans, et inventé la République pour former les lois selon le processus alors nouveau de la démocratie, en vérité bien étroite et limitée puisque l’esclavage avait été maintenu : ce n’était qu’une démocratie de propriétaires ! Pourtant, les concepts de la révolution démocratique athénienne dépassaient cette limite.
- Leur base est donnée par les sens des trois mots de l’ancienne langue grecque laos, démos et ethnos, que l’usage traduit en Français tous les trois par le même mot peuple.

  • Nous trouvons le premier de ces sens en Français dans l’adjectif populaire : c’est le sens du mot laos, dont était tiré l’adjectif laïcos dans l’ancienne langue grecque ; notre mot laïc est une copie de cet adjectif ; en ce sens, le peuple est ce qui reste de l’assemblée générale de tous les habitants d’une cité ou d’un pays, lorsque tous les princes et tous les prêtres, c’est-à-dire tous les agents du pouvoir politique et du pouvoir religieux, l’ont quittée ; dans la Grèce antique, il ne restait alors plus guère que les cultivateurs, les artisans, les pêcheurs et les boutiquiers ; les communistes reconnaissent là tous les métiers, c’est-à-dire toutes les activités humaines qui constituent le socle solide, le fond consistant de l’économie, parce que ceux qui font ces métiers transforment la matière en un bien matériel que les humains doivent consommer pour vivre, ou transportent ces biens matériels d’un lieu à un autre ; ce sens est pour nous le sens principal du mot peuple.
  • Le deuxième sens est celui de la population qui habite un lieu et qui vit des ressources matérielles qu’elle y trouve ; c’est le sens de l’ancien grec démos ; c’est pour ce sens que le mot espagnol pueblo désigne aussi bien le village que sa population ; c’est à partir de ce sens à la fois géographique et économique que les anciens Grecs ont élaboré le concept politique de démocratie, qui désigne le pouvoir politique lorsqu’il procède du peuple : pour que la source de ce processus soit active, il faut vraiment que le village constitue une unité de production en même temps qu’une unité sociale, et c’est bien à cette fin que la Révolution française avait créé nos communes ; nous en avons aujourd’hui une nouvelle preuve : il suffit de constater que notre démocratie se meurt depuis que la dictature bourgeoise détruit les communes de notre pays.
  • Le troisième sens est celui que nous trouvons dans l’adjectif ethnique, repris du nom de la science qui s’est créée en étudiant les civilisations dont les colonialistes s’appropriaient les territoires et les peuples, l’ethnologie ; les signes vestimentaires et monumentaux des civilisations parlent bien davantage des religions et de la vie des prêtres et des princes que de celle des gens qui travaillent, et pour cette raison, l’objet de cette science est bien désigné par le mot grec ethnos ; l’ethnie, c’est tout à la fois la conscience qu’ont les membres d’un peuple de leur vie commune, de leur passé commun, de la commune particularité de leur place dans le monde, et les institutions sociales chargées de maintenir cette conscience et d’en garantir les limites, que le peuple inscrit dans le paysage en édifiant des monuments pour la commémorer et pour la célébrer : cela concerne la représentation du monde, la mémoire et la décision d’agir ; la valeur ethnique la plus profonde est la langue que parlent les membres du groupe ; c’est en effet l’essence même de l’humanité qui produit directement la langue humaine lorsqu’elle engage l’hominisation, c’est-à-dire lorsqu’une certaine espèce de grand singe se met à transformer en travail son action sur le milieu naturel dans lequel elle vit, et par cela même commence à se transformer en l’espèce humaine ; c’est en produisant les langues humaines que l’humanité s’est rendue capable de produire toutes les autres valeurs ethniques, c’est-à-dire de produire toute la culture ; les valeurs religieuses sont moins profondes : il n’est pas exceptionnel qu’un peuple change de religion sans changer de langue ; quant aux valeurs du système symbolique dont use le pouvoir politique, elles sont tout près de la surface : il est historiquement fréquent que des sociétés changent de système politique sans changer de religion.
  • Laos, démos et ethnos sont en vérité trois concepts différents : il est important de les distinguer pour éviter les graves confusions que les politiciens introduisent entre les mots de nation, de peuple, d’état, et dont ils se servent en guise d’arguments ; en Français, le mot ethnie s’est imposé au cours des guerres yougoslaves de la fin du vingtième siècle comme équivalent de l’ethnos.

- Cela étant, la démocratie athénienne fut inventée pour être le régime de formation des lois qui commence dans l’activité politique de chaque citoyen (les esclaves n’étaient pas des citoyens), et qui consiste dans une délibération organisée démos par démos (village par village, ou si l’on veut bien, dème par dème) : en démocratie, le peuple qui forme la loi est défini par sa relation au territoire ; dans l’antique Athènes, cette définition commençait par exclure les esclaves.

L’apport de la révolution française

- Il procède des Lumières philosophiques, et par leur intermédiaire, du progrès réalisé par le mouvement scientifique dans tous les domaines de la connaissance pendant la Renaissance et depuis, en matière notamment de connaissance du mouvement des astres, de connaissance du monde vivant animal et végétal, de connaissance de la surface de la Terre...
- Ce progrès avait d’abord engendré la prise de conscience de ce que le mouvement scientifique de la connaissance se place hors de la compétence des autorités religieuses, quelle que soit la religion, et en même temps, hors de la compétence de l’autorité politique.
- Quant aux progrès de l’histoire naturelle, qui est la science de l’observation du monde vivant animal et végétal et du monde minéral, ils démontraient en outre que les inégalités que l’on peut observer entre les êtres humains, habitants des contrées diverses ou membres de différentes catégories sociales d’une même société, ne sont pas produites par la nature mais par l’ordre social.

Au commencement de la Révolution était la revendication de droits égaux pour tous les êtres humains

- Ces progrès de la science n’étaient pas restés confinés dans un cercle restreint d’initiés, ni même au sein des classes riches : les nombreuses questions qu’ils posaient aux sociétés européennes sur tous les plans de la culture provoquaient au contraire les larges discussions qui ont inscrit les Lumières philosophiques dans notre conscience collective, avec pour conséquences la condamnation du mépris dont les grands et les dominants abreuvent les humbles, les dominés et les sauvages.
- Ce mouvement de la pensée développait les concepts de peuple souverain, selon lequel le souverain n’est pas le roi, mais le peuple ; de ce concept procède la revendication d’égalité entre les humains pour laquelle se sont formées dans plusieurs villes de plusieurs pays d’Europe des sociétés d’Amis de l’Egalité.
- De lui procède également le concept de la citoyenneté qui consiste dans l’exercice par chaque membre du peuple de droits égaux de vivre et de participer à la vie politique au sein de l’assemblée générale de tous les citoyens.
- L’étendue du pays faisant de l’assemblée générale de tous les citoyens une abstraction, les discussions politiques et philosophiques se sont attachées à élaborer, toujours à partir de la revendication d’égalité, des principes plus proches de la vie concrète ; cela conduit aux principe suivants :

  • du point de vue de l’individu :
    • tout être humain a sur la société des droits inaliénables qui lui permettent de vivre dignement ;
    • l’être humain possède ces droits du jour de sa naissance jusqu’à celui de sa mort, pour la seule raison qu’il est un être humain ;
    • ces droits sont égaux d’un individu à l’autre, de telle manière que tous les êtres humains sont égaux en droits ;
    • l’exercice de ces droits constitue la citoyenneté de chacun ;
  • du point de vue de la société, l’équité de l’ordre social requiert :
    • que la constitution et toutes les institutions de la société procèdent de la jouissance et de l’exercice de ces droits par chacun des membres du peuple.
    • que chaque membre de la société connaisse ses droits et en use dans le bon fonctionnement de toutes les institutions de la société, depuis l’état-civil jusqu’au gouvernement.
    • que les citoyens évaluent le bon fonctionnement de toutes les institutions de la société non seulement selon le critère que nul ne doit voir ses droits réduits ou limités, mais bien plus, en appliquant toutes les institutions à leur objet, qui est de mettre ces droits en vigueur et d’en garantir la pleine jouissance par chacune et par chacun des membres du peuple ; lorsque l’évaluation est conduite selon ce critère, il est clair que si des institutions ou une constitution tolèrent que les droits de certains membres du peuple soient réduits, limités ou remis en cause, que l’égalité en droits cesse d’exister, alors ces institutions ou cette constitution sont mauvaises et doivent être corrigées toutes affaires cessantes.

- Les révolutionnaires reconnaissaient que ces principes revendicatifs fondent un processus politique permettant de réorganiser les sociétés européennes de manière à satisfaire la revendication d’égalité : c’est la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen. Alors déjà, ce processus façonnait un nouvel être-humain pour les habitants de ce qui n’était déjà plus le royaume de France ; énonçant les droits des individus, elle définit très précisément la composante individuelle de ce nouvel être, et en même temps, la condition d’égalité qu’elle impose aux droits individuels annonce et assure l’équilibre nécessaire des deux composantes, individuelle et collective, de cet être, en faisant à l’être collectif le devoir d’assurer l’égalité en droits de tous les individus.
- En 1789, les constituants rédigeaient notre première Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et la plaçaient en préambule de la première constitution, celle du royaume constitutionnel, pour définir le cadre dont ni la constitution ni les institutions publiques ne devraient plus jamais sortir.

Extraits de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen délibérée et décrétée par l’Assemblée nationale dans ses séances des 20, 21, 23, 24 et 26 août 1789 :

  • préambule : Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs : afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.
  • article 1 : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
  • article 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression.
  • ...
  • article 17 : la propiété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

- Trois ans plus tard, l’échec du royaume constitutionnel, causé par la défection du roi, conduira les représentants du peuple à la Convention à élaborer, rédiger et publier la première constitution républicaine de notre pays, l’acte constitutionnel adopté le jour du romarin, premier sextidi de messidor, an 1 de la République (24 juin 1793) ; cette Constitution de l’an un de la République a pour préambule la deuxième Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : plus circonstanciée et plus précise que la première quant aux droits reconnus aux non-propriétaires, celle-ci renouvelle la revendication d’égalité en droits de tous les êtres humains et la démarche politique qui en procède.

Acte constitutionnel du jour du romarin, premier sextidi de messidor, an 1 de la République (24 juin 1793)

Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen

  • Préambule : Le peuple français, convaincu que l’oubli et le mépris des droits naturels de l’homme sont les seules causes des malheurs du monde, a résolu d’exposer dans une déclaration solennelle ces droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens, pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer et avilir par la tyrannie, afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur ; le magistrat la règle de ses devoirs ; le législateur l’objet de sa mission.
    • En conséquence, il proclame, en présence de l’Etre suprême, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen :
  • Article 1 : Le but de la société est le bonheur commun.
    • Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles.
  • Article 2 : Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété.
  • Article 3 : Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi.
  • Article 4 : La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale ; elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ; elle ne peut ordonner que ce qui est juste et utile à la société ; elle ne peut défendre que ce qui lui est nuisible.
  • Article 5 : Tous les citoyens sont également admissibles aux emplois publics. Les peuples libres ne connaissent d’autres motifs de préférence dans leurs élections que les vertus et les talents.
  • Article 6 : La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui : elle a pour principe la nature ; pour règle la justice ; pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait.
  • Article 7 : Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de tout autre manière, le droit de s’assembler paisiblement, le libre exercice des cultes ne peuvent être interdits.
    • La nécessité d’énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme.
  • Article 8 : La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés.
  • Article 9 : La loi doit protéger la liberté publique et individuelle contre l’oppression de ceux qui gouvernent.
  • Article 10 : Nul ne doit être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites. Tout citoyen appelé ou saisi par l’autorité de la loi doit obéïr à l’instant ; il se rend coupable par la résistance.
  • Article 11 : Tout acte exercé contre un homme hors des cas et sans les formes que la loi détermine est arbitraire et tyrannique : celui contre lequel on voudrait l’exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force.
  • Article 12 : Ceux qui solliciteraient, expédieraient, signeraient, exécuteraient ou feraient exécuter des actes arbitraires sont coupables, et doivent être punis.
  • Article 13 : Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
  • Article 14 : Nul ne doit être jugé et puni qu’après avoir été entendu ou légalement appelé, et qu’en vertu d’une loi promulguée antérieurement au délit. La loi qui punirait des délits commis avant qu’elle existât serait une tyrannie ; l’effet rétroactif donné à la loi serait un crime.
  • Article 15 : La loi ne doit décerner que des peines strictement et évidemment nécessaires : les peines doivent être proportionnées au délit et utiles à la société.
  • Article 16 : Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.
  • Article 17 : Nul genre de travail, de culture, de commerce ne peut être interdit à l’industrie des citoyens.
  • Article 18 : Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre, ni être vendu : sa personne n’est pas une propriété aliénable. La loi ne reconnaît point de domesticité : il ne peut exister qu’un engagement de soins et de reconnaissance entre l’homme qui travaille et celui qui l’emploie.
  • Article 19 : Nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son consentement, si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée l’exige, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.
  • Article 20 : Nulle contribution ne peut être établie que pour l’utilité générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir à l’établissement des contributions, d’en surveiller l’emploi, et de s’en faire rendre compte.
  • Article 21 : Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.
  • Article 22 : L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens.
  • Article 23 : La garantie sociale consiste dans l’action de tous, pour assurer à chacun la jouissance et la conservation de ses droits : cette garantie repose sur la souveraineté nationale.
  • Article 24 : Elle ne peut exister si les limites des fonctions publiques ne sont pas clairement déterminées par la loi, et si la responsabilité de tous les fonctionnaires n’est pas assurée.
  • Article 25 : La souveraineté réside dans le peuple : elle est une et indivisible, imprescriptible et inaliénable.
  • Article 26 : Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier : mais chaque section du souverain assemblée doit jouir du droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté.
  • Article 27 : Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres.
  • Article 28 : Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.
  • Article 29 : Chaque citoyen a un droit égal de concourir à la formation de la loi et à la nomination de ses mandataires ou de ses agents.
  • Article 30 : Les fonctions publiques sont essentiellement temporaires : elles ne peuvent être considérées comme des distinctions ni comme des récompenses, mais comme des devoirs.
  • Article 31 : Les délits des mandataires du peuple et de ses agents ne doivent jamais être impunis. Nul n’a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens.
  • Article 32 : Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique ne peut en aucun cas être interdit, suspendu ni limité.
  • Article 33 : La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme.
  • Article 34 : Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.
  • Article 35 : Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

- La Constitution de l’an 1 de la République s’attache à définir un fonctionnement concret pour l’assemblée générale des membres du peuple, en la divisant en assemblées primaires territoriales, les territoires de ces assemblées correspondant d’assez près à ce que furent nos cantons, et en faisant de ces assemblées primaires un moyen de démocratie directe.
- Mais cette constitution ne fut jamais promulguée, ce qui laissa les grands bourgeois libres de s’organiser pour leur contre-révolution, et de mettre un terme à la révolution par le coup d’état du 9 thermidor an 2 de la République (27 juillet 1794).

- La démarche des droits de l’homme et du citoyen définit elle-même la citoyenneté, et en précise le contenu dans les textes des Déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen : la citoyenneté apparaît ainsi comme le premier concept énoncé par le mouvement révolutionnaire, dès 1789.

L’état, bunker de la contre-révolution

- La fin de la Renaissance a donné lieu à un débat sur le sens du mot « état » ; ce mot était employé par ceux dont la tâche était de concourir à la bonne marche du royaume sous les ordres que donnait le roi en sa qualité de souverain.
- A l’apogée de la royauté de droit divin, qui est fondée sur l’interdiction faite aux humains de discuter de l’exercice de la souveraineté par le roi, Louis 14 a tranché ce débat en lui apportant la réponse que son autorité rendait péremptoire et que rappelle l’histoire : L’état, c’est moi !
- Par cette proclamation, il apportait au débat la seule réponse que pouvait donner un roi fort de son droit divin : l’exercice de la souveraineté ne pouvant incomber à nul autre, la bonne exécution de ses ordres n’avait pas d’autre garantie que l’allégeance des exécutants à sa personne : en l’occurrence, cela explique autant les privilèges attachés à l’aristocratie (dite « la noblesse »), que ceux au moyen desquels le roi s’attachait les services des plus riches bourgeois de la finance et du commerce.
- Il est important de noter que par sa proclamation, le monarque de droit divin permettait à ces bourgeois riches, privilégiés en reconnaissance des services rendus au royaume, de se dire serviteurs de l’état tout comme les aristocrates, quoiqu’à un autre titre.
- Quelques décennies plus tard, la prise de conscience de ce que l’ordre social produit les inégalités entre les humains faisait de la misère des plus pauvres une injustice et faisait aux philosophes un devoir de la dénoncer et de l’analyser afin que le corps social (dont le roi et les privilégiés, avec tout leur pouvoir, sont membres) y mette fin ; elle relançait ainsi la discussion sur le sens du mot état.
- Cette prise de conscience se développait en même temps dans le peuple, donnant tout naturellement et très justement lieu à la revendication d’égalité. Nombre d’entre les savants et les philosophes ont alors pris cette revendication en compte : ils ont élaboré et posé l’hypothèse que l’égalité entre tous les humains pourrait bien être le bon principe sur lequel former et constituer la société pour mettre fin à l’injustice sociale ; elle servit alors de base au travail de nombre de philosophes, d’économistes, de juristes et d’autres savants : dans toute l’Europe s’est alors formé un courant de prise de parti favorable à cette hypothèse, des sociétés d’Amis de l’Egalité virent le jour, avec des correspondants dans de nombreuses villes, de l’Atlantique à la Vistule. Jean-Jacques Rousseau est aujourd’hui le plus célèbre des philosophes du Royaume de France qui ont reconnu légitime la revendication d’égalité et qui y ont adhéré ; une génération plus tard, l’un des acteurs de la révolution qui s’avèrera des plus fermement cohérents avec la revendication d’égalité en droits pour tous les êtres humains est François-Noël Babeuf, qui a changé deux fois de prénom comme la loi révolutionnaire de l’état-civil l’y autorisait, s’appelant ensuite Camille, puis Gracchus (ce prénom était le sien lorsqu’il fut faussement accusé de complot anarchiste, jugé à Vendôme et condamné à mort. Babeuf, en vérité, est le fondateur du communisme en France).
- Dès lors que la critique de l’ancien Régime est fondée dans la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen et conduite pour satisfaire la revendication d’égalité, elle conclut que les rois n’exercent la souveraineté que par usurpation. Il est logique de penser que la souveraineté d’un pays dont tous les habitants sont égaux en droits appartient au peuple de ce pays : l’acte décisif pour constituer la société (car le royaume de droit divin n’a pas de constitution) est donc de mettre fin à l’usurpation de la souveraineté par les rois ; si l’état monarchique n’est, comme l’avait déclaré Louis 14, que la manifestation institutionnelle de la personne du roi, alors, la fin de l’usurpation elle-même fait de l’état la manifestation institutionnelle du peuple souverain. Constituer la société revient alors à rédiger les textes qui régiront les modalités selon lesquelles le peuple s’assemble pour faire la loi.
- Au début de septembre 1792, le roi marquait l’échec de la tentative de royaume constitutionnel en s’enfuyant vers l’exil ; il fut arrêté à Varennes en Argonne et ramené à Paris par la force armée ; il fallut alors remettre la constitution en chantier : on convoqua une Convention nationale, pour laquelle tous les propriétaires, et eux seuls, étaient électeurs (ce n’était pas encore le suffrage universel) ; celle-ci vota la déchéance du roi pour sanctionner sa fuite ; mais le roi déchu, l’état ne pouvait plus être la manifestation institutionnelle de la personne du roi ; la Convention rédigea alors la constitution de l’an 1 de la République, afin que le peuple exerce désormais lui-même sa souveraineté ; cette constitution a fait de la République l’institution en laquelle se manifeste le peuple souverain : le mot état a alors perdu le sens de la manifestation institutionnelle du souverain, mais c’est le mot République qui a pris pour sens profond celui de la manifestation institutionnelle du peuple souverain.
- Le fait est que la Révolution terminée, le mot état n’a jamais eu dans les institutions de notre pays le même sens que le mot république. Au début de 1789, les bourgeois privilégiés connaissaient bien l’évolution philosophique ; ils n’acceptaient l’égalité que comme l’acceptent les grands capitalistes aujourd’hui : restreinte à l’exacte mesure où l’évolution sociale les laisse jouir pleinement de leurs richesses et du pouvoir. Par leur statut de membres du Tiers état, ils passaient d’abord pour favorables à la révolution ; mais en fait, ils ont joué de ce préjugé pour défendre jalousement ce qu’ils tenaient des Rois de France depuis un siècle et plus : la maison du roi, en l’appelant l’état ; ils sont parvenus à la transplanter pièce par pièce dans le nouveau régime, faisant d’elle l’ossature du régime bourgeois de gouvernement ; le mot même de République les gênant vraiment, ils ont désigné leur état des noms d’Empire, de Royaume et encore d’Empire, pendant presque un siècle : c’est ainsi qu’ils ont donné au mot état le sens que l’histoire lui a confirmé : celui de la réunion des administrations maintenues à la disposition du gouvernement bourgeois pour exécuter sa politique et s’approprier le fruit du travail du peuple ; la tâche de Napoléon 3, devenu président de la République, puis empereur, fut d’habiller l’état bourgeois d’oripeaux à forme républicaine ; la proclamation de la "Troisième République" ne fut que la dernière retouche mise à ce déguisement, la mise en institution de cette confusion qui dure jusqu’à ce jour...
- Ainsi, l’état n’a été qu’un abri blindé contre la Révolution : dans cet abri, la bourgeoisie privilégiée de l’ancien régime a protégé ses propres valeurs et les institutions essentielles de son pouvoir ; une fois la Révolution terminée, la bourgeoisie leur a simplement rendu leur pleine vigueur.
- Etonnez-vous après cela de l’attention et des soins que les réactionnaires consacrent à la continuité de l’état !

La nation, deuxième concept de la Révolution

- Lorsque l’ancien Régime (la monarchie absolue) s’enfonçait irrémédiablement dans la crise, que le fonctionnement des institutions du royaume devenait impossible, les privilégiés (aristocrates riches ou féaux du roi, grands et moyens bourgeois, membres du haut clergé) s’efforçaient de faire porter tout le fardeau aux membres du peuple, et de résoudre la crise au détriment de leur situation sociale et matérielle ; assaillis par cette iniquité qui croissait sans cesse, les femmes et les hommes qui vivaient de leur travail, les membres du peuple, s’emparaient en nombre de plus en plus grand de la revendication des droits humains et civiques, que les Amis de l’Egalité propageaient déjà depuis de longues années, et d’abord de la première d’entre elles, la revendication d’égalité en droits ; ils créaient ainsi une situation dans laquelle la démarche des Droits de l’Homme et du Citoyen se montrait de plus en plus comme la méthode capable de conduire toute la société à une solution véritable et juste : la mobilisation populaire s’est alors faite pour cette revendication politique d’ensemble, produisant le mouvement révolutionnaire proprement dit. Contre la royauté, le rapport des forces s’est profondément dégradé au détriment du royaume, à tel point que les rois et princes d’Europe sont intervenus, tout à la fois contre cette évolution de la situation politique et pour en tirer profit en élargissant le territoire sous leur souveraineté au détriment du royaume de France grandement affaibli ; mais l’intervention des princes mettait la patrie des anciens sujets du roi de France en danger : le peuple est alors intervenu les armes à la main pour repousser l’intervention et permettre la satisfaction de sa revendication d’ensemble ; la levée du peuple en masse arrête l’invasion, puis le peuple constatant la défection du roi, prononce sa déchéance ; la royauté finalement abolie donne son sens aux réorganisations réalisées au cours des trois années précédentes, de 1789 à 1792, et qui vont être complétées : le royaume a été détruit par son peuple.
- Les femmes et les hommes du peuple ont créé la nation en décidant de vivre désormais sous les lois qui émaneraient d’eux, dont l’essentielle et la plus fondamentale, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, garantit au peuple sa place décisive dans la nation ; et c’est au nom de la nation, comme les volontaires le proclament pendant la cannonade de Valmy, que se fait l’intervention du peuple en armes : par son intervention dans le réseau des souverains, le peuple fait de la nation l’interlocuteur avec lequel les rois et princes d’Europe devront compter désormais.
- C’est donc l’intervention populaire qui a fondé la nation : elle procède du peuple, elle est l’institution qui manifeste la souveraineté du peuple, contre les princes, rois et empereurs, souverains d’anciens régimes, et contre leurs restaurateurs. La nation, c’est le peuple exerçant sa souveraineté. L’état n’est rien ni dans l’avènement, ni dans l’essence de la nation.
- Le concept de nation avait été préparé par les profondes discussions politiques des années précédentes. Son sens fixé lors de la bataille de Valmy est celui que Voltaire lui avait donné ; les critères de sa définition sont le territoire et le travail dont il est l’objet de la part de la population qui l’habite ; la nation a donc le même fondement et la même essence que le démos des anciens Grecs ; c’est en fait une extension du dème à un territoire assez vaste pour contenir des dizaines de milliers de dèmes ; indemne de tout critère ethnique, la nation est laïque : les membres du peuple y sont libres de leur conscience.

Qu’est-ce que la République ?

- Dans la nation, la connaissance populaire ne rencontre pas d’obstacle arbitraire, et la démocratie peut se développer jusqu’à déterminer le gouvernement ; la nation est l’acteur de la souveraineté dans lequel le peuple peut jouer pleinement son rôle, pourvu seulement que le processus de formation des lois et le gouvernement lui-même émane de lui : c’est l’objet même de la république, d’être le processus par lequel le peuple détermine l’action nationale.
- Les Révolutionnaires, de 1789 à 1794, pensaient la république comme l’institution grâce à laquelle le gouvernement procèderait du peuple et resterait sans cesse contrôlé par lui ; ils avaient appelé République le processus par lequel le nouveau souverain, le peuple, détermine l’action de la nation : mais pour ce problème, le peuple n’est qu’une abstraction : pour fonder concrètement la république, il faut donc donner corps aux règles grâce à l’observation desquelles les citoyens concrets euvreront concrètement à la détermination de l’action nationale dans tous les domaines de la compétence du souverain.
- La nation constitue donc la République en édictant et en mettant en vigueur l’ensemble des règles qui font que la formation des lois, leur promulgation, la conduite des affaires publiques et notamment celle de l’économie, et l’institution des grandes fonctions nécessaires à la vie de la société procèdent d’une seule source : la volonté populaire à laquelle concourent explicitement les volontés de tous les citoyens.
- On voit ici à quel point le concept révolutionnaire de la république dépasse le concept de l’état :

  • Le concept révolutionnaire de la république donne réalité à la dimension politique de la vie du citoyen ;
  • Par contre et depuis toujours, sous tous ses aspects et dans toutes ses structures, l’état fonctionne selon le mode administratif, qui assure le gouvernement que ses décisions seront exécutées avec diligence : c’est bien la mission de l’état ; mais en même temps, l’effet de ce même mode administratif de fonctionnement est que l’état exerce sur tous les citoyens, qu’ils soient administrés ou fonctionnaires, une pression qui tend à les exclure de la réflexion politique, et qui y parvient le plus souvent.

- Par conséquent, en ce qui concerne l’exercice par chaque être humain de ses droits humains et civiques, identifier la république à une forme de l’état, revient à réduire la république à son contraire. La nature polémique des textes dans lesquels Marx et Lénine employaient les mots d’état et de république montre qu’en réalité, ils ne commettaient pas cette erreur.

Quel sens la Révolution a-t-elle donné au mot de France ?

- Avant la révolution, le sens du mot France était déterminé à partir de la personne du roi : la France, c’était l’ensemble des territoires et des peuples sur lesquels le roi de France exerçait sa royauté ; le rapport des sujets au territoire du royaume passait par la personne du roi. La France était une ethnie dont les membres ne se reconnaissaient pas principalement par la langue qu’ils parlaient ou par ce qu’ils habitaient les territoires sur lesquels régnait le roi de France, mais par leur soumission au roi de France ; l’expression roi de France ne définissait pas la personne du roi, mais l’entité sur laquelle ce roi exerçait sa royauté. Il est à remarquer que les seuls sujets du roi de France qui se reconnaissaient comme français étaient les habitants de l’Ile de France : tous les autres se reconnaissaient selon le nom de leur province, comme picards, bretons, auvergnats, ... et seule une petite minorité parlait usuellement français.
- Le rapport de la France à son territoire était donc très normalement variable : il variait au gré des mariages royaux et des guerres gagnées ou perdues : pour le royaume, son territoire n’est que l’objet des relations entre souverains, et ses variations sont le résultat des évolutions de ces relations. Mais le seul acteur de ces relations, c’est le roi en personne.
- Il n’en est plus ainsi depuis que le peuple sur lequel régnait le roi de France a détruit la royauté et le royaume, se constituant en une force capable de tenir empereurs, rois et princes d’Europe en respect et de leur interdire de s’approprier la terre sur laquelle aucun roi ne régnait plus : c’est ainsi qu’ils ont donné vie à la nation, que détermine la terre et le mode du travail que lui applique le peuple, pour la substituer aux rois, aux princes et aux empereurs ; telle est l’euvre du peuple sur lequel avait régné le roi de France. Cet évènement au cours duquel la France a cessé d’être cet objet des relations entre rois et princes pour devenir une nation est donc réellement la Révolution, et cette transformation est l’euvre collective du peuple.
- Depuis la révolution en effet, la France est une nation ; elle n’est donc pas catholique, ni même chrétienne : elle est laïque ; elle existe hors les religions et indépendamment d’elles ; c’est seulement pour cette raison que le croyant peut être libre de croire en la religion de son choix, et qu’il n’a pas à en répondre devant quelque police que ce soit.

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